« retenir », définition dans le dictionnaire Littré

retenir

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

retenir

(re-te-nir) v. a.

Il se conjugue comme tenir.

  • 1Tenir encore une fois, ravoir. Je voudrais bien retenir l'argent que je lui ai prêté.

    Il voudrait bien retenir ce qu'il a dit, il voudrait ne l'avoir pas dit.

  • 2Garder par devers soi ce qui est à un autre. Retenir le bien d'autrui. On lui a retenu cinq francs sur sa paye. C'est toi qui as retenu ma montre ? Molière, Scapin, II, 5. On allait vendre ou du moins retenir son linge et ses habits, quand cette femme dont je parle a payé pour elle, Marivaux, Marianne, 11e part.
  • 3Ne point se dessaisir d'une chose, la garder toujours. Cinna, par vos conseils je retiendrai l'empire ; Mais je le retiendrai pour vous en faire part, Corneille, Cinna, II, 1. La possession d'un cœur est fort mal assurée, lorsqu'on prétend le retenir par force, Molière, Sicil. sc. 6. Brutus et Cassius me suivront en Asie ; Antoine retiendra la Gaule et l'Italie, Voltaire, M. de César, I, 3.

    Terme de palais. Donner et retenir ne vaut, une donation n'est pas valable, si l'on ne se dessaisit pas en effet de ce que l'on donne ; c'est ce qu'on appelle un brocard de droit.

  • 4En parlant des habitudes, des qualités bonnes ou mauvaises, des observances, ne point perdre. Retenir l'accent de son pays. Ils retenaient encore beaucoup des mœurs de leur pays, Vaugelas, Q. C. 409. Dans la suite, on se dispensa de cette loi, mais c'était l'intention de Romulus qu'elle fût gardée, et on en retint toujours quelque chose, Bossuet, Hist. III, 7. Je puis être à lui [Dieu], et retenir toute mon indignité, parce que je puis être à lui et n'en être pas meilleur, Bourdaloue, Purif. de la Vierge, Myst. t. II, p. 263. Il n'est pas moralement possible que ce chrétien retienne la fréquente communion, sans être puissamment et continuellement excité à purifier son cœur, Bourdaloue, Dim. Oct. du St-Sacrement, Dominic. t. II, p. 325. Vous vous faites à vous-même un plan de conduite dont vous ne bannissez que vos malheurs passés ; vous retenez tout ce qui peut vous y conduire par d'autres routes, Massillon, Carême, Pâques. Il [Pyrrhon] ne retint de la doctrine de ses maîtres que les principes qui favorisaient son penchant naturel à ce doute, Diderot, Opin. des anc. philos. Pyrrhonisme philos.
  • 5Prélever, déduire d'une somme. En me payant il a retenu la somme qu'il m'avait prêtée. Sur cette somme annuelle, on retenait une partie pour les habits, les armes et les tentes, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. XI, 1re part. p. 371, dans POUGENS.
  • 6Réserver. Il a donné son bien, mais il en a retenu l'usufruit. Il a affermé sa terre, mais il a retenu les bois et les vignes.
  • 7 Terme de procédure. Retenir une cause, se dit des juges qui décident qu'une cause est de leur compétence.

    Il signifie aussi : la conserver au rôle pour qu'elle soit jugée à son rang et sans délai.

  • 8 Terme d'arithmétique. Retenir un ou plusieurs chiffres, les réserver pour les joindre aux chiffres de la colonne qu'on doit calculer après : je pose 7 et retiens 2 ; ou, elliptiquement : pose 7 et retiens 2. En 145, je pose 5 et retiens 14.
  • 9S'assurer par précaution de ce qu'un autre aurait pu prendre. Ce jour-là, les comédiens avaient été retenus pour représenter une comédie chez un des plus riches bourgeois de la ville, Scarron, Rom. com. I, 19. Les violons sont retenus, le festin est commandé, et ma fille est parée pour vous recevoir, Molière, Mar. forcé, 14. J'ai déjà retenu quatre laquais qui jouent parfaitement du violon, Brueys, Grondeur, II, 15. Cet appartement, j'irai dès ce soir le retenir pour vous, Marivaux, Marianne, part. 3. Je lui avais retenu un intendant, qui devait aujourd'hui entrer chez elle ; et cependant elle en a pris un autre, Marivaux, Fausses confid. II, 4. Il [Racine] était bien pardonnable d'être un peu fâché contre ceux qui envoyaient leurs laquais battre des mains à la Phèdre de Pradon, et qui retenaient les loges à la Phèdre de Racine, pour les laisser vides et pour faire accroire qu'elle était tombée, Voltaire, Mél. litt. Honnêt. litt. préambule. Enfin, quoiqu'il n'eût pas besoin de secrétaire, En cette qualité monsieur l'a retenu, Collin D'Harleville, Optim. I, 2.

    Fig. Attendez que nous partions ensemble, quand je me verrai prêt à mourir, je vous manderai, si je puis, le jour que j'aurai retenu ma place au coche, D'Alembert, Lett. à Volt. 25 janv. 1770.

    Familièrement et ironiquement. Je vous retiens, je le retiens, se dit à propos de quelqu'un qui dit ou fait une sottise. Je vous retiens pour faire des commissions, se dit à quelqu'un qui s'en est mal acquitté.

    Populairement. Je retiens part, j'en retiens part, se dit, quand on voit quelqu'un ramasser quelque chose, pour signifier qu'on prétend avoir part à ce qu'il a trouvé. Je n'ai pu résister au plaisir de me vanter de vos bontés, et un passant a dit : j'en retiens part, Voltaire, Lett. à d'Argenson, 7 mars 1739. Je lui dirai, comme les gens du peuple : j'en retiens part, tant ses satires me paraissent redoutables, D'Alembert, Lett. à Voltaire, 4 déc. 1770.

    Retenir date, indiquer à quelqu'un un jour, une époque où l'on exigera de lui telle chose.

    Retenir une date en cour de Rome, prendre une date, s'assurer d'une date en cour de Rome.

    Dans l'ancien style parlementaire, ce conseiller a retenu le bureau, il s'est assuré d'un jour fixe pour rapporter le procès dont il est chargé.

    Je retiens croix, je retiens pile, se dit, au jeu de croix ou pile, pour signifier que l'on gage que le côté de la pièce de monnaie qui paraîtra sera croix, sera pile.

    On dit dans un sens analogue, quand on joue à pair ou non : je retiens pair, je retiens non.

    Les enfants disent de même dans leurs jeux : je retiens de jouer le premier.

  • 10Ne pas laisser aller, en parlant des choses qu'on arrête, qui sont arrêtées. S'il retient les eaux, tout deviendra sec ; et, s'il les lâche, elles inonderont la terre, Sacy, Bible, Job, XII, 15. Ils se sont creusé des citernes entr'ouvertes, des citernes qui ne peuvent retenir l'eau, Sacy, ib. Jérémie, II, 13. C'est une chaussée qui suit les bords de la Loire et retient cette rivière dans son lit, La Fontaine, Lettres, 7. Le cœur vole au plaisir que l'instant a produit, Et cherche à retenir le plaisir qui s'enfuit, Delille, Hom. des ch. I.

    Garder dans sa bouche. La première chose que je fis en mettant pied à terre fut d'entrer dans le lac [la mer Morte] jusqu'aux genoux, et de porter l'eau à ma bouche ; il me fut impossible de l'y retenir ; la salure en est beaucoup plus forte que celle de la mer, Chateaubriand, Itinér. 3e part.

    Garder dans son corps. Retenir son urine. Retenir son eau.

  • 11Retenir son haleine, ne pas la laisser sortir. Il [Fox, fondateur de la secte des quakers] se mit à trembler, à faire des contorsions et des grimaces, à retenir son haleine, à la pousser avec violence ; la prêtresse de Delphes n'eût pas fait mieux, Voltaire, Dict. phil. Quakers, 2. Ils [les Prussiens] se lèvent, ils l'entourent [d'Assas], lui mettent vingt baïonnettes sur la poitrine : si vous criez, vous êtes mort ; il retient son souffle un moment pour crier plus fort : à moi, d'Auvergne, les voilà, et il tombe percé de coups, Voltaire, Lett. Choiseul, 12 nov. 1768.

    On dit de même : retenir ses soupirs, ses larmes. Et vous, madame, Retenez des soupirs dont vous me percez l'âme, Corneille, Nicom. IV, 1. Nous ne pûmes, en le remerciant, retenir nos larmes, Fénelon, Tél. VI. Il ne la faut donner [la tragédie des Scythes] que quand Mlle Durancy sera sûre de son rôle, et qu'elle aura appris à répandre et à retenir des larmes, Voltaire, Lett. Florian, 4 mars 1767.

    Fig. Que de fois dans ce cœur, honteux de la tromper, Je retins mon secret qui voulait m'échapper ! Delavigne, Paria, I, 1.

    Retenir le rire, s'empêcher de rire. Elle confesse qu'elle avait tellement perdu les lumières de la foi, que, lorsqu'on parlait sérieusement des mystères de la religion, elle avait peine à retenir ce rire dédaigneux qu'excitent les personnes simples, lorsqu'on leur voit croire des choses impossibles, Bossuet, Anne de Gonz.

    Retenir sa langue, ne pas se laisser aller à parler, à trop parler. Pourquoi ces retraites, ces veilles, ces jeûnes, ces continuelles prières, si nous ne laissons pas avec cela de nous damner en ne retenant pas notre langue ? Bourdaloue, 11e dim. après la Pentecôte, Dominic. t. III, p. 256.

  • 12Arrêter, ne pas laisser aller, en parlant des personnes. Je suis encore ici, M. et Mme de Chaulnes font de leur mieux pour m'y retenir, Sévigné, 76. Il ne m'a retenu que pour parler de vous, Racine, Bérén. III, 3. Et qui s'honorerait de l'appui d'Agrippine, Lorsque Néron lui-même annonce ma ruine, …Quand Burrhus à sa porte ose me retenir ? Racine, Brit. I, 2. Il était tous les jours retenu pour quelque repas, Hamilton, Gramm. 6. Et de voir qu'on retînt en prison une belle dame et deux amis pour un crime qu'il n'avait pas fait, Voltaire, Zadig, 4. Au lieu que le roi [Charles XII] avait renvoyé tous ces prisonniers moscovites qu'il ne craignait pas, le czar retint les Suédois pris à Pultava, Voltaire, Charles XII, 4. Il voulut s'en aller, elle le retint : Vous êtes de mes amis, lui dit-elle, et l'un de ceux que je vois avec plus de plaisir, Rousseau, Hél. VI, 11. Il me retint par ma robe, en me suppliant de lui accorder un moment d'entretien, Genlis, Ad. et Th. t. II, p. 337, dans POUGENS.

    Retenir à, avec un infinitif, garder quelqu'un pour qu'il couche, dîne dans la maison. Mme de la Fayette me retint à coucher, Sévigné, 153. Je retins mon frère à dîner, Marivaux, Pays. parv. part. 6.

    Je ne vous retiens plus, se dit à une personne qu'on renvoie, à qui on permet de prendre congé. Monsieur, peut-être ailleurs êtes-vous attendu ; Je ne vous retiens point, Boursault, Fabl. d'És. III, 4. Je ne te retiens plus, sauve-toi de ces lieux, Racine, Andr. IV, 5. Il se dit aussi des choses qui font séjourner, qui arrêtent. Ce rhume l'a retenu dans sa chambre. La goutte le retient au lit. La bonté du terroir y retint ceux du pays, Vaugelas, Q. C. VIII, 2. La cour ne le retint guère [le duc d'Enghien], quoiqu'il en fût la merveille, Bossuet, Louis de Bourbon. Ne prétendrais-tu point, par tes fausses couleurs, Déguiser un amour qui te retient ailleurs ? Racine, Baj. V, 4. Pourrai-je m'arracher de ce séjour plein d'illusion, où rien ne m'attache, où tout me retient ? Genlis, Mme de Maintenon, t. I, p. 257, dans POUGENS.

    Fig. Vos périls me retiendraient à la vie, Exil de Cicéron, dans DESFONTAINES. Un ami mourant a souvent voulu que son ami lui prît la main, pour le retenir dans la vie, tandis qu'il se sentait entraîné par la mort, Chateaubriand, Italie, Tivoli.

  • 13Empêcher de sortir. Des faveurs de l'hiver redoutez le danger, Et retenez vos fleurs qui se pressent d'éclore, Rousseau J.-B. Sur un arbrisseau.

    Fig. Renfermés dans leur criminelle timidité, ils gardent un profond silence : ils retiennent la vérité dans l'injustice, Massillon, Avent, Épiphanie.

    Empêcher d'avancer, de cheminer. J'ai bien tâché [pendant le temps que je viens de passer avec vous] à retenir tous les moments, et ne les ai laissés partir qu'à l'extrémité, Sévigné, à Mme de Grignan, 10 nov. 1673. Le temps vole et m'emporte malgré moi ; j'ai beau vouloir le retenir, c'est lui qui m'entraîne ; et cette pensée me fait grand'peur, Sévigné, à Bussy, 12 juillet 1691. Les jours vont si vite, et les mois et les années, que, pour moi, mon cher cousin, je ne puis plus les retenir, Sévigné, ib.

  • 14Fixer, empêcher de tomber, de retomber. Corinne souleva le rideau, et le retint pour laisser passer lord Nelvil, Staël, Corinne, IV, 3.

    Retenir une poutre, l'attacher avec un lien de fer pour l'empêcher de tomber.

  • 15S'opposer à l'effet prochain d'une action. Il serait tombé dans le précipice si je ne l'eusse retenu. Reviens me rendre compte, et voir s'il faut hâter Ou retenir les coups que je dois lui porter, Voltaire, Fanat. II, 4. Mérope allait verser le sang de l'assassin ; Ce vieillard, dites-vous, a retenu sa main, Voltaire, Mérope, IV, 1.

    Fig. Le bruit de son trépas D'un vainqueur trop crédule a retenu le bras, Racine, Alex. IV, 4.

  • 16Réprimer, modérer, empêcher, en parlant des personnes. La crainte des peines les retient, Patru, Plaidoyer, 6. Mon père, retenez des femmes qui s'emportent, Corneille, Hor. II, 8. Leur sexe aime à jouir d'un peu de liberté ; On le retient fort mal par tant d'austérité, Molière, Éc. des maris, I, 2. En vain les rois d'Angleterre ont cru les pouvoir retenir [les esprits] sur cette pente dangereuse [de la liberté religieuse] en conservant l'épiscopat, Bossuet, Reine d'Angleterre. Il [Théodose] épouvanta les hérétiques sans les punir ; il les retint dans l'obéissance, Fléchier, Hist. de Théodose, III, 26. Par combien de liens il était retenu [dans le protestantisme] ! Fléchier, Duc de Mont. La raison pourquoi le cardinal Mazarin différait tant à accorder les grâces qu'il avait promises, c'est qu'il était persuadé que l'espérance est bien plus capable de retenir les hommes dans le devoir que non pas la reconnaissance, Racine, Fragm. hist. Ne me retenez point, monsieur le marquis, ne me retenez point, Lesage, Turcaret, V, 9. Ce n'est plus le besoin que j'ai de lui qui me retient ; c'est moi que je ménage, Marivaux, Fausses confid. II, 12. Vous êtes pour moi le démon de Socrate ; mais son démon se bornait à le retenir, et vous m'inspirez, Voltaire, Lett. d'Argental, 12 avr. 1760. On peut éclairer celui qui s'abuse ; mais comment retenir celui qui se vend ? Rousseau, Gouv. de Polog. ch. 7. Il a autant besoin d'être poussé que l'autre d'être retenu, Rousseau, Projet d'éduc.

    Il se dit des sentiments que l'on contient. Si cet homme est à vous, imposez-lui silence, Madame, et retenez une telle insolence, Corneille, Nicom. I, 2. Il est aisé de conclure que, parmi cette foule de pécheurs qui provoquent la colère du ciel, il y a quelques justes cachés qui la retiennent, Fléchier, Panégyr. Franç. de Paule. Je sais… que la force peut agir… pour assurer la paix, pour protéger l'innocence, pour arrêter la malice qui se déborde, et pour retenir la cupidité dans les bornes de la justice, Fléchier, Turenne. Il allait porter son encens avec peine sur les autels de la fortune, et revenait chargé du poids de ses pensées qu'un silence contraint avait retenues, Fléchier, Duc de Montausier. Je m'observe sans cesse pour retenir mon impatience, et pour empêcher qu'on ne s'aperçoive que je la retiens, Maintenon, Lett. à Mme de Glapion, 31 juillet 1712. Rendez grâce au seul nœud qui retient ma colère ; D'Iphigénie encor je respecte le père, Racine, Iph. IV, 6. C'est vous qui retenez mes passions impétueuses, Fénelon, Tél. XVII. Cette dignité qui retient les saillies du tempérament, cette humanité qui rend plus sensible aux impressions de la grâce, Massillon, Pet. carême, Vic. vert. des grands.

    Retenir avec de et un infinitif. Vous-même êtes-vous sûr que ce nœud la retienne D'ajouter, s'il le faut, votre perte à la mienne ? Corneille, Oth. II, 4. Bien des raisons doivent me retenir de parler, Maintenon, Lett. au card. de Noailles, 13 août 1711. Cette considération ne m'a jamais retenu de faire ce que j'ai cru bon et utile, Rousseau, Lett. à Moultou, 25 avr. 1762.

    Retenir avec que et le verbe au subjonctif. Et le retiennent qu'il n'y fonde Ou son amour ou son espoir, Corneille, Imit. I, 12, éd. 1651.

  • 17Retenir dans, imposer, prescrire. La crainte de renouveler vos peines et, plus que tout, la confiance que vous connaissez mon cœur, m'a retenu dans un silence que je crois que vous avez entendu, Sévigné, à Pompone, 24 nov. 1695.

    Absolument. Retenir quelqu'un, lui faire observer la discrétion, des ménagements. Vous ne pouvez le retenir que par la confiance, Genlis, Ad. et Th. t. II, p. 438, dans POUGENS.

  • 18Mettre, garder dans sa mémoire. Quiconque a beaucoup vu Peut avoir beaucoup retenu, La Fontaine, Fabl. I, 8. J'ai ouï dire, il y a longtemps, une parole d'un ancien que j'ai toujours retenue, Molière, Scapin, II, 8. Elle retient comme un éloge admirable ce que vous dites de M. Rouillé, que la justice est sa passion dominante, Sévigné, 178. Non-seulement elle [la religion] a été bien enseignée par les apôtres, mais encore elle a été bien retenue par ceux qui les ont suivis, Bossuet, 1er avert. 5. Ce qui est sûr, c'est que j'ai toujours retenu leurs visages, je les vois encore, je les peindrais, Marivaux, Marianne, part. I. Le véritable éloge d'un poëte, c'est qu'on retienne ses vers, Voltaire, Louis XIV, 32. En général, nous retenons plus facilement les idées qui ont le plus de rapport aux matières qui nous ont souvent occupés, Bonnet, Ess. anal. âme, 25.

    Absolument. Pourquoi parle-t-on [dans la chaire], sinon pour persuader, pour instruire, et pour faire en sorte que l'auditeur retienne ? Fénelon, Dialogues sur l'éloquence, I.

    Retenir que. Retenons bien que les objets extérieurs ne renferment rien d'agréable ni de fâcheux, Malebranche, Rech. vér. I, 17.

    Familièrement. Retenir quelqu'un, retenir ce qu'il dit. Pour de la logique, si nature vous en avait départi, à égale mesure, il n'y aurait plus qu'à vous écouter et vous retenir par cœur, Diderot, Lett. à Falconet, sept. 1766.

  • 19Il se dit absolument pour être fécondées en parlant des femelles des animaux. Il serait mieux, pour avoir d'excellents chevaux, de ne laisser couvrir les juments que de deux années l'une ; elles dureraient plus longtemps et retiendraient plus sûrement, Buffon, Quadrup. t. I, p. 85.
  • 20 Absolument. Se dit des chevaux qui sont au timon ou dans les limons, et qui empêchent la voiture d'aller trop vite à une descente. Ce cheval a les reins bons, il retient fort bien.
  • 21Se retenir, v. réfl. S'empêcher de tomber. Il se retint aux crins du cheval. Il [le hérisson] monte sur les arbres, et se retient aux branches avec la queue, Buffon, Quadrup. t. VI, p. 16.
  • 22S'arrêter avec effort. Il se retint au bord du précipice. Dès qu'une fois on a commencé à glisser ou à rouler avec un peu de vitesse, cette vitesse s'accélère continuellement, et il devient impossible de se retenir, Saussure, Voy. Alpes, t. IV, p. 32, dans POUGENS.

    Il se dit des chevaux qui ne veulent point se porter librement en avant.

    Terme de manége. Un cheval se retient ou reste derrière la main, lorsque, par caprice, il ralentit son allure.

    Il se retient, quand au lieu d'avancer, il saute, et ne part pas facilement de la main.

  • 23 Fig. Se modérer. Allons… je ne pourrais me retenir, et il vaut mieux quitter la place, Molière, G. Dand. II, 4. Cela me parut si horrible que j'eus peine à me retenir, Pascal, Prov. VII. Ne vous retenez point quand votre plume veut parler de la Provence ; ce sont mes affaires, Sévigné, 22 déc. 1675. Retenez-vous sur le jeu, vous avez été souvent témoin des malheurs que l'amour du jeu attire, Maintenon, Lett. à Mme d'Havrincourt, 24 févr. 1705. J'ai peine à me retenir, quand je parle de cette horrible aventure [l'exécution du chevalier de la Barre], Voltaire, Lett. d'Argental, 24 oct. 1774.

    Il se dit des sentiments dans le même sens. Croyez-moi, les épanchements de l'amitié se retiennent devant un témoin quel qu'il soit, Rousseau, Hél. IV, 7.

  • 24Différer de satisfaire aux besoins, aux mouvements naturels. Retenez-vous, vous ne pouvez pleurer ici. Tâchez de vous retenir jusqu'à ce que vous soyez chez vous. Je l'aimais aussi moi, madame, et j'en pleurerais, je crois, si je ne me retenais, Picard, Ricochets, I, 15.
  • 25Être gardé dans la mémoire. Ces préceptes se retiennent facilement.

HISTORIQUE

XIe s. De la viande ki de l'herberc vint Tant an retint, dunt son cors en sustint, St Alexis, LI. Blanc ai le chef et la barbe canuthe [chenue] ; Ma grant honur [fief] t'aveie retenue, ib. LXXXII. Ki retient le dener saint Pere, le dener rendra per la justice de sainte eglise, Lois de Guill. 20. Retenez les [gardez-les avec vous], c'est vostre salvement, Ch. de Rol. LXI.

XIIe s. Se [elle] ne me veut retenir ou quiter, Couci, VI. Puiz que mes cuers [mon cœur] ne s'en veut revenir De vous, dame, pour qui il m'a guerpi, Aumosne aurez, sel daigniez retenir, ID. IX. Je lo [conseille] bien que il [les messagers] soient et retenu et pris, Sax. XXVI.

XIIIe s. Jacques d'Avesnes retenoit le siege [continuait à assiéger] Corinthe, si com li marchis li avoit laissié, Villehardouin, CXXXV. Li maistres perd sa poine toute, Quand li disciples qui escoute, Ne met s'entente au retenir, Si qu'il l'en puisse sovenir, la Rose, 2065. Habiz de chasteé est aquis par usage de retenir soi contre ses covoitises, Latini, Trésor, p. 267. On oste trente et retient le sorplus, Comput, f. 9. Et tex cozes qui les retient à soi, li sires l'en pot sivir comme d'espave concelée, Beaumanoir, XXV, 21. Et s'ele [la procuration] est soufisans, le justice le [la] retient par devers li, Beaumanoir, IV, 24. En toutes ces choses que nous avons ordenées pour le proufit de nos subjez et de nostre royaume, nous retenons à nous pooir d'esclaircir, d'amender, d'ajouster et d'amenuisier, selonc ce que nous aurons conseil, Joinville, 297. Sire clerc, fist le roy, vous avez perdu à estre prestre par vostre proesce, et pour vostre proesce je vous retieing à mes gages, Joinville, 209. Bien retient ce c'on li enseigne, Ren. 15183.

XIVe s. Que ce soit retenu en memoire de ceux qui emprès nous vendront [viendront], Bercheure, f° 73, recto. En son ostel a vilain oste Qui mauvais conseillier retient, Jean de Condé, t. II, p. 47. Et sont et seront tenu lesdits religieux de retenir [entretenir] bien et souffisamment lesdites voies, Du Cange, retinere.

XVe s. Je le remercie grandement des beaux presens qu'il m'a presentés ; mais ce n'est mie l'aise ni la paix du roi d'Angleterre mon seigneur que je les retienne, Froissart, I, I, 300. Et en y eut bien de morts quatre mille huit cens, et retenus [faits prisonniers] quatre cens, qui furent amenés à St-Omer et mis en prison, Froissart, liv. 1er, p. 79, dans LACURNE.

XVIe s. Les aultres plantes ont retenu le nom des regions desquelles feurent ailleurs transpourtées, Rabelais, Pant. III, 50. Madame a retenu ce porteur, jusques à ce qu'elle se trouve si bien que le savoir vous en fist contentement, Marguerite de Navarre, Lett. XXXII. Qui aura leu diligemment, bien entendu et fidelement retenu les histoires…, Amyot, Préf. IV, 29. Ceste lecture retient et arreste tellement les bons esprits, qu'elle leur fait bien souvent oublier tous autres plaisirs, Amyot, Préf. XV, 42. Il les gaigna, leur promettant qu'il se retiendroit la superintendance de la guerre, et la garde des loix seulement, Amyot, Thésée, 28. Il estoit fort retenu et reservé en son parler, Amyot, Péric. X. Les Turcs en retiennent quelque chose [de cet usage], Montaigne, I, 48. La jeunesse, qui est desireuse de nouveauté et ardante en ses affections, ne se peut retenir qu'elle n'aille gouster, voire se saouler de ces douces poisons, Lanoue, 120. L'ame bien reiglée ne se retient pas seulement de mal faire pour crainte de punition, mais…, Calvin, Instit. 6. …Pour nous monstrer que c'est à dire, lier et deslier : assavoir de retenir les pechez et les remettre, Calvin, ib. 885. Donner et retenir ne vaut, Loysel, 659. Il estoit bourgeois de Paris ; Et de faict par un long usage Il retenoit du badaudage, Sat. Ménippée, l'Asne ligueur.

ÉTYMOLOGIE

Re…, et tenir ; wallon, ritai ; génev. ratenir ; provenç. retener, retenir ; espagn. retener ; portug. reter ; ital. ritenere.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

RETENIR.
16Retenir que, avec le subjonctif. Ajoutez cet exemple : Pour ce que les enfants sont en un âge qui a besoin de conduite, ils [les pères] leur ont été baillés comme magistrats domestiques, pour les retenir qu'ils ne fassent rien de mal à propos, Malherbe, Lexique, éd. L. Lalanne.