« précipiter », définition dans le dictionnaire Littré

précipiter

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précipiter

(pré-si-pi-té) v. a.
  • 1Jeter d'un lieu élevé dans un lieu fort bas, dans un lieu profond. Il y eut des spectacles effroyables dans les royaumes de Juda et d'Israël : Jézabel fut précipitée du haut d'une tour par ordre de Jéhu, Bossuet, Hist. I, 6. Il vaudrait mieux non-seulement pour elle, mais pour vous, qu'on vous précipitât au fond de la mer, Bourdaloue, Sur le scandale, 1er avent, p. 98. Cet esclave n'est plus ; un ordre, cher Osmin, L'a fait précipiter dans le fond de l'Euxin, Racine, Bajaz. I, 1. J'aurai vu massacrer et mon père et mon frère, Du haut de son palais précipiter ma mère…, Racine, Athal. II, 7. Pourquoi vos ancêtres, dit-il [Lyciscus aux Grecs], précipitèrent-ils dans un puits celui qui venait de la part de Xerxès les inviter à se soumettre et à se joindre à ce prince ? Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VIII, p. 122, dans POUGENS. Selon les esséniens, les âmes des méchants étaient précipitées dans des souterrains ténébreux où elles étaient livrées à toutes sortes de tourments, Condillac, Hist. anc. XV, 13. Il voulut me punir, venger son faux outrage, Et, sans daigner me voir, sans daigner m'écouter, Dans le fond d'un cachot me fit précipiter, Gilbert, la Marquise de Gange.

    Fig. Je sais… Que du trône… Britannicus par moi s'est vu précipiter, Racine, Brit. I, 1.

    Précipiter dans le tombeau, causer la mort.

  • 2 Fig. Pousser violemment dans quelque sentiment. Ce fut de ce penchant de la peur que nous crûmes que nous le pourrions précipiter dans nos pensées ; l'expression est bien irrégulière, mais je n'en trouve point qui marque mieux le caractère d'un esprit comme le sien, Retz, Mém. t. I, liv. I, p. 31, dans POUGENS. Ne puis-je pas dire, pour me servir des paroles du plus grave des historiens, qu'elle allait être précipitée dans la gloire ? car quelle créature fut jamais plus propre à être l'idole du monde ? Bossuet, Duch. d'Orl. Elle eût pu renoncer à sa liberté [en se faisant religieuse], si on lui eût permis de la sentir ; et il eût fallu la conduire, et non pas la précipiter dans le bien, Bossuet, Anne de Gonz.
  • 3Faire tomber dans un grand malheur, dans un grand danger. Tous les dieux irrités Dans les derniers malheurs nous ont précipités, Corneille, Nicom. v, 8. Quel astre, de votre heur et du nôtre jaloux, Vous a précipité jusqu'à rompre avec nous ? Corneille, Sophon. IV, 2. Leur propre folie les a précipités dans la mort, Sacy, Bible, Baruch, III, 28. Je crains, seigneur, qu'une fausse idée de gloire et des conseils flatteurs ne vous précipitent dans une guerre qui pourra tourner à la honte de la nation, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. III, p. 90, dans POUGENS.
  • 4Lancer avec la vitesse d'une chute dans un précipice. À travers les rochers la peur les précipite [des chevaux], Racine, Phèdre, V, 6. Les torrents bondissants précipitent leur onde, Et des mers en courroux le noir abîme gronde, Delille, Géorg. I.

    Fig. Guise, tranquille et fier au milieu de l'orage, Précipitait du peuple ou retenait la rage, Voltaire, Henr. III.

  • 5Hâter, accélérer. La faveur que pour lui je vous avais offerte, Au lieu de le sauver, précipite sa perte, Corneille, Poly. V 6. Nous admirions, mon fils et moi, comme vous avez pressé et précipité heureusement sa vie [du jeune marquis de Grignan], pour le faire tomber à propos dans l'état où il fallait être pour avoir le régiment de son oncle, Sévigné, 7 déc. 1689. Je regrette ce que je passe de ma vie sans vous, et j'en précipite les restes pour vous retrouver, Sévigné, 18 août 1680. Les saints désirs de la mort le pressent tellement [Saint-Aubin mourant], qu'il en a précipité tous les sacrements, Sévigné, 17 nov. 1688. Valens précipite le combat, Bossuet, Hist. I, 11. Les femmes du pays précipitent le déclin de leur beauté par des artifices qu'elles croient servir à les rendre belles, La Bruyère, VIII. Les plaisirs abrégent leurs jours, et les chagrins qui suivent toujours les plaisirs, précipitent le reste de leurs années, Massillon, Pet. carême, Malh. des gr. qui abandonnent Dieu. Les longues maladies ont précipité chez moi la décrépitude, Voltaire, Lett. d'Argence, 15 juin 1765. On précipita les travaux, et les assiégés, fatigués par des assauts continuels, se soumirent le huitième jour, Raynal, Hist. phil. II, 17. Autrefois, quand nous étions ensemble, vous ne cherchiez pas à précipiter les heures, vous en jouissiez, Staël, Corinne, XIII, 3.

    Précipiter sa marche, ses pas, aller très vite. C'est en vain qu'à travers des bois, avec sa cavalerie toute fraîche, Bek précipite sa marche pour tomber sur nos soldats épuisés, Bossuet, Louis de Bourbon. Loin de ces lieux cruels précipitez vos pas, Racine, Iph. IV, 10.

    Précipiter les pas de quelqu'un, le faire aller plus vite. La voix du grand Henri précipite leurs pas, Voltaire, Henr. IV.

    Fig. Heureuse négligence, puisqu'elle anime et précipite cette marche vigoureuse, où il s'abandonne à toute la véhémence et l'énergie de son âme, D'Alembert, Éloges, Bossuet.

  • 6Apporter de la précipitation. Précipiter les affaires, c'est le propre de la faiblesse, qui est contrainte de s'empresser dans l'exécution de ses desseins, Bossuet, Sermons, Providence, 1. Mon Dieu… je veux apprendre… à voir et non à deviner, à ne précipiter pas mon jugement, mais à attendre le vôtre, Bossuet, Serm. Jugem. hum. 1.

    Il ne faut rien précipiter, il ne faut pas agir à la hâte. Non, non, encore un coup ne précipitons rien, Racine, Bérén. IV, 4.

    Précipiter les choses, les pousser à toute extrémité. Les nouvelles d'Angleterre sont très mauvaises : les jésuites y ont trop précipité les choses, Maintenon, Lett. à Mme de St-Géran, 5 sept. 1688.

  • 7 Terme de chimie. Séparer de son dissolvant une matière dissoute, et la faire tomber au fond du vase. Le foie de soufre ou sa seule vapeur noircit et altère l'argent ; il précipite en noir tous les métaux blancs, Buffon, Min. t. III, p. 181. Le cobalt précipite le cuivre et le nickel de leur dissolution à l'état métallique, Fourcroy, Connaiss. chim. t. I, p. CXV, dans POUGENS.

    Neutralement. La liqueur filtrée après l'ébullition a précipité abondamment avec l'eau de chaux, Berthollet, Instit. Mém. scienc, 1806, 1er sem. p. 256.

  • 8Se précipiter, v. réfl. Se jeter de haut en bas. Quelques-uns se précipitèrent dans les ondes de désespoir, Bossuet, Reine d'Anglet. Serait-on reçu à dire qu'on ne peut se passer de voler, d'assassiner, de se précipiter ? La Bruyère, VI.

    Fig. L'ardeur impétueuse à mille erreurs te livre, Et trop courir c'est te précipiter, Corneille, Imit. III, 11. En précipitant trop les choses, on se précipite avec elles, Beaumarchais, Mère coupable, IV, 3.

  • 9Aller avec une grande vitesse. L'Égypte, jusqu'au Delta, est resserrée par deux chaînes de rochers, entre lesquels le Nil se précipite, en descendant d'Éthiopie, du midi au septentrion, Voltaire, Mœurs, Introd. Égypte.

    Se précipiter sur quelqu'un, s'élancer sur lui. C'est ainsi qu'en général les nations s'aveuglent sur leurs vrais intérêts, et se précipitent les unes sur les autres, Condillac, Traité des syst. ch. 15.

    Ils se sont précipités dans les bras l'un de l'autre, ils se sont embrassés avec empressement.

    On dit de même : se précipiter au cou de quelqu'un. Je me jette à genoux ; ma chère Adèle vient se précipiter à mon cou, Genlis, Ad. et Théod. t. III, p. 415, dans POUGENS.

    Se précipiter aux pieds de quelqu'un, se mettre avec vivacité à genoux devant lui. Elle se précipitera aux pieds de César, et tiendra ses genoux embrassés, Diderot, Claude et Nér. I, 25.

    Le peuple, la foule se précipitait au-devant de lui, se portait à sa rencontre avec empressement. Le peuple pour le voir court et se précipite, Racine, Phèdre, III, 3. …Qu'aucun par un zèle imprudent Ne sorte avant le temps et ne se précipite, Racine, Athal. IV, 5.

  • 10 Fig. S'écouler rapidement, se perdre. Mes jours avec les siens [d'Auguste, que je tuerai] se vont précipiter, Corneille, Cinna, III, 4. Ses jours se précipitèrent trop vite, Bossuet, Hist. I, 10. La jeunesse s'éteint, les années se précipitent, Massillon, Avent, Mort du péch.
  • 11 Fig. Se jeter dans ce qui est comparé à un précipice. C'eût été se faire arrêter lui-même, et se précipiter dans un obstacle invincible au dessein qu'il voulait exécuter, Corneille, Cinna, Exam. Il [Dieu] ne commande point que l'on s'y précipite [dans la mort], Corneille, Poly. II, 6. On ne doit pas se précipiter dans le plaisir, parce qu'on le rend plus agréable à force de le désirer, Méré, dans RICHELET. S'ils [les hommes] reconnaissaient l'infirmité de la nature, ils en ignoraient la dignité ; de sorte qu'ils pouvaient bien éviter la vanité, mais c'était en se précipitant dans le désespoir, Pascal, Pens. XII, II, éd. HAVET. Tous les peuples se précipitaient dans l'idolâtrie, Bossuet, Hist. II, 2. Il ne faut pas s'étonner de l'avoir vue [la réforme] se précipiter dès son origine de changement en changement, Bossuet, Var. X. À peine ont-ils épuisé le présent, qu'ils se précipitent dans l'avenir, Montesquieu, Lett. pers. 130.

    On dit aussi se précipiter à. On y voit [dans une histoire] le roi de Portugal, jeune et brave prince, se précipiter rapidement à sa mauvaise destinée, Sévigné, 9 mai 1680. Et lui-même à la mort il s'est précipité, Racine, Théb. IV, 4.

    Racine le fils a blâmé à tort se précipiter à, dans ce vers. Mme de Sévigné a aussi cet emploi.

  • 12Se hâter, mettre trop de hâte. Ne vous précipitez pas. Elle [la fille de la princesse de Tarente] s'est un peu précipitée de se marier devant les signatures de toute sa famille, Sévigné, 7 juill. 1680.
  • 13 Terme de chimie. Tomber sous forme de précipité. Une portion de la colle se précipite avec les principes qu'elle a enveloppés, Genlis, Maison rust. t. III, p. 299, dans POUGENS.

HISTORIQUE

XVe s. Le suppliant n'avoit bonnement de quoy acheter des anneaulx d'argent à sa femme pour mettre en ses doiz et s'en parer ; et pour ce que sa dite femme l'en precipitoit fort de lui en donner…, Du Cange, praecipitium.

XVIe s. Par conseil precipité, Rabelais, Garg. I, 31. Quand Tiphoeus si fort se despita, Que dans la mer les monts precipita, Rabelais, ib. I, 58. Ô qu'un grand heur est trop precipité ! Saint-Gelais, 170. …Et que les feus, qui d'en hault precipitent [les astres qui se couchent], De tous costez au sommeil nous incitent, Du Bellay, J. IV, 8, verso. Tant de gens qui se sont pendus, noyez et precipitez, Montaigne, I, 64. Il ne fault pas se precipiter si esperduement aprez nos affections et interests, Montaigne, IV, 161. C'est aux guerres qu'on doit monstrer sa valeur et hazarder liberalement sa vie, et ceux qui la vont precipitans aux querelles, font croire qu'ils ne l'estiment pas de grand prix, Lanoue, 254. Une retraite precipitée, Lanoue, 643. Il fut precipité du hault en bas du Capitole à travers les rochers qui y sont, Amyot, Cam. 62. Craignant que Minutius ne se precipitast et hastast de faire quelque grand mal avant qu'il fust arrivé, Amyot, Fab. 23. Cela le contraignoit de precipiter ainsi ceste guerre avec grands dangers, Amyot, Sylla, 26.

ÉTYMOLOGIE

Lat. praecipitare, de praeceps, qui tombe la tête en avant, de prae, en avant, et caput, tête (voy. CHEF).