« vertu », définition dans le dictionnaire Littré
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vertu
- 1Force morale, courage (sens propre du latin virtus).
La honte de mourir sans avoir combattu Arrête leur désordre, et leur rend leur vertu
, Corneille, Cid, IV, 3.Et, bien qu'animal sans vertu, Il [l'âne couvert de la peau du lion] faisait trembler tout le monde
, La Fontaine, Fabl. v, 21.Cette femme, aussitôt, fine, adroite, hautaine, Saura mettre à profit votre peu de vertu, Et triompher de vous, vous voyant abattu
, La Fontaine, Eunuque, I, 1.N'avoir ni force ni vertu, n'avoir ni force ni courage.
Mais enfin, interdit, languissant, abattu, Je sens que je n'ai plus ni force ni vertu
, Baron, Andrienne, II, 1.Benjamin est sans force, et Juda sans vertu
, Racine, Athal. I, 1.Il est comme le soleil de janvier qui n'a ni force ni vertu, se dit d'un homme faible.
- 2Ferme disposition de l'âme à fuir le mal et à faire le bien.
Saint Augustin dit au quatrième livre de la Cité de Dieu que la plupart des anciens ne définissaient point autrement la vertu que l'art de bien vivre… le même propose ailleurs une autre définition de la vertu, qui est plus étendue, et dont saint Thomas s'est voulu servir, la nommant une bonne qualité qui fait bien vivre celui qui la possède, de laquelle personne ne peut mal user, et que nous tenons de la main de Dieu… d'autres, comme Cicéron, l'ont nommée une constante disposition à bien faire et à suivre la raison
, La Mothe le Vayer, Vertu des païens, I, avant-propos.La vertu rend parfois les malheurs vénérables
, Tristan, M. de Chrispe, IV, 4.La vertu n'irait pas si loin, si la vanité ne lui tenait compagnie
, La Rochefoucauld, Maxim. au mot vertu.Il faut parmi le monde une vertu traitable
, Molière, Mis. I, 1.Nous ne nous soutenons pas dans la vertu par notre propre force, mais par le contre-poids de deux vices opposés, comme nous demeurons debout entre deux vents contraires
, Pascal, Pens. XXV, 12, édit. HAVET.La vraie vertu et la vraie religion sont choses dont la connaissance est inséparable
, Pascal, ib. XI, 2.Ce que peut la vertu d'un homme ne se doit pas mesurer par ses efforts, mais par son ordinaire
, Pascal, ib. VI, 27.Il [Montaigne] rejette bien loin cette vertu stoïque qu'on peint avec une mine sévère, un regard farouche, des cheveux hérissés, le front ridé…
, Pascal, Entret. avec M. de Saci.Elle croyait voir partout dans ses actions un amour-propre déguisé en vertu
, Bossuet, Anne de Gonz.Ainsi que la vertu le crime a ses degrés
, Racine, Phèdre, IV, 2.Qui le dirait ! la vertu même a besoin de limites
, Montesquieu, Espr. XI, 4.On dit de Marcus Brutus qu'avant de se tuer il prononça ces paroles : ô vertu, j'ai cru que tu étais quelque chose, mais tu n'es qu'un vain fantôme
, Voltaire, Dict. phil. Vertu, 1.Qu'est-ce que vertu ? bienfaisance envers le prochain ; puis-je appeler vertu autre chose que ce qui me fait du bien ?
Voltaire, ib. 2.Nous avons si peu de vertu, que nous nous trouvons ridicules d'aimer la gloire
, Vauvenargues, Réfl. et Max. 59.La vertu, supérieure à la probité, exige qu'on fasse le bien, et y détermine
, Duclos, Consid. mœurs, 4.Il n'est pas si facile qu'on pense de renoncer à la vertu : elle tourmente longtemps ceux qui l'abandonnent
, Rousseau, Hél. III, 18.Chère amie, ne savez-vous pas que la vertu est un état de guerre, et que, pour y vivre, on a toujours quelque combat à rendre contre soi ?
Rousseau, ib. VI, 7.C'est là qu'il [Sénèque] dit de la gloire, qu'elle est à la vertu ce que l'ombre est au corps
, Diderot, Cl. et Nér. II, 28.La véritable vertu, c'est de donner aux êtres qui souffrent, et dont on n'attend ni plaisir ni reconnaissance
, Genlis, Mères riv. t. III, p. 137, dans POUGENS.Familièrement. Vous avez bien de la vertu, se dit à quelqu'un qui vient de faire un chose pour laquelle on se sent de la répugnance.
Faire de nécessité vertu, faire de bonne grâce une chose obligée, mais désagréable.
La Rancune… faisant de nécessité vertu, commença à jouer des bras
, Scarron, Rom. com. II, 5. - 3Il se dit aussi de telle ou telle qualité particulière.
On ne méprise pas tous ceux qui ont des vices ; mais on méprise tous ceux qui n'ont aucune vertu
, La Rochefoucauld, Max. 186.Nos vertus ne sont le plus souvent que des vices déguisés
, La Rochefoucauld, ib. au mot vertu.Les vertus devraient être sœurs, Ainsi que les vices sont frères
, La Fontaine, Fabl. VIII, 25.Je n'admire point l'excès d'une vertu, comme de la valeur, si je ne vois en même temps l'excès de la vertu opposée, comme en Épaminondas, qui avait l'extrême valeur et l'extrême bénignité
, Pascal, Pens. VI, 21.La vraie et unique vertu est de se haïr ; car on est haïssable par sa concupiscence
, Pascal, ib. XXIV, 39 bis.Quand on veut poursuivre les vertus jusqu'aux extrêmes de part et d'autre, il se présente des vices qui s'y insinuent insensiblement
, Pascal, ib. XXV, 62.Les passions dominées sont vertus
, Pascal, ib. XXV, 104.Nous savons que toutes les vertus, le martyre, les austérités et toutes les bonnes œuvres sont inutiles hors de l'Église et de la communion du chef de l'Église qui est le pape
, Pascal, Lett. à Mlle de Roannez, 1.La princesse palatine avait les vertus que le monde admire, et qui font qu'une âme séduite s'admire elle-même
, Bossuet, Anne de Gonz.Il y a, disent les théologiens, deux sortes de vertus : les unes, selon le langage de l'école, vertus affectives, et les autres vertus effectives
, Bourdaloue, Exhort. sur la prière de J. C. t. I, p. 404.On lui dit mille fois que la franchise n'était pas une vertu de la cour
, Fléchier, Duc de Mont.Il apprit à cultiver en lui les vertus secrètes qui sont encore plus estimables que les éclatantes
, Fénelon, Tél. XX.Ces vertus fondées sur la coutume et sur les préjugés d'un peuple sont toujours des vertus estropiées, faute de remonter jusqu'aux premiers principes…
, Fénelon, Dial. des morts, 7.Il est vrai qu'il y a deux vertus que les hommes admirent, la bravoure et la libéralité, parce qu'il y a deux choses qu'ils estiment beaucoup et que ces deux vertus font négliger, la vie et l'argent
, La Bruyère, XI.Souvent les vertus des grands hommes N'ont été que des passions
, Lamotte, Odes, t. I, p. 62, dans POUGENS.Il y a encore bien des mœurs, des vertus, de l'héroïsme dans votre Paris ; il y en a plus qu'ailleurs, croyez-moi
, Galiani, Corresp. 25 janv. 1772.Vertus civiles, vertus politiques, amour de la gloire, amour de la patrie, discipline austère et savante, ils [les Romains] avaient tout ce qui est nécessaire pour rendre un peuple puissant
, Condillac, Étud. hist. I, 8.Petites vertus, qualités morales appliquées dans les petites choses.
Je suis triste, ma mignonne ; le pauvre petit compère [Ch. de Sévigné] vient de partir ; il a tellement les petites vertus qui font l'agrément de la société, que, quand je ne le regretterais que comme mon voisin, j'en serais fâchée
, Sévigné, 15 avr. 1676.Vertus théologales, la foi, l'espérance et la charité.
Vertus cardinales, la prudence, la justice, la tempérance et la force.
- 4Personne vertueuse.
La vertu la plus ferme évite les hasards
, Corneille, Poly. II, 4.Plus l'obstacle est puissant, plus on reçoit de gloire ; Et les difficultés dont on est combattu Sont les dames d'atour qui parent la vertu
, Molière, l'Ét. v, 11.Il est persécuté : la vertu malheureuse Devient plus respectable, et m'est plus précieuse
, Voltaire, Scythes, I, 1. - 5Chasteté (pudicité, ne se dit guère qu'en parlant des femmes). Au milieu des tentations, cette femme a su conserver sa vertu.
Dieux, qui la connaissez, Est-ce donc sa vertu que vous récompensez ?
Racine, Phèdre, II, 6.Familièrement.
Ta femme est une vertu : Ce soir tu seras battu
, Béranger, Ivrog.Moyenne vertu, sagesse peu farouche.
Cette crainte ne m'empêcha pas de prendre plaisir à me voir agacer par de jolies dames de moyenne vertu
, Lesage, Guzm. d'Alf. II, 6.Ironiquement. Les vertus des salons, les dames qui craignent de s'effaroucher facilement.
Ce dernier mot dût-il scandaliser les vertus de salon
, Béranger, Préface de 1833. - 6Qualité qui rend propre à produire certains effets.
Ces herbes ne sont pas d'une vertu commune ; Moi-même, en les cueillant, je fis pâlir la lune
, Corneille, Médée, IV, 2.Cet homme ne chasse les démons que par la vertu de Beelzébut, prince des démons
, Sacy, Bible, Évang. St Math. XII, 24.Je vous arrête à cette rime ; Je ne la tiens pas légitime Ni d'une assez grande vertu
, La Fontaine, Fabl. II, 1.Nous avons vu que le théâtre a une grande vertu pour la correction
, Molière, Tart. préface.Ô mon père, lui dis-je, voilà des paroles bien puissantes ! sans doute elles ont quelque vertu occulte pour chasser l'usure que je n'entends pas
, Pascal, Prov. VIII.Vertu apéritive d'une clef, attractive d'un croc
, Pascal, Pens. XXV, 130 bis.Les anciens sacrifices devaient perdre leur vertu [à la venue du Messie]
, Bossuet, Hist. II, 10.D'abord il a tenté les atteintes mortelles Des poisons que lui-même a crus les plus fidèles ; Il les a trouvés tous sans force et sans vertu
, Racine, Mithr. v, 4.La vertu de la croix ne cesse d'attirer tout à elle
, Fénelon, Serm. sur la voc. des gentils.Voulant savoir toute la vertu de l'expression
, Hamilton, Gram. 9.Je ne désapprouve point ceux qui rejettent cette vertu que l'on attribue à de certaines paroles
, Montesquieu, Lett. pers. 142.L'on a observé qu'en mettant dans cette situation [en direction avec le méridien magnétique] des verges de fer, les unes en incandescence et les autres froides, les premières reçoivent la vertu magnétique bien plus tôt et en bien plus grande mesure que les dernières
, Buffon, Min. t. IX, p. 167.Faire vertu, exercer une certaine influence.
Mais, monsieur, attendant que Sabine survienne, Et que sur son esprit vos dons fassent vertu…
, Corneille, Ment. IV, 1.Terme de scolastique. Absence de vertu, état de deux substances qui n'ont aucun effet l'une sur l'autre.
Terme d'alchimie. Vertu céleste, la chaleur naturelle ou le feu interne de la matière.
- 7 Au plur. Terme de théologie. Un des ordres de la hiérarchie céleste. Les Dominations, les Vertus. On met un grand V.
- 8En vertu de, loc. prép. En conséquence de, en raison de.
Les merveilles qu'il fit en vertu de cet art damnable
, Bossuet, Hist. II, 12.Qu'on me dise en vertu de quoi cet homme-là s'est mis dans la tête que je ne l'aime point
, Marivaux, le Legs, sc. 20.En vertu de la force centrifuge qui résulte du mouvement de rotation sur son axe, la terre a nécessairement pris la forme d'un sphéroïde
, Buffon, Hist. nat. Preuv. th. terr. Œuv. t. I, p. 334. - 9Vertu de ma vie ! sorte d'exclamation.
Vertu de ma vie, comme vous débitez !
Molière, Festin, I, 2.PROVERBE
Face d'homme porte vertu, la présence d'un homme sert bien à ses affaires.
HISTORIQUE
XIe s. Signur baron, de Deu aiez vertu [force]
, Ch. de Rol. LXXX. [Il] Nen ad vertut, trop ad perdut del sanc
, ib. CLXIII. Pur Karlemagne fist Deus vertuz mult granz
, ib. CLXXVI.
XIIe s. Vertu me done [donne-moi force] vers cele gent haïe
, Ronc. p. 54. Condui ma gent à force et à vertu
, ib. p. 124. En Deu ferums vertu, e il à nient demerrat [mènera] les travaillanz nus [ceux qui nous persécutent]
, Liber psalm. p. 78.
XIIIe s. Li cuens de Champaigne Et li rois d'Espaigne Fussent vil et abattu, Et France fust en vertu
, Hues de la Ferté, Romancero, p. 191. Saint Bernars dist : vertus est us de la volenté selonc le jugement de raison
, Latini, Trésor, p. 338. Il n'est pas des vertus aussi comme des ars ; car qui veult estre bons en aucune art, il ne li convient autre chose que savoir la ; mais en vertu li savoirs n'est pas soffisanz sans l'uevre
, Latini, ib. p. 269. Aime ton Dieu de tout ton cuer et de toute t'ame et de toute ta vertu
, Latini, ib. p. 78. Elle reclaime Dieu et ses saintes vertus
, Berte, XXIV. … et s'entrevienent de si très grant vertu, que chaingles [sangles] ne poitrail ne lor porent aidier que cascuns d'eaus [d'eux] ne cheist à terre
, Chr. de Rains, p. 77. Cascun set que compaignie se fait par mariage ; car, si tost comme mariage est fes, li bien de l'un et de l'autre sont commun par le [la] vertu du mariage
, Beaumanoir, XXI, 2.
XIVe s. Or avons nous divisé devant les vertus de l'ame, et avons dit que les unes sont vertus de meurs ou morales, et les autres sont vertus intellectuelles
, Oresme, Éth. 170. Aucune foiz en françois vertu signifie vigueur de corps
, Oresme, ib. 21.
XVe s. Encore montra-t-elle [l'oriflamme de Charles VI] là de ses vertus
, Froissart, II, II, 196. Cela allege le cueur et le reconforte [de parler à un ami], et les esperitz reviennent en leur vertu pour parler en ung conseil ou prendre autre labeur
, Commines, V, 5. Je me merveille d'un abus, Quant et pourquoi en commença à jurer Dieux et ses vertus
, Deschamps, Poésies mss. f° 32.
XVIe s. Jouer à honnestes jeux, comme aux merveilles, aux estats, aux ventes, aux vertus, aux rencontres et autres
, Yver, p. 524. Estouffa on la memoire de sa liberalité et de ses faicts d'armes [de Manlius Capitolinus] et recompenses militaires octroyées à sa vertu, parce qu'il affecta depuis la royauté ?
Montaigne, IV, 160. Quand la vertu mesme seroit incarnée, je crois que le pouls luy battroit plus fort allant à l'assault qu'allant disner
, Montaigne, I, 339. Vertu gist au milieu
, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 434.
ÉTYMOLOGIE
Bourguign. vatu ; Berry, vartu, propriété ; provenç. vertut, virtut ; espagn. virtud ; ital. virtù ; du lat. virtutem, de vir, homme ; comparez le sanscr. vīra, héros.