« posséder », définition dans le dictionnaire Littré

posséder

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posséder

(po-sé-dé. La syllabe sé prend un accent grave quand la syllabe qui suit est muette : je possède, excepté au futur et au conditionnel : je posséderai, je posséderais) v. a.
  • 1Avoir comme propriété, tenir en son pouvoir. C'est une chose horrible de sentir s'écouler tout ce qu'on possède, Pascal, Pens. XXIV, 16 bis, éd. HAVET. On [dans les cloîtres] est sensible aux moindres commodités qui manquent ; on ne veut rien posséder, mais on veut tout avoir, Bossuet, Sermons, Oblig. de l'état relig. 2. Qui vit content de rien possède toute chose, Boileau, Épître v. Sur ces biens, sur leur usage Ton vrai bonheur est fondé ; Qu'ils soient possédés du sage, Sans qu'il en soit possédé, Voltaire, Poëmes, Ecclésiaste. Avoir, ce n'est pas posséder ; pour posséder les choses, il faut une certaine vigueur d'âme ; pour les avoir, il suffit d'être riche, D. Stern, Esquisses morales, p. 108.

    Absolument. Cependant je possède, et leur droit incertain [de mes enfants] Me laisse avec leur sort leur sceptre dans la main, Corneille, Rod. II, 2. En toute espèce de biens, posséder est peu de chose ; c'est jouir qui rend heureux, Beaumarchais, Barb. de Sév. IV, 1.

    Il se dit, en un sens analogue, des emplois, des charges, des dignités. Possédez-les [les grandeurs], seigneur, sans qu'elles vous possèdent, Corneille, Cinna, II, 1.

    Posséder peut avoir un nom de chose pour sujet, et signifie alors contenir, renfermer, avoir. Ce pays possède des mines de fer. Cette ville possède un charme pour ainsi dire individuel, Staël, Corinne, XV, 4.

  • 2Posséder, en style juridique, signifie, au sens strict, avoir en son pouvoir, exercer les faits qui, lorsque le droit s'y joint, constituent la propriété, mais sans impliquer la question de savoir si le droit s'y joint. Posséder de bonne foi.

    Au sens plus large, il signifie être propriétaire de.

    Terme d'ancienne jurisprudence. Posséder en roture, tenir à titre de cens ; posséder en fief, tenir à titre de foi et hommage.

  • 3 Fig. Il se dit des choses morales que l'on possède. Mais enfin je renonce à la vertu romaine, Si, pour la posséder, je dois être inhumaine, Corneille, Hor. IV, 7. Elle possédait l'affection de son époux, Bossuet, Reine d'Anglet.

    Dans le langage religieux, les bienheureux possèdent la gloire éternelle, possèdent Dieu, ils jouissent de la gloire éternelle, de la vue de Dieu.

    Posséder Dieu, se dit aussi de la connaissance de la vraie religion. Si cette religion se vantait d'avoir une vue claire de Dieu, et de le posséder à découvert et sans voile, Pascal, Pens. IX, 1, éd. HAVET. Si l'orgueil des platoniciens ne pouvait pas se rabaisser jusqu'aux humiliations du Verbe fait chair, ne devaient-ils pas du moins comprendre que l'homme, pour être un peu au-dessous des anges, ne laissait pas d'être comme eux capable de posséder Dieu ? Bossuet, Hist. II, 12.

    Posséder le secret de quelqu'un, le connaître et pouvoir en user à son gré. Je possédais son secret, elle me craignait, elle était forcée de m'obéir, Genlis, Veillées du château t. III, p. 501, dans POUGENS.

    Posséder l'esprit de quelqu'un, le gouverner à son gré.

    On dit de même : posséder l'oreille de quelqu'un. Ne possédez-vous pas son oreille et son cœur ? Racine, Esth. III, 2.

    Posséder l'âme, le cœur d'une personne, en être aimé. Il possédait ton âme, il vivait sous tes lois, Corneille, Cid, IV, 2. Il possédait mon cœur, mes désirs, ma pensée, Corneille, Poly. I, 3.

    Posséder les bonnes grâces de quelqu'un, en être aimé, en être favorisé.

  • 4Posséder quelqu'un, jouir de la présence d'une personne dont la vie se prolonge. Toutes deux [les reines Anne et Marie-Thérèse] d'une si heureuse constitution, qu'elles semblaient nous promettre le bonheur de les posséder un siècle entier, Bossuet, Mar.-Thér.

    Posséder quelqu'un, l'avoir chez soi, jouir de sa présence, de sa conversation. Ne pourrai-je point avoir la consolation de vous posséder quelques jours dans ma retraite ? Voltaire, Lett. Le Riche, 14 mars 1767.

  • 5Être l'époux d'une femme. Et, ne pouvant quitter ni posséder Chimène, Le trépas que je cherche est ma plus douce peine, Corneille, Cid, III, 6. Si un autre la devait posséder, je passerais le reste de mes jours avec tristesse et amertume, Fénelon, Tél. XXII.

    Il se dit aussi d'une femme à l'égard d'un homme. J'ai quelque beauté, je suis jeune ; il n'y a qu'un moment que je possédais le plus agréable de tous les dieux, et je vas mourir ! La Fontaine, Psyché, II, p. 109.

    Posséder une femme, jouir de ses faveurs. Un Gascon pour s'être vanté De posséder certaine belle, La Fontaine, Gasc. Je l'aimais trop pour vouloir la posséder, Rousseau, Conf. IX.

    Absolument. Ô bon Émile, aime, et sois aimé ! jouis longtemps avant que de posséder ; jouis à la fois de l'amour et de l'innocence, Rousseau, Ém. v. Aimez sans inquiétude ; possédez sans dégoût ; désirez pour jouir ; faites des jaloux, et ne le soyez jamais, Marmontel, Contes moraux, Quatre flacons.

  • 6 Fig. Connaître parfaitement, savoir bien. Ceux qui possèdent Aristote et Horace voient d'abord. …que cette comédie pèche contre toutes les règles de l'art, Molière, Critique, 7. Pour bien écrire, il faut posséder pleinement son sujet, Buffon, Morceaux choisis, p. 8. Tout homme qui n'est pas né Français, ou habitué depuis longtemps à Paris, ne saurait posséder la langue au degré de perfection si nécessaire pour faire de bons vers ou de la prose élégante, Voltaire, Lett. du roi de Prusse à Voltaire, 18 avril 1759. Quand on trouvera que l'écolier possède assez bien son clavier naturel, on commencera alors à le lui faire transposer sur d'autres clefs, Rousseau, Dissert. sur la mus. mod.
  • 7 Fig. Maîtriser, contenir. C'est une pitié que d'être si vive ; il faut tâcher de calmer et de posséder un peu son âme, Sévigné, 26 juin 1675. Les justes ont possédé leur âme dans la patience, Massillon, Avent, Affl. Avez-vous toujours possédé le vase de votre corps dans l'honneur et dans la sainteté ? Massillon, Avent, Disp. à la comm. Ce sont des mouvements inconnus qui l'enveloppent, qui disposent d'elle, qu'elle ne possède point, qui la possèdent, Marivaux, Marianne, 2e part.

    Posséder son âme en paix, jouir d'une tranquillité d'esprit constante, due à une bonne conscience. Dans leurs tribulations ils possédaient leurs âmes en paix et en patience, Fléchier, Panég. I, 371.

  • 8Il se dit des objets qui nous dominent moralement. Mais ne peut-on savoir le mal qui te possède ? Régnier, Dial. Les grandes prospérités éblouissent et enivrent souvent de telle sorte qu'elles possèdent plutôt ceux qui les ont, qu'elles ne sont possédées par eux, Descartes, Lett. à Élisabeth, t. IX, p. 206, éd. COUSIN. Mon cœur… N'ose déplaire aux yeux dont il est possédé, Corneille, Poly. I, 1. Ne possédait pas l'or ; mais l'or le possédait, La Fontaine, Fabl. IV, 20. Il [le cardinal de Retz] est possédé de l'envie de payer ses dettes, et de n'en pas faire de nouvelles, Sévigné, 25 août, 1677. Comme il [Cromwell] eut aperçu que… le plaisir de dogmatiser… était le charme qui possédait les esprits, Bossuet, Reine d'Anglet. Toute la terre était possédée de la même erreur, Bossuet, Hist. II, 5. Qui voit Aristote louer ces heureux moments où l'âme n'est possédée que de l'intelligence de la vérité…, Bossuet, Conn. v, 13. Comme on le raillait [Aristippe] sur le commerce qu'il avait avec la courtisane Laïs : il est vrai, dit-il, je possède Laïs, mais Laïs ne me possède pas, Rollin, Hist. anc. liv. XXVI, I, 2, 1. Dieu permet que le monde nous possède un certain temps, Massillon, Carême, Dégoûts. Trop de prévention peut-être me possède, Voltaire, Tancr. II, 1. D'un fanatisme ardent le peuple est possédé, Delavigne, Vêpr. sicil. II, 2.
  • 9 Terme de liturgie catholique. S'emparer du corps d'un homme, en parlant du démon. Le démon le possède.

    Être possédé, être tourmenté par l'esprit malin.

    Fig. Jérusalem était possédée d'un démon, lorsque autrefois elle imitait toutes les impiétés des nations, Massillon, Carême, Inconst.

    Fig. Être possédé du démon de l'avarice, être extrêmement avare.

    Fig. Le diable le possède, il est possédé du diable, c'est un homme emporté et qui n'écoute rien. Il me dit qu'il était possédé du diable, que plusieurs personnes de sa connaissance en avaient été possédées aussi ; qu'ils avaient mis sur le théâtre les Américains, les Chinois, les Scythes, les Illinois, les Suisses, et qu'il y voulait mettre les Guèbres, Voltaire, Lett. d'Argental, 14 août 1768.

  • 10Se posséder, v. réfl. Être possédé, tenu comme propriété. Ce qui est présent ne se possède jamais sans crainte, pouvant être à tous moments altéré, La Mothe le Vayer, Vertu des païens, II, Épicure.

    Fig. Se posséder, être maître de soi, se contenir. Et l'on sait qu'un grand cœur se possède en tout temps, Corneille, Perthar. III, 3. Quand vous vous possédez, vos paroles ont une force extrême, Sévigné, 441. La haine nous transporte, et nous ne nous possédons plus, Bossuet, Var. 15. Celui qui ne se possède point dans les dangers…, Fénelon, Tél. XI. Je ne me possède plus, je suis au désespoir, Lesage, Turcaret, v, 14. Ces paroles percèrent le cœur de l'ingénu ; mais il avait déjà appris à se posséder, Voltaire, L'Ingénu, 19. Ah ! déjà trop longtemps je me suis possédé, Il me vient dans les doigts une pressante envie…, Boissy, Impatient, II, 7.

    Il ne se possède pas de joie, il est transporté de joie.

HISTORIQUE

XIIIe s. Porsooir, Du Cange, possessores.

XIVe s. Possuire, Du Cange, ib. Ses propres possessions lesquelles il possiet non pas pour elles meisme ne comme bien final…, Oresme, Eth. 105. Les biens humains que nous posseions ou aquerons, Oresme, ib. VII, 13. Et les estranges terres possider et conquerre, Bercheure, f. 1. Lequel champ il disoit estre non deuement possidez par aucuns, Bercheure, f. 42, recto.

XVIe s. Se contenter d'aspirer à la vertu, sans la posseder, Montaigne, I, 70. Cette amitié qui possede l'ame et la regente en toute souveraineté, Montaigne, I, 216. C'est le jouir, non le posseder, qui nous rend heureux, Montaigne, I, 329. Possedé de maling esprit, Amyot, Marcel. 31.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. possedir, possezir, possider ; cat. posseir ; espagn. posseer ; port. possuir ; ital. possedere ; du lat. possidere, qui vient de pos (voy. POLLUER), et sedere, seoir : être assis sur ; comparez l'allem. besitzen. L'ancienne langue disait posseoir ; c'est au XIVe siècle que la forme latine s'établit : possider, puis posséder.