« refuser », définition dans le dictionnaire Littré

refuser

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

refuser

(re-fu-zé) v. a.
  • 1Ne pas accepter ce qui est offert, présenté. Refuser une offre. Il a refusé de se servir de mon bras. J'aurais refusé également la religion de Mahomet et celle de la Chine… par cette seule raison que l'une n'ayant pas plus de marques de vérité que l'autre…, Pascal, Pens. XIV, 3, édit. HAVET. Les Juifs le refusent [Jésus], mais non pas tous ; les saints le reçoivent, et non les charnels, Pascal, ib. XIX, 5 bis. Comme il n'a jamais refusé ce qui était raisonnable étant vainqueur, il a toujours rejeté ce qui était faible et injuste étant captif, Bossuet, Reine d'Anglet. La paix que vous avez tant de fois refusée, Fléchier, Turenne. D'Alembert est pauvre, et il n'est pauvre que parce qu'il a refusé cinquante mille livres de rentes en Russie, Voltaire, Lett. Richelieu, 6 avr. 1772.

    Il se dit des pièces de théâtre que les auteurs présentent, et que les comédiens ne veulent pas jouer. La tragédie de Sylla fut présentée aux comédiens et refusée, Voltaire, Louis XIV, Écrivains, le P. de la Rue. On assure que, Voltaire ayant fait présenter aux comédiens sa tragédie de Mérope, sans leur apprendre qu'il en était l'auteur, elle fut refusée, parce qu'il n'y avait point dans cette pièce d'autre amour que la tendresse maternelle, D'Alembert, Élog. la Chauss. note 2.

  • 2Ne pas consentir à ce qui est demandé, ordonné. Il a refusé son consentement. Refuser obéissance. Que dirai-je des difficultés qu'on suscite dans l'exécution, lorsqu'on n'a pu refuser la justice à un droit trop clair ? Bossuet, le Tellier. On ne se trompe pas quand on attribue tout à la prière ; Dieu, qui l'inspire, ne peut lui rien refuser, Bossuet, Mar.-Thér. M. de Lamoignon refusa-t-il à quelqu'un la liberté de lui dire les choses nécessaires ? Fléchier, Lamoignon. Et Pégase pour eux refuse de voler, Boileau, Disc. au roi. Les dogmes de l'impiété n'ont rien de plus clair et de plus intelligible que les mystères de la religion ; et, en refusant de croire, on perd la foi, sans que la raison y gagne et s'éclaircisse, Massillon, Or. fun. Conti. Je suis obligé de m'excuser de mon voyage à Berlin auprès d'un cœur comme le vôtre…j'ai refusé au roi de Prusse deux jours de plus qu'il me demandait, Voltaire, Lett. d'Argental, 6 janv. 1741. Le régent ne savait rien refuser ; et ce qu'il ne donnait pas, on le lui arrachait, Duclos, Œuv. t. V, p. 372. On offre les services, on refuse les secours, Duclos, Consid. mœurs, 7. On refuse durement le nécessaire, on accorde aisément le superflu, Duclos, ib.

    Absolument. Il s'est trouvé des hommes qui refusaient plus honnêtement que d'autres ne savaient donner, La Bruyère, VIII. L'impossibilité d'obéir n'a plus d'autre nom que la rébellion et la mauvaise volonté qui refuse, Massillon, Pet. carême, Tentat. des gr. Pouvant refuser avec aménité, je refusai avec dureté, et voilà en quoi j'eus tort, Rousseau, Conf. X.

    Refuser la porte à quelqu'un, ne pas lui permettre l'entrée de quelque lieu. Il se présenta pour entrer au bal, on lui refusa la porte.

  • 3Refuser quelqu'un, ne pas l'accepter. Ce domestique a été refusé. On lui présenta des commis ; il les refusa.

    Refuser une fille en mariage, veut dire qu'on la refuse à l'homme qui la demande, ou que l'homme à qui on la propose la refuse.

    On dit de même, en parlant de mariage : Cet homme a refusé un bon parti ; Cette fille a refusé un parti avantageux ; On lui a refusé la main de cette jeune personne.

  • 4En parlant des personnes, ne pas leur accorder ce qu'elles demandent. Ce n'est pas toujours jeu sûr de refuser de plus grand que soi, Retz, II, 343. Ne les pressez point tant, ces dieux qui vous refusent ; Ils savent mieux que nous d'où dépend notre bien, Quinault, Agrippa, IV, 2. Dieu vous refuse ? mais c'est pour vous obliger de le prier plus longtemps, Massillon, Carême, Prière 2. Je dois te refuser, hélas ! et ne le puis, Delavigne, le Paria, IV, 2.

    Refuser quelqu'un de quelque chose, ne pas lui accorder cette chose. Le comte : Qui peut mieux l'exercer [un emploi] en est bien le plus digne. - D. Diègue : En être refusé n'en est pas un bon signe, Corneille, le Cid, I, 6. Voilà tout mon souhait et toute ma prière ; M'en refuserez-vous ? Corneille, Hér. IV, 4. Vous ne l'avez jamais refusé de rien [le cardinal de Richelieu], Lett. de l'Acad. franç. au chevalier Servien, dans PELLISSON, Hist. de l'Acad. IV. Quelle plus grande honte y a-t-il d'être refusé d'un poste que l'on mérite, ou d'y être placé sans le mériter ? La Bruyère, VIII. Un homme de mérite se donne, je crois, un joli spectacle, lorsque la même place à une assemblée ou à un spectacle dont il est refusé, il la voit accorder à un homme qui n'a point d'yeux pour voir, ni d'oreilles pour entendre, La Bruyère, VIII. En le refusant [le régent] des 50000 livres de rente sur Lyon, il [Villeroy] ne refusait rien en effet, Saint-Simon, 474, 76.

  • 5Ne pas accorder, sans idée que rien soit demandé. Ma voix, depuis dix ans qu'il commande une armée. A-t-elle refusé d'enfler sa renommée ? Corneille, Nicom. IV, 2. Si mon cœur prévenu refuse de vous croire ? Hauteroche, Esp. foll. III, 2. Avec tant de grandes et tant d'aimables qualités, qui eût pu lui refuser son admiration ? Bossuet, Duch. d'Orl. On dit qu'il [Scipion Émilien] ne put refuser des larmes à la malheureuse destinée de Carthage, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. I, p. 557, dans POUGENS. Au milieu des douleurs les plus aiguës, il refuse même à ses souffrances ces plaintes innocentes qui semblent les soulager, Massillon, Or. fun. Conti.

    Ne pas consentir à, ne pas accepter. Refusant tous les autres noms, elle s'obstine à dire qu'elle est la princesse, Bossuet, Duch. d'Orl.

    Refuser avec que et le subjonctif. Puisque vous avez toutes autres sortes d'avantages sur moi, je ne refuserai point que vous ayez encore cettui-ci, Malherbe, Lett. I, 13.

    Ne pas laisser aller à. Quoique vous soyez de profession militaire, je ne vous refuse point aux affaires de notre métier, Guez de Balzac, liv. VIII, lett. 39. Des haines plus modérées et plus tranquilles… qui, en refusant le cœur au devoir, ont assez d'empire sur elles pour donner les apparences au monde, Massillon, Carême, Pardon.

  • 6 Fig. Il se dit des choses auxquelles on attribue en quelque sorte un refus. La nature a refusé la vigne aux contrées équatoriales. [Le vieillard] Inhabile aux plaisirs dont la jeunesse abuse, Blâme en eux les douceurs que l'âge lui refuse, Boileau, Art p. III. Des déserts que le ciel refuse d'éclairer, Racine, Alex. V, 1.
  • 7Se priver de. Passer ses jours dans le repos et dans le plaisir, ne rien refuser à sa sensualité et à ses désirs, Bourdaloue, Pensées, t. III, p. 113.
  • 8Se refuser une chose, la refuser à soi, s'en priver, ne pas se l'accorder. Ces idoles que le monde adore, à combien de tentations délicates ne sont-elles pas exposées ?… et que se peut refuser la faiblesse humaine, pendant que le monde lui accorde tout ? Bossuet, Duch. d'Orl. Il ne se refusait aucune dépense, Montesquieu, Lett. pers. 141.

    Familièrement. Il ne se refuse rien, il se donne tout ce qui lui est agréable. Faire tout ce qu'on veut, vivre exempt de chagrin, Ne se rien refuser, voilà tout mon système ; Et de mes jours ainsi j'attraperai la fin, Regnard, Folies amour. Divert Mur. de la folie, 1.

  • 9 Terme de guerre. L'ennemi refusa sa droite, il évita de l'engager.
  • 10 V. n. Il ne refuse à rien, il se charge de toutes les besognes.
  • 11 Terme de manége. Ce cheval refuse, il ne peut pas ou ne veut pas obéir.
  • 12 En termes de métier, on dit d'un outil (mouton, couteau, charrue), qu'il refuse, quand il ne peut enfoncer, pénétrer, couper.

    Terme de marine. En parlant du vent, changer de direction, de manière à rendre impossible la continuation d'une route commencée au plus près. À six heures et demie, les vents refusant de plus en plus, et la marée contraire étant assez forte…, Bougainville, Voyage, t. II, p. 288.

    Refuser de virer, se dit d'un navire qui n'a pas exécuté le mouvement qui devait, portant sa proue dans le lit du vent, le faire virer ainsi vent devant.

  • 13Se refuser, v. réfl. Être refusé, n'être pas accepté. De pareilles propositions ne se refusent pas.

    N'être pas donné. Achèverai-je d'accabler ton pauvre cœur, ou t'offrirai-je des consolations qui se refusent au mien ? Rousseau, Hél. I, 30.

  • 14Se refuser à une chose, ne pas vouloir la faire. Il se refuse à travailler. Il se refuse à tout ce qu'on exige de lui.

    Il ne se refuse à rien, il est prêt à tout faire.

  • 15Se refuser à une chose, ne pas s'y livrer, ne pas s'y rendre. Cependant à leurs vœux votre âme se refuse, Tandis qu'en ses liens Célimène l'amuse, Molière, Mis. I, 1. Lorsqu'on se voit tout d'un coup élevé aux places les plus importantes… on ne se possède plus… c'est aux hommes vulgaires un trop grand effort, que celui de se refuser à cette éclatante beauté qui se donne à eux, Bossuet, le Tellier. Je n'ai pour tout accueil que des frémissements ; Tout fuit, tout se refuse à mes embrassements, Racine, Phèdre, III, 5. Un cœur qui se refusait aux excès, qui ne paraissait point fait pour le dérèglement, Massillon, Carême, Mot. de conv. On l'a vu, en garde contre lui-même, se refuser aux goûts les plus innocents, Massillon, Or. fun. Conti. Vous vous êtes si longtemps refusé à Dieu, malgré les plus vives inspirations de sa grâce, Massillon, Carême, Prière 1.

    Fig. Se refuser se dit de choses qui n'accomplissent pas leur office. La plume se refuse à décrire de pareilles horreurs. La langue se refuse à la foi qui l'anime, les forces manquent, la parole cesse, Massillon, Or. fun. Conti.

    Le temps se refuse à cela, les circonstances s'y refusent, le temps, les circonstances ne le permettent pas.

    On dit de même : Ma fortune se refuse à une si grande dépense.

    PROVERBE

    Tel refuse qui après muse, ou qui refuse muse, c'est-à-dire on se repent d'avoir refusé ce qui était offert.

    À Genève on dit : qui refuse n'use.

REMARQUE

1. Avec un infinitif, refuser prend ordinairement la préposition de : Il a refusé de marcher ; il vous a refusé de faire la démarche. Quand il s'agit de choses pour lesquelles, si on les accordait, on pourrait dire, donner à, refuser prend la préposition à : Il lui a refusé à dîner, à déjeûner.

2. Corneille a dit : J'aurais peine, seigneur, à lui refuser grâce, Corneille, Sertor. I, 3. On a contesté la correction de cette phrase. Mais pourquoi ne dirait-on pas refuser grâce, comme demander grâce ?

HISTORIQUE

XIe s. Qui dreite lei et dreit jugement refusera, Lois de Guill. 41.

XIIe s. Et mes fins cuers [cœur] me fait d'une amorete Si douz present que [je] ne l'os refuser, Couci, VI. Par sainte obedience [il] a mandé [à] saint Thomas, Que s'il puet faire pes, qu'il ne la refust pas, Th. le mart. 112. Mais altrement font ces choses li ellieu [les élus] et altrement li renfuseit [les refusés], Job, p. 452.

XIIIe s. Et cil [l'aiglon] qui les oils [yeux] remue [en face du soleil], est refusez et gitez dou nif comme bastars, Latini, Trésor, p. 196. La vie contemplative refuse le monde, et se delite [délecte] en Dieu seulement, Latini, ib. p. 458. Il oï parler de la grant carité de l'hospital d'Acre, et oï dire que nus mesaisiés [malade] n'i estoit refusés, Chr. de Rains, p. 107. Ele [la dame] a, espoir [peut-être], tel refusé Dont ele se repentiroit, S'ele recouvrer i pooit, Lai du conseil. Riens n'i perdent li refusé, Fors tant cum il i ont musé, la Rose, 7609. Qui ne les refuse [les juges] avant que jugement soit fes, il ne les pot refuser fors par apel, Beaumanoir, LXVI, 1.

XVe s. Ils refuserent à payer, Froissart, I, I, 275. [Ils] esperonnerent leurs chevaux de grand voulonté ; mais à ceste premiere lance ils faillirent, car les chevaux refuserent, Froissart, liv. IV, p. 41. Son mary l'a refusée d'une robbe, dont elle est bien couroucée, Les 15 joyes du mariage, p. 81, dans LACURNE. Tel reffuse au premier jour ung marché, qui au second le octroye, Perceforest, t. IV, f° 111.

XVIe s. Chiron refusa l'immortalité, Montaigne, I, 89. Qu'il ne semble pas reprocher à aultruy tout ce qu'il refuse à faire, Montaigne, I, 166. La philosophie ne doibt estre refusée ny aux festins ny aux jeux, Montaigne, I, 182. Je ne veulx pas qu'on refuse, aux charges qu'on prend, l'attention… et le sang au besoing, Montaigne, IV, 152. Il ne le demanda point [à être censeur], pour la doubte qu'il eut d'en estre refuzé, Amyot, Marius, 55. Ilz refuzerent de passer oultre, Amyot, Lucul. 63. Et qui plus est, quand il cuida entrer au logis de Caton, on luy refusa la porte, à cause que…, Amyot, C. d'Ut. 49.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. refusar, refudar, refuidar ; espagn. rehusar ; ital. rifiutare. Mot incertain. L'italien rifiutare vient du latin refutare qui avait pris de bonne heure dans la basse latinité le sens de refuser. Mais le changement du t en s ne s'explique ni dans l'espagnol rehusar, ni dans le français refuser. Diez suppose qu'il y a eu confusion entre le latin recusare et refutare, et qu'il en est résulté un verbe mixte où se trouvent l'f et l's. Cette conjecture est ingénieuse, sans être tout à fait sûre. Recusare avait donné reüser.