« nécessité », définition dans le dictionnaire Littré

nécessité

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nécessité [1]

(né-sè-si-té) s. f.
  • 1Ce qui est absolument nécessaire ; condition nécessaire. Une dure nécessité. Faire une chose par nécessité. Afin que les hommes, édifiés de votre conduite et accoutumés à vous suivre, se trouvent réduits à l'heureuse nécessité de fuir le mal, et à la nécessité encore plus heureuse de faire le bien, Bourdaloue, Sur le scandale, 1er avent, p. 136. Il mourut le 6 août 1706 d'une mort douce et paisible et par la seule nécessité de mourir, Fontenelle, Duhamel.
  • 2Dans un sens abstrait et général, le caractère de ce qui s'impose irrémissiblement. Plier sous le joug de la nécessité. Les dures lois de la nécessité. Le mieux serait peut-être de n'avoir point reçu cette vie dont on se plaint si souvent et qu'on aime toujours ; mais rien n'a dépendu de nous ; nous sommes attachés, comme dit Horace, avec les gros clous de la nécessité, Voltaire, Lett. M***, 4 mai 1772. Et la nécessité, souveraine des lois, Voltaire, Mérope, II, 1. Les délégués de la nation ont pour eux la souveraine des événements, la nécessité, Mirabeau, Collection, t. I, p. 266. Cédez au maître des maîtres, à la nécessité, Mirabeau, ib. t. III, p. 287.
  • 3 Terme de philosophie. Ce qui fait qu'une chose ne peut pas ne pas être. Il ne faut point souffrir en Dieu une nécessité qui soit hors de lui, qui lui soit supérieure, qui le domine… il est lui-même sa propre nécessité, Bossuet, 6e avert. 34.

    Nécessité métaphysique, celle qui fait qu'une chose est telle que le contraire en est impossible ; exemple : deux et deux font quatre.

    Nécessité morale, celle qui oblige les êtres moraux. La distinction de perfection et de conseil, et du bien de nécessité et d'obligation, Bossuet, 5e avert. 13. Cette nécessité de faire toujours le meilleur ne peut jamais être qu'une nécessité morale ; or une nécessité morale n'est pas une nécessité absolue, Voltaire, Lett. Prince royal de Prusse sur la liberté, 1737.

    Terme de théologie. Nécessité de moyen, se dit pour nécessité absolue, par opposition à nécessité de précepte. Le baptême est nécessaire d'une nécessité de moyen ; l'eucharistie n'est, à la rigueur, que d'une nécessité de précepte.

  • 4Ce qui est logiquement nécessaire. Je ne vois pas la nécessité de cette conséquence. Si vous voulez qu'on vous pardonne, c'est une nécessité que vous pardonniez. Vous ne trouvez point que tout cela soit ni bon ni vrai ; je cède à la nécessité et à la force de vos raisons, Sévigné, 28 déc. 1673.
  • 5Ce qui contraint, oblige, en une circonstance donnée. La nécessité était venue de s'expliquer. S'assure-t-on sur l'alliance Qu'a faite la nécessité ? La Fontaine, Fabl. VIII, 22. Nécessité l'ingénieuse Leur fournit une invention, La Fontaine, ib. X, 1. Cette recherche marque en lui une furieuse nécessité à vous aimer, Bussy-Rabutin, Hist. amour. t. I, p. 73. Ne serait-ce pas une tyrannie de les mettre dans cette nécessité ou de… ou de…, Pascal, Prov. XVII. Mettre les peuples dans l'affreuse nécessité ou de ne pouvoir respirer librement, ou de secouer le joug de votre tyrannique domination, est-ce là le vrai moyen de régner sans trouble ? Fénelon, Tél. XI. On est souvent dans la nécessité de s'en servir [des méchants], Fénelon, ib. XXIV. Il est d'une nécessité indispensable que M. le duc de Duras, M. de Chauvelin… crient de toutes leurs forces à l'imposture, Voltaire, Lett. d'Argental, 4 mai 1772. Nécessité tire parti de tout, Nécessité d'industrie est la mère, Gresset, Lutrin vivant. Nécessité l'ingénieuse me conseilla de me ménager cette occasion d'être connu des Sulpiciens et de mon évêque, Marmontel, Mém. II. Ô nécessité dure, ô pesant esclavage ! Chénier, Élég. XXXVI.

    Faire de nécessité vertu, faire de bonne grâce une chose qui déplaît, mais qu'on est obligé de faire. D'une nécessité faites une vertu, Mairet, Sophon. V, 2. Afin qu'après… il fasse de nécessité vertu de meilleure grâce, Corneille, Examen du Menteur.

    Une chose de première nécessité, une chose dont il est impossible ou très difficile qu'on se passe pour exister. Les fruits tels que la terre les produit par sa seule fécondité, sont de première nécessité pour un sauvage, Condillac, Comm. gouv. I, 7.

    Par analogie, les choses de seconde nécessité, les choses qui sont fort utiles, mais dont à la rigueur on pourrait se passer. Les arts multiplient les choses de seconde nécessité, ils les perfectionnent, Condillac, Comm. gouv. I, 2.

  • 6Besoin pressant. Quelle nécessité y avait-il de faire ce que vous avez fait ? Dans une nécessité de toutes choses, Vaugelas, Q. C. 240. Pourquoi le perdons-nous dans la nécessité la plus pressante, au milieu de ses grands exploits… ? Fléchier, Turenne. S'il se trouvait dans une pressante nécessité, Fénelon, Tél. VIII. Elle [Antiope] ne parle que pour la nécessité, et, si elle ouvre la bouche, la douce persuasion et les grâces naïves coulent de ses lèvres, Fénelon, ib. XXII. Il me semble que nous avons un besoin extrême de vous et de M. de Condorcet ; il ne faut pas que vous abandonniez vos amis dans leurs nécessités urgentes, Voltaire, Lett. Morellet, 23 févr. 1776.
  • 7Besoin d'argent, indigence. Il est tombé dans la nécessité. Revenons aux personnes incommodées, pour le soulagement desquelles nos Pères assurent qu'il est permis de dérober non-seulement dans une extrême nécessité, mais encore dans une nécessité grave quoique non extrême, Pascal, Prov. VIII. Mon fils s'en va… on ne voit à Paris que des équipages qui partent ; les cris sur la nécessité sont encore plus grands qu'à l'ordinaire ; mais il n'en demeurera aucun, non plus que les années passées, Sévigné, 10 avr. 1776. Il n'est pas possible que, dans un si grand nombre de branches de commerce, il n'y en ait toujours quelqu'une qui souffre, et dont par conséquent les ouvriers ne soient dans une nécessité momentanée, Montesquieu, Esp. XXIII, 29.
  • 8 Au plur. Tout ce qui est exigé par des besoins physiques ou moraux. De s'offenser pour avoir reçu un soufflet, ou de tant désirer la gloire ; mais cela est très souhaitable à cause des autres biens essentiels qui y sont joints ; et un homme qui a reçu un soufflet sans s'en ressentir est accablé d'injures et de nécessités, Pascal, Pens. V, 14. C'est lui [un ministre] qui reçoit les vœux, qui écoute les plaintes, qui examine les nécessités, qui pèse les services…, Fléchier, Mme d'Aiguillon. S'il m'était libre d'alléguer ici ces expressions vives et nobles dont il s'est servi pour exprimer les nécessités des peuples, vous verriez combien il était sensible à toutes leurs peines, Fléchier, Lamoignon. Les besoins et les nécessités de l'Église, Fléchier, I, 235. Dans les plus grandes nécessités de son peuple, il se contenta d'envoyer un de ses disciples, Fléchier, Panégyr. I, 352. La vue des nécessités humaines que tu peux soulager par tes aumônes, Fléchier, ib. I, 379. La Providence suscita, pour subvenir à ces nécessités pressantes, Ignace comme un autre Esdras, pour rétablir la loi, Fléchier, ib. II, 214. Plût au ciel que, dans cet aveuglement où nous vivons aujourd'hui, chacun de nous eût son prophète qui l'avertît des nécessités de son âme, Fléchier, ib. Franç. de Paule.
  • 9En un sens plus restreint. Les nécessités, les besoins de la vie, les choses nécessaires à la vie. Alexandre fit savoir les nécessités de ses troupes aux gouverneurs des autres provinces, Vaugelas, Q. C. 520. Ceux qui le plaignaient [l'homme qui criait malheur à Jérusalem], ceux qui le maudissaient, ceux qui lui donnaient ses nécessités, n'entendirent jamais de lui que cette terrible parole, Bossuet, Hist. II, 8. Nous parlons pour l'intérêt des pauvres, nous exposons leurs pressantes nécessités, Bourdaloue, Exhort. char. env. les pauvr. t. I, p. 52. Il prenait sur les nécessités absolues de la vie de quoi acheter des livres de cette espèce, ou plutôt il les mettait au nombre des nécessités absolues, Fontenelle, Varignon. À l'égard de l'or et de l'argent du Pérou et du Mexique, le public n'y gagna rien, puisqu'il est égal de se procurer les mêmes nécessités avec cent marcs, ou avec un marc, Voltaire, Polit. et législ. Fragm. hist. Inde, I.

    Menues nécessités des tribunaux, s'est dit des buvettes, du chauffage, etc.

    Par plaisanterie. Les exigences d'un amant auprès de sa maîtresse. Il y a apparence que, si Roquebrune fut habile homme, il profita de l'occasion et représenta ses nécessités à l'agréable Inezilla, Scarron, Roman com. I, 23.

  • 10Besoins d'argent qu'éprouve un pays, un gouvernement, une corporation, une grande maison. Le premier argent qu'il reçut d'Espagne, malgré les nécessités de sa maison, fut donné à ses amis, Bossuet, Louis de Bourbon. L'argent destiné pour les frais du théâtre d'Athènes était un argent sacré : il n'était pas même permis d'y toucher dans les plus grandes nécessités et dans les plus grands dangers de la guerre, Voltaire, Lett. Mlle Clairon, 1765.
  • 11Les nécessités de la nature, les besoins auxquels la nature de l'homme est assujettie, comme boire, manger, etc. Assujettis aux mêmes nécessités naturelles, exposés aux mêmes périls, livrés en proie aux mêmes maladies, Bossuet, Gornay. C'est en effet la vraie grâce de l'aumône, en soulageant les besoins des pauvres, de diminuer en nous d'autres besoins, c'est-à-dire ces besoins honteux qu'y fait la délicatesse, comme si la nature n'était pas assez accablée de nécessités, Bossuet, Anne de Gonz.

    Aller à ses nécessités, faire ses nécessités, satisfaire les besoins d'évacuation.

    Il se dit au singulier. Il se trouva là une caverne, où il entra pour une nécessité naturelle, Sacy, Bible, Rois, I, XXIV, 4.

  • 12De nécessité, loc. adv. Nécessairement. Quand il faut de nécessité finir la pièce, Corneille, Examen de Don Sanche. Il faut de nécessité que tout ce que nous avons dit arrive en lui, Boileau, Du subl. XXX. Il fallait de nécessité qu'elle y fît de grands frais, Hamilton, Gramm. 8.
  • 13Par nécessité, loc. adv. À cause d'un besoin pressant. Il vend sa bibliothèque par nécessité.

    PROVERBE

    Nécessité n'a point de loi, c'est-à-dire un extrême péril, un extrême besoin, peuvent rendre excusables des actions blâmables en elles-mêmes.

HISTORIQUE

XIIe s. De lur necessitet delivra els [eux] Psautier, Raynouard, Lexique roman.

XIIIe s. Neceé, Poésies du Vatican, n° 1490, f° 120, dans LACURNE. Et chemina tant qu'il vint à Lions, où il trouva le pape, et li montra sa necessité, Chr. de Rains, 224. S'il ne fait de necessité Vertu, par grant humilité, la Rose, 14217.

XIVe s. La conclusion s'ensuit de necessité, Oresme, Eth. 198. Et quant amis ont necessité ou indigence, il appetent recevoir utilité l'un de l'autre, Oresme, ib. 238. Il se fasoient vertu de leur necessité, Et tout prenoient en gré par vraie humilité, Girart de Ross. v. 2327.

XVe s. Necessité n'a loy, Boucic. I, 27. Il avoit esté de necessité que…, Commines, II, 4. Et que en sa necessité il n'avoit jamais trouvé si bon amy, Commines, IV, 10. Necessité faict gens mesprendre, Ét faim saillir le loup des boys, Villon, Grand testament.

XVIe s. Jean d'Austrie promettant à Sarbellon lui envoier plusieurs necessitez, que ce capitaine avisé prevoioit cause de sa perte par leur manquement, D'Aubigné, Hist. II, 85. Ils se firent prendre dans le gros du mareschal de Biron, qu'ils trouverent venant de faire sa necessité [de faire ses besoins], comme il faisoit presque en tous les combats, D'Aubigné, ib. II, 181. Ils furent contraincts de demander publiquement l'aumosne par necessité, Amyot, Arist. et Caton, 7. Et feut un crapaud vendu six escus en une necessité de vivres, Montaigne, I, 106. Je pensois faire honneur à un seigneur aussi esloigné de ces debordements [l'ivrognerie] qu'il en soit en France, de m'enquerir à luy combien de fois il s'estoit enyvré pour la necessité des affaires du roy, en Allemaigne, Montaigne, I, 185. Ils en acquirent à suffisance pour s'en servir à la necessité, Montaigne, I, 194. Tous avoient de necessité à y demourer, Montaigne, I, 242. La meilleure reigle est de bien s'employer au beau temps, et au fascheux prendre un peu de repos, n'estoit qu'une forte necessité contraignist au contraire, Lanoue, 698. Necessité est la moitié de raison, Cotgrave Tel a necessité, qui ne s'en vante pas, Cotgrave Necessité abaisse gentillesse, necessité n'a loy, foy ne roy, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 355. Necessité apprend les gens, Leroux de Lincy, ib. De cette façon magnifique, En la necessité publique, Ô rigueur estrange du sort, Vostre asne, ma commere, est mort, Sat. Mén. l'Asne ligueur.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. necessitat ; esp. necesidad ; ital. necessità ; du lat. necessitatem, de necessus, nécessaire. D'après Corssen, Nachträge, p. 272, necessus, qui est fait comme nefarius, nefastus, se composerait du préfixe négatif ne et de cessus, participe de cedere, pris activement, comme dans circumspectus, qui est pour circumspiciens ; les inscriptions donnent de même successus pour successor ; necessus serait non cedens, ne cédant pas. On remarquera la forme neceé, qui est la formation la plus régulière, et parallèle à chasteé, chasteté.