« religion », définition dans le dictionnaire Littré

religion

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religion

(re-li-ji-on) s. f.
  • 1Ensemble de doctrines et de pratiques qui constitue le rapport de l'homme avec la puissance divine. La religion juive. La religion chrétienne. La religion païenne. La religion de Mahomet, de Bouddha. Le chevalier d'Harcourt s'y était opposé, disant que c'était une affaire entre les couronnes de France et d'Espagne, dont la religion ne se devait point mêler, Pellisson, Lett. hist. t. II, p. 194. Je vois des foisons de religions en plusieurs endroits du monde et dans tous les temps… j'aurais refusé également la religion de Mahomet, et celle de la Chine, et celle des anciens Romains, et celle des Égyptiens, par cette seule raison que, l'une n'ayant pas plus de marques de vérité que l'autre, la raison ne peut pencher plutôt vers l'une que vers l'autre, Pascal, Pens. XIV, 3, édit HAVET. Je vois la religion chrétienne fondée sur une religion précédente, Pascal, ib. XIV, 3. Le déisme, presque aussi éloigné de la religion chrétienne que l'athéisme, qui y est tout à fait contraire, Pascal, ib. XI, 10 bis. La seule religion chrétienne est proportionnée à tous, étant mêlée d'extérieur et d'intérieur ; elle élève le peuple à l'intérieur, et abaisse les superbes à l'extérieur, Pascal, ib. XI, 3. Toute religion est fausse, qui, dans sa foi, n'adore pas un Dieu comme principe de toutes choses, et qui, dans sa morale, n'aime pas un seul Dieu comme objet de toutes choses, Pascal, ib. XXIII, 4. La vraie religion doit avoir pour marque d'obliger à aimer son Dieu, Pascal, ib. XI, 1. Ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment du cœur sont bienheureux et bien légitimement persuadés, Pascal, ib. VIII, 6. Fondement de la religion : c'est les miracles, Pascal, ib. XXIII, 18. La religion catholique n'oblige pas à découvrir ses péchés indifféremment à tout le monde ; elle souffre qu'on demeure caché à tous les autres hommes ; mais elle en excepte un seul, à qui elle commande de découvrir le fond de son cœur, Pascal, ib. II, 8. Il [Jésus-Christ] leur [aux apôtres] apprend le caractère de cette haine qu'ils auront à porter, c'est que ce sera une haine de religion ; qu'on les excommuniera, et qu'on les aura tellement en exécration qu'on croira rendre service à Dieu de les exterminer, Bossuet, Méd. sur l'Év. 2e partie, 17° jour. Par où ont-ils [les incrédules] deviné que tout ce qu'on pense de ce premier être [Dieu] soit indifférent, et que toutes les religions qu'on voit sur la terre lui soient également bonnes ? Bossuet, Anne de Gonz. Il [un roi] protége la religion en toutes choses, et il connaît, en protégeant la religion, que c'est la religion qui le protége lui-même, puisqu'elle fait le plus puissant motif de la soumission que tant de peuples rendent aux princes, Bossuet, Instr. à Louis XIV, en 1675. La religion s'intéresse dans ses infortunes [du cardinal de Retz] ; la ville royale s'émeut, et Rome même menace, Bossuet, le Tellier. Je n'ai jamais douté, dit-il [Condé], des mystères de la religion, quoi qu'on ait dit, Bossuet, Louis de Bourbon. Ce superbe croit s'élever au-dessus de tout et au-dessus de lui-même, quand il s'élève, ce lui semble, au-dessus de la religion qu'il a si longtemps révérée, Bossuet, Anne de Gonz. On énerve la religion quand on la change, et on lui ôte un certain poids qui seul est capable de tenir les peuples, Bossuet, Reine d'Anglet. Ils [les princes] ont trop fait sentir aux peuples que l'ancienne religion se pouvait changer, Bossuet, ib. N'oublions pas ce qui faisait la joie de la reine : Louis est le rempart de la religion ; c'est à la religion qu'il fait servir ses armes redoutées par mer et par terre, Bossuet, Mar.-Thér. Dans un âge où l'on ne sait pas encore sa religion, M. de Montausier défendait la sienne, Fléchier, Duc de Mont. L'esprit docile admet la vraie religion ; et l'esprit faible, ou n'en admet aucune, ou en admet une fausse, La Bruyère, XVI. Si c'est le grand et le sublime de la religion qui éblouit ou qui confond les esprits forts, ils ne sont plus des esprits forts, mais de faibles génies et de petits esprits ; si c'est au contraire ce qu'il y a d'humble et de simple, ils sont à la vérité des esprits forts, et des esprits plus forts que tant de grands hommes si éclairés, si élevés et néanmoins si fidèles, La Bruyère, XVI. La religion vient des dieux, elle est au-dessus des rois, Fénelon, Tél. XXIII. Observez la religion : le reste meurt, elle ne meurt jamais, Fénelon, ib. X. La religion est environnée de deux écueils, également dangereux à l'homme, également injurieux à la divinité, savoir, de l'impiété et de la superstition, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. I, p. 194, dans POUGENS. Ce n'est pas assez pour une religion d'établir un dogme ; il faut encore qu'elle le dirige, Montesquieu, Espr. XXIV, 19. Comme on peut juger parmi les ténèbres celles qui sont les moins épais ses, et parmi les abîmes ceux qui sont les moins profonds, ainsi l'on peut chercher entre les religions fausses celles qui sont les plus conformes au bien de la société, Montesquieu, ib. XXIV, 1. On a beau dire qu'il n'est pas de l'intérêt du prince de souffrir plusieurs religions dans son État…, Montesquieu, Lettres pers. 85. En fait de religion les plus proches sont les plus grandes ennemies, Montesquieu, ib. 60. Genève n'est plus la Genève de Calvin… le christianisme raisonnable de Locke est la religion de presque tous les ministres, et l'adoration d'un être suprême jointe à la morale est la religion de presque tous les magistrats, Voltaire, Lett. Cideville, 12 avr. 1756. Les religions durent toujours plus que les empires, Voltaire, Mœurs, 53. La religion n'étant que la correspondance de la pensée et de la spiritualité de l'homme avec la pensée divine, avec l'esprit universel, il s'ensuit qu'elle ne peut prendre aucune forme étroite ou légale, Mirabeau, Collection, t. V, p. 267.

    Les guerres de religion, les guerres occasionnées par la différence de religion, et, particulièrement, les guerres entre catholiques et protestants en France pendant le XVIe siècle.

    Paix de religion, traité conclu à la diète d'Augsbourg, entre l'empereur et les princes protestants d'Allemagne, en 1555.

    Religion de l'État, religion d'État, celle que l'État déclare être la sienne, exclusivement à toutes les autres qu'il ne fait que tolérer. La religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l'État, Charte de 1814, art. 6.

    Religion naturelle, religion qu'on suppose indépendante de toute révélation et qui est une forme du déisme. Songe que du très haut la sagesse éternelle A gravé de sa main dans le fond de ton cœur La religion naturelle, Voltaire, Poëmes, Pour et contre. J'entends par religion naturelle les principes de morale communs au genre humain, Voltaire, Phil. Newt. I, 6.

  • 2La religion prétendue réformée, la religion réformée, ou, absolument, la religion, la croyance des calvinistes. Pour prévenir les désordres dont on était menacé par les gens de la religion, La Fayette, Mém. cour de France, Œuv. t. III, p. 19, dans POUGENS.
  • 3Foi, piété, croyance. Il a beaucoup de religion. Il est sans religion. Je parle de cette foi respectueuse qui est saisie d'une horreur de religion à la seule présence du sanctuaire, qui approche de l'autel comme Moïse du buisson sacré, Massillon, Avent, Disp. à la comm. Les épicuriens, qui n'avaient nulle religion, recommandaient l'éloignement des affaires publiques, l'étude et la concorde, Voltaire, Dict. phil. Religion, 1. L'oubli de toute religion conduit à l'oubli des devoirs de l'homme, Rousseau, Ém. IV.
  • 4Sentiment de respect, de scrupule, comparé au sentiment religieux. Vous savez que M. de Grignan n'est pas sur ses intérêts comme sur ceux du roi son maître : il a une religion et un zèle pour ceux-ci, qui ne se peut comparer qu'à la négligence qu'il a pour les siens, Sévigné, 183. Ce m'est une religion que la vénération que j'ai pour cette maison [de Toiras], Sévigné, 22 mai 1682. Tous les Juifs y étaient accourus [à Jérusalem], afin de célébrer la pâque selon leur coutume ; or chacun sait la religion de ce peuple pour toutes ses cérémonies, Bossuet, Sermons, Bonté et rigueur de Dieu, 2. Saint Paul observe deux choses dans la religion du serment : l'une, qu'on jure par plus grand que soi ; l'autre, qu'on jure par quelque chose d'immuable, Bossuet, Polit. VII, I, 3. Ce peuple [les Juifs] est le seul… qui devait être le dépositaire des secrets divins ; il les a aussi conservés avec une religion qui n'a pas d'exemple, Bossuet, Hist. II, 13. On lui attribuait un courage à toute épreuve, une religion inviolable pour sa parole, Hamilton, Gramm. 6. Ils opposèrent à cette demande la religion sacrée du dépôt, qui ne leur permettait pas de livrer à qui que ce fût cette somme du vivant de celui qui la leur avait confiée, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. IX, p. 552, dans POUGENS. Si tout meurt avec nous, …les soins du nom et de la postérité sont frivoles, … la religion des tombeaux, une illusion vulgaire, Massillon, Carême, Avenir.

    Se faire une religion d'une chose, s'en faire une obligation indispensable. Vous dirai-je qu'il se fit une religion d'écouter les raisons des parties et de lire tous leurs mémoires, quelque longs et ennuyeux qu'ils pussent être ? Fléchier, Lamoignon. Ne se fit-elle pas une religion de donner un frein à sa langue ? Fléchier, Dauph.

    Violer la religion du serment, manquer à son serment.

    Surprendre la religion du prince, la religion des juges, la religion d'un tribunal, surprendre la justice du prince, des juges, d'un tribunal, les tromper par un faux exposé. Il ne disait point qu'on avait surpris la religion de la cour en accusant milord Peterborough d'avoir hasardé les troupes de la reine Anne, parce que ce n'était pas une affaire de religion, Voltaire, Jenni, 4.

    Voltaire se trompe ; il prend cette locution comme un néologisme de son temps, et il le blâme. Cette locution est beaucoup plus ancienne ; elle se trouve déjà dans la première édition du Dictionnaire de l'Académie, en 1696.

  • 5L'état des personnes engagées par des vœux à une certaine règle autorisée par l'Église. Un religieux avec son habit de religion, Pascal, Prov. VI. Mlle de la Basinière est en religion, tout auprès de Mme de la Fayette ; quelques intérêts de famille et une très désagréable humeur ont causé cette retraite où elle s'ennuie fort, Sévigné, 400. Il [le concile de Latran] appelle les nouveaux ordres monastiques de nouvelles religions… ces nouvelles religions ne font point des Églises nouvelles ; ce n'est pas la singularité de créance, mais la profession d'une piété plus particulière… qui leur donne le titre de religion, Bossuet, Réfut. cat. Ferry, préambule. Ne soyez pas les meurtriers barbares des enfants mêmes que vous consacrez à la religion, Massillon, Prof. relig. 1.

    Entrer en religion, se faire religieux ou religieuse. Toutes les langues et toutes les sciences lui sont infuses ; enfin c'est un prodige [Madame Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal], d'autant plus qu'elle est entrée à six ans en religion, Sévigné, 388. Je ne vais point dans cette maison, que je n'en sorte avec regret, et que je ne me repente de n'être point entrée en religion, Maintenon, Lett. à Mme de St-Géran, 27 août 1704.

    Mettre une fille en religion, la faire religieuse.

    Couvent. La reine a envoyé par les religions pour faire prier Dieu, afin qu'il plût à sa sainte bonté de détourner le roi d'un dessein qu'il a [épouser une des nièces de Mazarin], Patin, Lett. t. II, p. 183. Ma tante de Maignelai la mit [la nièce de l'Épinglière] dans une religion où elle mourut huit ou dix ans après en réputation de sainteté, Retz, I, 55. Les parents jettent leurs enfants dans les religions sans vocation, et les empêchent d'y entrer contre leur vocation, Bossuet, Pensées chrét. et mor. 42. Un religieux qui s'est sauvé dans le fond d'une religion, de peur de goûter ni de voir même les plaisirs du monde, Fléchier, Sermons, Jour de Noël.

    Nom de religion, nom que des religieux, des religieuses prennent en entrant au couvent. La sœur de M. Pascal, qui s'appelait en religion sœur Euphémie, Racine, Hist. de Port-Royal, part. 2.

    Fig. et par plaisanterie. Cette personne veut être de la religion de saint Joseph, avec quatre pantoufles sous le lit, elle veut se marier.

  • 6 Absolument. La religion, l'ordre de Malte. Les galères de la religion.

HISTORIQUE

XIe s. Yglise de religium [monastère], Lois de Guill. 1.

XIIIe s. Du grant ator que ele avoit, Bien puet cognoistre qui la voit, Qu'el n'est pas de religion, la Rose, 3441. Puet l'en trover religion En seculiere maison ? ib. 11127. Servise de voie à cimetire est de droit privé, et por ce le puet l'en chalongier au signor cui la teneure est ; et cest servise puet estre aquis por la religion de l'enterrement, Liv. de just. 138. Cil qui sunt en religion ne poent pas revenir au siecle, Beaumanoir, LVI, 1. Quant il veut entrer en religion, Beaumanoir, XXI, 4. Religions est cele vertus qui nos fait curious de Dieu et faire son servise, Latini, Trésor, p. 421. Quicunques n'est fors et fiers [ferme] en sa loi et en sa religion, à peine puet estre loiaus hom ; car qui n'est loiaus vers son Dieu, comment sera il loiaus vers les homes ? Latini, ib.

XVe s. Et delibera s'en aller à Romme et se mettre en une religion auprès, Commines, V, 7.

XVIe s. Quant au mot de religion, combien que Ciceron le déduise tres bien du mot de relire… j'estime que ce mot est opposé à la trop grande licence et excessive que la pluspart du monde s'est permise. - Religion donc comporte autant comme une retraite et discretion meure et bien fondée, Calvin, Instit. 66. Y a-il une telle religion à fleschir le genouil, ou envelopper un corps mort, qu'on ne puisse laisser ces choses sans crime ? Calvin, ib. 969. Et lui defendit que jamais elle ne parlast à ce marchand, ou qu'elle la mettroit en religion, Marguerite de Navarre, Nouv. VII. Pour atteindre au sommet d'une telle equité, Il faut la pieté joincte à la charité, Et la religion dont reliez nous sommes, Ronsard, 662. Ceux de la religion, grande pitié que j'use maintenant de ce mot, pour dire ceux de la ligue ou faction, Pasquier, Lett. t. I, p. 272. Ce que ces trois filles s'estoient rendues religieuses en mesme monastere, signifioit que vostre amye et ses deux compagnes se marioient ; car, comme l'on dit, le mariage est la grande religion, l'Amant ressuscité, p. 433, dans LACURNE. Nos rois… Ploians la pieté au joug de leur service, Gardent religion pour ame de police, D'Aubigné, Tragiques, Princes.

ÉTYMOLOGIE

Prov. religio, religion ; espagn. religion ; ital. religione ; du lat. religionem, dont l'étymologie est douteuse entre relegere, recueillir, et religare, relier. Pour relegere, on dit que religare aurait fait religatio (ce qui est inexact, car re-lig-io se conçoit, exemple opt-io), et on cite la phrase : religentem esse oportet, religiosum nefas (voy. FREUND) ; en ce sens, religio voudrait dire recueil (c'est probablement le sens primitif de lex), recueil de formules religieuses, de pratiques. Pour religare, on cite la phrase d'Aulu-Gelle (II, 28) : falsa religione alligare, alium [deum] pro alio nominando ; ce serait une formule qui liait les dieux, et l'homme à eux. En latin, religio, au sens d'état monastique, se trouve dès le Ve siècle.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

RELIGION. Ajoutez :

PROVERBE

Religion en emporte une autre (XVIe siècle), Journ. offic. 17 juin 1876, p. 4262, 3e col.