« montrer », définition dans le dictionnaire Littré

montrer

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montrer

(mon-tré) v. a.
  • 1Faire voir. Il m'a montré sa maison, sa bibliothèque, ses tableaux. Ç'a été dans notre siècle un grand spectacle de voir dans le même temps et dans les mêmes campagnes ces deux hommes [Condé et Turenne]… comme si Dieu, dont souvent, selon l'Écriture, la sagesse se joue dans l'univers, eût voulu nous les montrer en toutes les formes, et nous montrer ensemble tout ce qu'il peut faire des hommes, Bossuet, Louis de Bourbon. Pendant que la magnanime et intrépide régente était obligée à montrer le roi enfant aux provinces, Bossuet, le Tellier. En remerciant ses médecins : voilà, dit-il [Condé mourant], mes vrais médecins ; il montrait les ecclésiastiques dont il écoutait les avis, Bossuet, Louis de Bourbon. C'est depuis que l'Évangile a montré à la terre des hommes justes, qui offrent au Seigneur des prières ferventes pour les princes et pour les rois, que les Césars sont plus heureux, l'empire plus florissant, Massillon, Carême, Mélange. Feu M. le cardinal de Fleuri me montra l'endroit où Louis XIV avait épousé Mme de Maintenon, Voltaire, Lett. Roques, 1752.

    Fig. et populairement. Montrer son nez quelque part, se faire voir en quelque endroit ; cela se dit plus souvent avec l'idée qu'on ne fera qu'y paraître et qu'on y restera peu de temps. Je n'ai garde d'aller montrer là mon nez.

    On dit dans un sens analogue, mais moins populairement : montrer son visage. Ce duc ne nous a point trompés ; il nous disait… que les choses avaient changé… qu'il fallait un peu venir montrer son visage à la cour, Sévigné, 595.

    Montrer son nez, se dit aussi de ceux qui vont mal à propos en quelque endroit. Qu'avait-il à faire d'aller montrer là son nez ?

    Montrer les dents, voy. DENT, n° 4.

    Fig. Montrer les talons, voy. TALON.

    Cet habit montre la corde, c'est-à-dire il est si usé qu'on en voit la trame.

    Fig. Cet homme montre la corde, il fait voir qu'il en est aux expédients, à ses dernières ressources, et aussi qu'il n'avait qu'un esprit d'emprunt. C'est un homme qui est de mise un quart d'heure de suite, qui le moment d'après baisse, dégénère, perd le peu de lustre qu'un peu de mémoire lui donnait, et montre la corde, La Bruyère, II.

    Cela montre la corde, c'est une finesse grossière et facile à découvrir.

    Montrer à quelqu'un son béjaune, voy. BÉJAUNE.

    Il montre tout ce qu'il porte, se dit d'un homme qui se découvre d'une manière déshonnête.

  • 2Montrer à la terre, se dit de quelque personne remarquable que la destinée n'a pas laissée vivre longtemps. Le prince pieux… que vous n'avez fait que montrer à la terre, Massillon, Pet. carême, Humanité.
  • 3Indiquer par quelque signe ou geste ou de toute autre façon. Montrer quelque chose du doigt. Il n'est pas fort poli de montrer quelqu'un du doigt. Montrer le chemin à quelqu'un. Ces poteaux montrent le chemin. Un cadran qui montre l'heure. Dans son hypothèse [de Leibnitz], l'âme n'a aucun commerce avec son corps ; ce sont deux horloges que Dieu a faites, qui ont chacune un ressort, et qui vont un certain temps dans une correspondance parfaite ; l'une montre les heures, l'autre sonne, Voltaire, Newt. I, 6.

    Fig. Montrer quelqu'un au doigt, s'en moquer publiquement. Je voudrais déjà être à Burgos, où, n'étant connu de personne, je ne courrai pas le risque de rencontrer quelqu'un qui me montre au doigt, Lesage, Est. Gonz. ch. 44.

    Montrer la porte à quelqu'un, faire signe à quelqu'un dont on est mécontent, qu'il ait à sortir de la chambre, de la maison.

    Fig. Montrer le chemin aux autres, faire quelque chose pour engager les autres à faire de même, servir d'exemple. Marot… Tourna des triolets… Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux, Boileau, Art p. I.

  • 4Montrer une lettre, un écrit, les faire lire. Heureux qui, d'une femme adorant les appas, Reçoit de tels billets et ne les montre pas ! Voltaire, Indiscret, I, 1. Mon projet était d'envoyer cette lettre sans vous la montrer, dans la crainte que vous ne l'approuvassiez point, Genlis, Adèle et Théod. t. III, p. 467, dans POUGENS.
  • 5Faire paraître. Tout son visage montre une fierté si haute…, Corneille, Sertor. IV, 3. Il fallait montrer partout, et à l'Allemagne comme à la France, le défenseur intrépide que Dieu nous donnait, Bossuet, Louis de Bourb. Par les soins d'un si grand roi, la France n'est plus qu'une forteresse qui montre de tous côtés un front redoutable, Bossuet, Mar.-Thér. L'eucharistie, nom composé de biens et de grâces, qui nous montre dans cet adorable sacrement une source de miséricorde, un miracle d'amour…, Bossuet, ib. Toutefois épargnez votre tête sacrée ; Vous-même n'allez point de contrée en contrée Montrer aux nations Mithridate détruit, Racine, Mithr. III, 1. Dieux, éclairez mon trouble et daignez à mes yeux Montrer la vérité que je cherche en ces lieux, Racine, Phèdre, V, 2. Et que vous montrent-ils [ces lieux] qui ne vous avertisse Qu'il faut qu'on me respecte et que l'on m'obéisse ? Racine, Brit. III, 8. Athènes me montra mon superbe ennemi, Racine, Phèdre, I, 3. Montrez-nous, héros magnanimes, Votre vertu dans tout son jour ; Voyons comment vos cœurs sublimes Du sort soutiendront le retour, Rousseau J.-B. Ode à la fortune. Le témoin le plus vil et les moindres clartés Nous montrent quelquefois de grandes vérités, Voltaire, Mérope, II, 1.

    Faire paraître une affection, un sentiment réel ou simulé. Montrer de la douleur, de la joie, de la tristesse.

    On dit dans un sens analogue : montrer un visage gai, un visage triste. L'affabilité ne serait plus qu'une insulte et une dérision pour les malheureux, si, en leur montrant un visage doux et ouvert, elle leur fermait nos entrailles, Massillon, Pet. car. Human.

    Montrer, construit avec un adjectif qui le suit. L'effet montra soudain ce conseil salutaire [montra que ce conseil était salutaire], Corneille, Rod. I, 1. J'entretins la sultane et, cachant mon dessein, Lui montrai d'Amurat le retour incertain, Racine, Baj. I, 1.

    Voltaire a blâmé cette tournure ; mais elle est brève, correcte, et peut être employée.

    Montrer avec la préposition de et un verbe à l'infinitif. Vous buviez sur son reste, et montriez d'affecter Le côté qu'à sa bouche elle avait su porter, Molière, l'Ét. IV, 5. Tenant par deux frères à la cour de Vienne, il montre d'être fâché de ses échecs, Montesquieu, Correspondance, 14.

    Montrer avec un verbe à l'infinitif, sans préposition. M. de Beauvillier devait mettre en garde le roi, par des vérités fortes et bien assenées, non pas se laisser frapper sans montrer le sentir, Saint-Simon, 238, 183. À Dourlens, il [le duc du Maine] faisait ou montrait faire de longues prières, Saint-Simon, 524, 227.

  • 6Faire preuve de. Il montra du sang-froid en ce péril. Montrer un bon, un mauvais cœur. Ne demande donc plus par quelle humeur sauvage Tout l'été, loin de toi, demeurant au village, J'y passe obstinément les ardeurs du Lion, Et montre pour Paris si peu de passion, Boileau, Ép. VI. Il faut montrer ici ton zèle et ta prudence, Racine, Iphig. I, 1,
  • 7Faire connaître, prouver. Je lui ai montré que la proposition est fausse. Ce qu'a fait le sénat montre ce qu'il faut faire, Corneille, Nicom. V, 2. Il faut bien que je me fasse à moi cette violence [de parler des outrages faits à la majesté royale], puisque je ne puis montrer qu'à ce prix la constance de la reine, Bossuet, Reine d'Anglet. Montrons dans un prince admiré de tout l'univers que ce qui fait les héros…, Bossuet, Louis de Bourbon. Le valeureux comte de Fontaines, qu'on voyait porté dans sa chaise [à Rocroy], et, malgré ses infirmités, montrer qu'une âme guerrière est maîtresse du corps qu'elle anime, Bossuet, ib. Il [Charles 1er] a montré qu'il n'est pas permis aux rebelles de faire perdre la majesté à un roi qui sait se connaître, Bossuet, ib. Les dieux ne montrent point que sa vertu les touche, Racine, Brit. II, 2.
  • 8Enseigner. Montrer les langues, la grammaire, les mathématiques. Montrer à écrire. Et ce qui vous était plus important, on vous a montré avec soin l'histoire de ce grand royaume que vous êtes obligé de rendre heureux, Bossuet, Hist. Dessein général. Il vaut mieux me laisser montrer à lire à Mlle de la Tour, Maintenon, Lett. à Mlle de Caylus, 6 juillet 1717.

    Par extension. Je vous ai montré l'art d'affaiblir son empire, Corneille, Sert. III, 2. Il montre aux plus hardis à braver le danger, Racine, Théb. I, 1.

    Absolument, dans le même sens, et alors on dit montrer à quelqu'un. Outre le maître d'armes qui me montre, j'ai arrêté encore un maître de philosophie, Molière, Bourg. gent. I, 2. Votre maître de musique est allé aux champs, et voilà une personne qu'il envoie à sa place pour vous montrer, Molière, Mal. imag. II, 4. Ils sont charmés de cet homme [un précepteur] ; c'est lui qui montre à cette belle marquise, Sévigné, 26 juin 1680. L'occupation de montrer en ville n'est guère moins opposée à l'étude que la dissipation des plaisirs, Fontenelle, Carré.

    PROVERBE

    Souvent les bêtes montrent à vivre aux hommes, c'est-à-dire elles n'ont pas de si grands déréglements.

    Par menace, je lui montrerai bien à vivre, je le châtierai, je me vengerai de lui.

  • 9Se montrer, v. réfl. Paraître, se faire voir. Le soleil ne s'est pas montré aujourd'hui. Montrez-vous pour sauver ce héros du trépas, Mais montrez-vous en maître, et ne vous perdez pas, Corneille, Héracl. IV, 1. À quoi bon se montrer, et, comme un étourdi, Me venir démentir de tout ce que je di ? Molière, l'Ét. I, 5. Qu'est-ce donc que ma substance, Ô grand Dieu ? j'entre dans la vie pour en sortir bientôt ; je viens me montrer comme les autres ; après il faudra disparaître, Bossuet, Sermons, Mort, I. Que s'il [l'esprit d'indocilité et d'hérésie] s'est montré tout entier à l'Angleterre, et si sa malignité s'y est déclarée sans réserve, Bossuet, Reine d'Anglet. Avec Pirithoüs aux enfers descendu, Il a vu le Cocyte et les rivages sombres, Et s'est montré vivant aux infernales ombres, Racine, Phèdre, II, 1. Ma mère Jézabel devant moi s'est montrée, Comme au jour de sa mort pompeusement parée, Racine, Ath. II, 5. S'il pouvait se montrer, j'espérerais encore, Voltaire, Tancr. I, 6. Les prophètes des Cévennes qui allèrent à Londres ressusciter des morts en 1707, avaient vu Élie, ils lui avaient parlé, il devait se montrer au peuple, Voltaire, Mœurs, 191. Les mâles sortent plus souvent des cavernes que les femelles, qui ne se montrent que rarement, Buffon, Ois. t. VIII, p. 185. Le pavillon suédois se montra dans tous les parages de l'Europe, Raynal, Hist. phil. V, 7.

    Se montrer, aller dans le monde, dans les visites, dans les soirées, etc. Mon fils est à Paris ; il y sera peu : la cour est de retour, et il ne faut pas qu'il se montre, Sévigné, 68. Le désir de se montrer, d'être mieux mise qu'une autre, Genlis, Théât. d'éduc. Dangers du monde, I, 2.

    Se montrer, se dit de celui qui ne se tient pas caché. Il est bien hardi de se montrer après cela. Revenir sans mon ordre, et se montrer ici ! Corneille, Nicom. II, 1. Perfide, oses-tu bien te montrer devant moi ? Racine, Phèdre, IV, 2. Lucile en est outrée et ne se montre plus, Gresset, le Méchant, III, 9.

    N'oser se montrer, se dit de celui qui se tient caché pour quelques craintes ou pour quelque honte. Les académiciens qui s'attendaient à être sifflés, honnis, bafoués, n'osaient se montrer, Diderot, Salon de 1767, Œuvres, t. XV, p. 157, dans POUGENS.

    N'avoir qu'à se montrer, se dit d'une personne qui, ayant de la puissance, de l'habileté, n'a besoin que de paraître pour tout emporter. Le roi d'Éthiopie, plein de confiance dans les troupes innombrables qu'il amenait, avait cru qu'il n'avait qu'à se montrer pour mettre en fuite les Assyriens, Rollin, Traité des Ét. V, ch. 2, 2e part. note 2.

  • 10 Fig. Se faire connaître. J'aime un esprit aisé qui se montre, qui s'ouvre, Boileau, Ép. IX. Il [l'homme de mérite] a besoin de toutes les raisons tirées de l'usage et de son devoir, pour se résoudre à se montrer, La Bruyère, II. La fierté prend sa source dans la médiocrité, ou n'est plus qu'une ruse qui la cache ; c'est une preuve certaine qu'on perdrait en se montrant de trop près, Massillon, Pet. car. Human.
  • 11Se montrer tel, faire voir par les effets qu'on est tel. Tu t'es en m'offensant montré digne de moi, Je me dois par ta mort montrer digne de toi, Corneille, Cid, III, 4. Montrez-vous bon ami, montrez-vous bon valet, Scarron, Jodelet ou le maît. valet, IV, 6. La reine se montre le ferme soutien de l'État, Bossuet, Reine d'Anglet. D'un nouveau personnage inventez-vous l'idée ? Qu'en tout avec soi-même il se montre d'accord, Boileau, Art p. III. Ah ! seigneur, qu'éloigné du malheur qui m'opprime Votre cœur aisément se montre magnanime ! Racine, Iph. I, 3. Cicéron se montra plutôt péripatéticien qu'académicien, Diderot, Opin. des anc. phil. (romains).

    Se montrer tel qu'on est, ne rien affecter, ne rien dissimuler.

    Fig. Se bien montrer, se montrer mal, faire bonne, mauvaise contenance dans les occasions qui exigent de la résolution et de la fermeté.

    Il faut se montrer, il faut faire acte de résolution, payer de sa personne.

  • 12Devenir visible, apparent. La lune se montrait entre les nuages.

    Fig. Il se dit des choses dont l'épreuve se fait, dont la preuve se donne. Ta foi dans mon malheur s'est montrée à mes yeux, Racine, Andr. IV, 1.

HISTORIQUE

Xe s. Cest fructum que mostret nos habemus, Frag. de Valenc. p. 469.

XIe s. Et il li ad com chevalier mustrée [son épée], Ch. de Rol. CV.

XIIe s. Cel jour [il] mostra mout bien son vasselage [vaillance], Ronc. 64. Anuist [aujourd'hui] verrons nostre grant droit mostré, ib. 180. Et nous lui monstrerons tant espié et tant dart…, Sax. XXIX. Lors fut m'amors descouverte et monstrée, Couci, VI. Grant pechié fait qui son homme veut prendre Par biau semblant monstrer, tant que bien tient, ib. XX. En grant devotion cele messe ad chantée, E à Deu sun seigneur ad sa cause mustrée, E pria qu'il le guard de male destinée, Th. le mart. 35.

XIIIe s. Joffrois li mareschaus de Champaigne monstra la parole et l'offre qu'il avoient faite au duc de Bourgoigne et au comte de Bar le Duc, Villehardouin, XXV. Lors parlerent li evesque et li clergiés au peuple, et leur monstrerent qu'il fussent confès et feist chascun d'aus [eux] sa devise [ce qu'il avait à faire], Villehardouin, LXX. Qui [à] si bele pucele monstreroit laide chere [figure, mine], Berte, X. Car je n'i sai la voie, s'ele ne m'est monstrée, ib. XLVI. Mal lui monstrons semblant que soions si ami, ib. LXXI. Senechal, ore nous a monstré Dieu une partie de son pooir, Joinville, 196. …Grant deshoneur à qui mal voudront fere ; car on les monterra au doi, Joinville, 303. Il [le lynx] voit tout quanque l'en li moustre, Et dehors et dedans tout outre, la Rose, 8993. Cels pris [je prise ceux-ci], cels aim, et si je doi ; Cels doit l'en bien monstrer au doi ; Qu'il sont el siecle cler-semé, Rutebeuf, 230.

XIVe s. Pierre Labbé qui en sa vie estoit homme assez monstrant [arrogant] et de diverse cole [humeur], Du Cange, monstrare.

XVe s. Et ne font nul semblant qu'ils doivent fuir, mais nous attendent, à ce qu'ils monstrent, Froissart, I, I, 286. Le roy et la cour monstroient, en tout et partout, de luy vouloir aider, Commines, VII, 1.

XVIe s. Si disoit à ceulx qui monstroient de s'esmerveiller de sa diligence et sollicitude en telles choses…, Amyot, P. Aem. 47.

ÉTYMOLOGIE

Berry, bontrer ; wallon, mostrer ; Hainaut, moustrer, moutrer ; provenç. et espagn. mostrar ; ital. mostrare ; du lat. monstrare, qui est le dénominatif de monstrum (voy. MONSTRE).