« glisser », définition dans le dictionnaire Littré

glisser

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

glisser

(gli-sé) v. n.
  • 1Couler sur un corps gras, ou lisse, ou poli. Il saisit la corde et se laissa glisser jusqu'à terre. Mercredi 27 décembre 1684 : Le roi ne sortit point ; Monseigneur alla glisser sur la glace, Dangeau, I, 84. Il n'est pas étonnant que des murs, quelque solides qu'ils soient, glissent sur le premier banc de cette argile humide, s'ils ne sont pas fondés à plusieurs pieds au-dessous, Buffon, Addit. théor. terr. Œuvres, t. XIII, p. 171, dans POUGENS.

    Absolument. Faire des glissades. Ils ont passé deux heures entières à glisser. Ils manquent l'école pour aller glisser.

    Fig. N'approfondis jamais rien dans la vie, Et glisse-moi sur la superficie, Voltaire, Prude, V, 2. Sur un mince cristal l'hiver conduit leurs pas, Le précipice est sous la glace ; Telle est de vos plaisirs la trompeuse surface ; Glissez, mortels, n'appuyez pas, Roy, Vers au bas d'une gravure représentant des patineurs, dans ÉD. FOURNIER, l'Esprit des autres, p. 44.

    Fig. C'est votre tour à glisser, c'est à vous à glisser, se dit à quelqu'un dont le tour est venu de faire ce que d'autres ont déjà fait avant lui, en parlant d'affaire, de travail ou de péril.

  • 2Particulièrement, manquer en parlant du pied qui vient à couler sur quelque chose de gras, de poli, de mouvant. Il glissa sur le pavé et fit une lourde chute. Ils n'avaient des chaussures qu'à un pied, pour ne pas glisser si facilement dans la boue, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. III, p. 547, dans POUGENS.

    Le pied lui a glissé, son pied a glissé.

    Fig. Il [un homme impliqué dans l'affaire de la duchesse du Maine] fit une confession générale, sans rien déguiser ni omettre ; il fit plus : quand on commence à glisser, on ne s'arrête qu'au bas de la pente…, Staal, Mém. t. II, p. 138.

    Fig. Le pied lui a glissé, se dit d'une personne qui insensiblement est tombée dans quelque faute. Crois-tu que, toujours ferme au bord du précipice, Elle pourra marcher sans que le pied lui glisse ? Boileau, Sat. x.

    On dit de même : Prenez garde que le pied ne vous glisse.

  • 3On dit qu'un coup glisse, quand, au lieu d'enfoncer, il descend sans entamer profondément. Le coup glissa et n'enfonça guère avant, Fénelon, Tél. XII. Le plaisir nous venge ; Sur nous du sort il fait glisser les coups, Béranger, Escl. gaulois.

    Fig. Faire peu d'impression. Nos remontrances n'ont fait que glisser sur lui. Nous avions affaire à une femme sur qui toutes ces choses-là glissaient et qui ne voyait jamais le présent et point le passé, Marivaux, Pays. parv. 4e part.

  • 4Cheminer, comme en glissant, sur les eaux, dans les airs. Notre belle Loire est entièrement à sec en plusieurs endroits ; je ne comprends pas comme auront fait madame de Montespan et madame de Tarente ; elles auront glissé sur le sable, Sévigné, 289. Couverte de sa voile blanche, La barque, sous son mât qui penche, Glisse et creuse un sillon mouvant, Lamartine, Harm. I, 10. Ainsi tout change, ainsi tout passe ; Ainsi nous-mêmes nous passons, Hélas ! sans laisser plus de trace Que cette barque où nous glissons Sur cette mer où tout s'efface, Lamartine, Méd. I, 21. Tout à coup, détaché des cieux, Un rayon de l'astre nocturne, Glissant sur mon front taciturne, Lamartine, ib. I, 4.
  • 5Échapper, ne pas être retenu. Cela m'a glissé des mains. Quelque terme où nous pensions nous attacher et nous affermir, il branle et nous quitte ; et, si nous le suivons, il échappe à nos prises, nous glisse et fuit d'une fuite éternelle, Pascal, Pensées, t. I, p. 248, éd. LAHURE. La nature du monde est de glisser, de passer vite, d'aller en fumée, en néant, Bossuet, Médit. sur l'Évang. Cène, 1re partie, 90e jour.

    Fig. et familièrement. Glisser des mains à quelqu'un, lui échapper, ne pas être tenu, retenu, contenu par lui. Ce monsieur de Nevers si difficile à ferrer, ce monsieur de Nevers si extraordinaire, qui glisse des mains alors qu'on y pense le moins, Sévigné, 8.

  • 6Pénétrer, en parlant des choses morales qui s'insinuent peu à peu. Un malheur inconnu glisse parmi les hommes, Qui les rend ennemis du repos où nous sommes ; La plupart de leurs vœux tendent au changement, Malherbe, II, 1. Ces paroles firent glisser l'espérance jusqu'au fond des entrailles de Calypso, Fénelon, Tél. VII.
  • 7Passer légèrement sur quelque matière qu'il ne convient pas d'approfondir. Il faut glisser sur tout cela et se bien garder de s'abandonner à ses pensées, Sévigné, 24. Je répliquai en appuyant sur l'estime, sur l'amitié, sur les louanges de sa fille ; je glissai sur le reste, Marmontel, Mém. III. Je voulus glisser doucement là-dessus, en disant : cela est fait, sire, il n'y faut plus penser, Genlis, Mme de Maintenon, t. II, p. 168, dans POUGENS. Il ne faut pas glisser trop légèrement sur une matière aussi importante, Chateaubriand, Génie, I, III, 3.
  • 8 V. a. Faire glisser. Monsieur, lui dis-je en me courbant le corps et en glissant un pied vers lui selon notre coutume, je me flatte que ma juste curiosité ne vous déplaira pas, Voltaire, Dict. phil. Quakers.
  • 9Couler adroitement ou furtivement un objet en quelque endroit. Glisser sa main dans la poche de quelqu'un. Il se faisait toujours suivre de quelques domestiques qui avaient ordre de glisser secrètement quelque pièce d'argent dans la main des pauvres qu'on rencontrait, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. III, p. 345, dans POUGENS. Je glisse même dans mon paquet un placet pour le roi, Voltaire, Lett. Duchesse de Choiseul, 9 avril 1770. Rosalie a reçu le billet ? - Du moins je l'ai glissé sous sa porte, De Bièvre, Séducteur, v, 1.
  • 10 Fig. Mettre dans ce qu'on écrit ou ce qu'on dit quelque chose qu'on veut cacher ou qu'on n'ose pas énoncer directement. Glisser une clause dans un contrat. Dans son compliment il lui glisse la beauté de la négociation qu'il va faire, Sévigné, 574. M. de Pompone a glissé fort à propos nos cinq mille francs ; le roi dit en riant : on dit tous les ans que ce sera pour la dernière fois ; M. de Pompone, en riant, répliqua. Sire, ils sont employés à bien vous servir, Sévigné, Lett. 9 déc. 1676. Cela me fournit une occasion naturelle de glisser bien des choses au roi, qui en leur temps porteront des fruits, Maintenon, Lett. au cardinal de Noailles, 18 déc. 1695. De temps en temps, de mon côté, je glisse de petits mots, afin qu'elle y prenne garde, Marivaux, les Surpr. de l'am. I, 10. Voilà encore ce qu'il ne faut point dire, me glissa-t-elle en me quittant, Marivaux, Pays. parv. 3e partie. Ne pouvait-il pas lui glisser [à M. de Staremberg] qu'il y a un barbouilleur de papier qui a trouvé son traité [le traité de Versailles] admirable, et qui désire d'en écrire un jour les suites heureuses ? Voltaire, Lett. d'Argental, 24 mai 1758.

    Glisser deux mots à l'oreille de quelqu'un, lui dire deux mots à l'oreille.

  • 11 Fig. Insinuer, faire pénétrer par insinuation. C'est lui qui a glissé cette erreur parmi le peuple. Il [l'Amour] glissait dans son cœur, en lui disant ces mots, Un désir inconnu de plaire à ce héros, Voltaire, Henr. IX. Ta plainte… glisse l'amour dans son sein, Lebrun, Odes, I, 9.
  • 12Se glisser, v. réfl. Se couler, pénétrer sans être aperçu ou avec précaution. … Dans le lit il se glisse En grand silence…, La Fontaine, Mandr. Nos Grecs dispersés Se sont jusqu'à l'autel dans la foule glissés, Racine, Androm. v, 3. Un serpent qui se glisse entre les fleurs est plus à craindre qu'un animal sauvage qui s'enfuit vers sa tanière dès qu'il vous aperçoit, Fénelon, Dial. des morts anc. Dial. XVII. Comme il se glissait la nuit chez…, Hamilton, Gramm. 6. Je tâchai, en me glissant tout doucement, de gagner le haut de l'église, Marivaux, Marianne, 2e part. Cet empereur [Achmet III] se déguisait souvent en homme privé, en iman ou en dervis ; il se glissait le soir dans les cafés de Constantinople et dans les lieux publics pour entendre ce qu'on disait de lui, Voltaire, Charles XII, 7. Peut-être un meurtrier parmi vous s'est glissé, Delavigne, Vêpres sicil. v, 3. Voici l'heure où je viens, à la chute des jours, Me glisser sous ta voûte obscure, Et chercher, au moment où s'endort la nature, Celui qui veille toujours, Lamartine, Harm. I, 8.
  • 13 Fig. Pénétrer sans être aperçu, en parlant de choses. Il s'est glissé des fautes dons cet ouvrage. Cette noce [une noce faite à huis clos] sera confondue le plus joliment et le plus naturellement du monde avec toutes les autres actions de la vie, et s'est glissée si insensiblement dans le train ordinaire, que personne ne s'est avisé qu'il soit arrivé quelque fête dans ces deux familles, Sévigné, 10 mars 1687.
  • 14S'insinuer. Je sentais une secrète flamme Qui se glissait dans mes os, Voiture, Poésies, dans RICHELET. Ou si quelque lumière en leur âme se glisse, Corneille, Pomp. IV, 1. Quelle horrible frayeur se glisse dans mes veines ! Rotrou, Herc. mour. III, 4. Combien de fois arrêta-t-il une flatterie qui, comme un serpent tortueux, allait se glisser dans son âme [du jeune prince] ! Fléchier, duc de Mont. Et l'espoir malgré moi s'est glissé dans mon cœur, Racine, Phèd. III, 1. Paroles qui se glisseront comme un serpent sous les fleurs, Fénelon, Tél. I.

HISTORIQUE

XIIIe s. Les cheveus a tout hericiés, Les yex crues [creux] en parfond gliciés, la Rose, 10200.

XVe s. Icellui Godart rua un estoc de son espée ; mais le cop glinsa jusques au visage, Du Cange, clidare.

XVIe s. Cette doulceur que sentent ceux qui se laissent glisser au sommeil, Montaigne, II, 54. En un lieu glissant et coulant suspendons nostre creance, Montaigne, II, 241. Le serpent se glissa contre-mont le long de son col jusques à ce qu'il l'attaignit à la face, Amyot, Thém. 48. Il feit forger salades et morrions tous de fer, bien polis par dehors, à fin que les espées glissassent au long, Amyot, Cam. 685. Il en vouloit à ceulx qui par voyes obliques s'alloient glissans en la bonne grace du peuple, Amyot, Marius, 49. Ilz deschausserent leurs souliers, pource que l'on glisse moins en montant à piedz nudz sur des eschelles, Amyot, Aratus, 24. Il gaigna l'autre rive… la terre y glissoit à cause de la fange qu'il y avoit, Amyot, Alex. 26. …Afin que l'age qui glisse Ne les mette à nonchaloir, Ronsard, 396. Il n'est si bien ferré qui ne glisse, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 316.

ÉTYMOLOGIE

Allem. glitschen ; flam. glitsen, glisser. Le mot le plus ancien est non pas glisser, mais glacier, qui vient de glace : XIIe s. Por ceu [ce] ke li piet de ceas [ceux] ki à lei se vorront apoier ne puist glacier en la voie, Saint Bernard, p. 568.