« dépouiller », définition dans le dictionnaire Littré

dépouiller

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dépouiller

(dé-pou-llé, ll mouillées, et non dé-pou-yé) v. a.
  • 1Ôter la peau d'un animal. Dépouiller un lièvre, une anguille.
  • 2Ôter à quelqu'un ses vêtements. On l'a dépouillé de tous ses habits. … leurs habits charmés, malgré nos vains efforts, Sont des brasiers secrets attachés à leurs corps ; Qui veut les dépouiller, lui-même les déchire, Corneille, Médée, V, 1.
  • 3Enlever aux arbres leurs fruits, leurs feuilles, à la terre ses moissons. L'hiver dépouille les arbres de leurs feuilles. Si des gens fussent venus pour dépouiller vos vignes, ne vous auraient-ils pas laissé quelques raisins ? Sacy, Bible, Jérémie, XLIX, 9. Tantôt, comme une abeille ardente en son ouvrage, Elle s'en va de fleurs dépouiller le rivage, Boileau, Art p. II.

    Absolument. Récolter. Le fermier a dépouillé cette année pour mille écus de grains. C'est au fermier à dépouiller cette année.

  • 4Quitter en parlant d'un vêtement, et, en général, de ce qui nous enveloppait ; en ce sens, il ne s'emploie que dans le style soutenu. Dépouiller ses vêtements. Le ver à soie dépouille alors sa première forme, et devient papillon.

    Fig. Si votre ambition ne va qu'à la couronne, Je dépouille pour vous l'éclat qui m'environne, Rotrou, Antig. I, 6. [Elle] Semble avoir dépouillé cet orgueil indomptable…, Corneille, Perthar. II, 5. Ah ! c'en est trop enfin, et mon âme blessée Dépouille un vieux respect où je l'avais forcée, Corneille, Héracl. V, 3. Prenez mes sentiments et dépouillez les vôtres, Rotrou, Vencesl. I, 3. Dépouillez devant eux l'arrogance d'auteur, Boileau, Art p. I. Non, il faut à tes yeux dépouiller l'artifice, Racine, Esth. II, 1. Je tremble qu'Athalie… Et d'un respect forcé ne dépouille les restes, Racine, Athal. I, 1. Avez-vous dépouillé cette haine si vive ? Racine, ib. II, 5. On est bien aise de voir que Mithridate n'avait pas dépouillé toute humanité, Rollin, Hist. anc. Œuvres, t. X, p. 224, dans POUGENS. Zamore au même instant dépouillant sa colère, Voltaire, Alz. V, 2. Celui-ci [le czar] n'ayant pas dépouillé la rudesse de son éducation et de son pays, aussi terrible à ses sujets qu'admirable aux étrangers, Voltaire, Charles XII, 4.

    Dépouiller l'homme, perdre les sentiments humains, ou les faiblesses humaines. Qu'on a de peine à dépouiller entièrement l'homme, dit Pyrrhon, Fénelon, Pyr.

    En termes de l'Écriture, dépouiller le vieil homme, se dépouiller du vieil homme, quitter ses anciennes et mauvaises habitudes. Ma raison s'est troublée et mon faible a paru ; Mais j'ai dépouillé l'homme et Dieu m'a secouru, Corneille, Théod. V, 3.

  • 5Enlever à quelqu'un ce qu'il a. Les voleurs l'ont entièrement dépouillé. Tâche à t'en revêtir [de ma gloire], non à m'en dépouiller, Corneille, Hor. IV, 7. Plus il me ferait honte et mettrait en lumière Le crime d'en avoir dépouillé l'héritière, Racine, Brit. II, 3. C'est par cette dernière grâce que la mort change de nature pour les chrétiens, puisque, au lieu qu'elle semblait être faite pour nous dépouiller de tout, elle commence, comme dit l'Apôtre, à nous revêtir et nous assure éternellement la possession des biens véritables, Bossuet, Duch. d'Orl. Le rude hiver des années dernières acheva de la dépouiller de ce qui lui restait de superflu… et l'aumône lui apprenait à se retrancher tous les jours quelque chose de nouveau, Bossuet, Anne de Gonz. Chaque femme demandera à sa voisine et à son hôtesse des vases d'or et d'argent, et des vêtements précieux ; vous en habillerez vos fils et vos filles, et vous dépouillerez l'Égypte, Sacy, Bible, Exode, III, 22. Je n'aurais point pour eux dépouillé l'orphelin, Voltaire, Tancr. I, 1. Quand il sut… que les paysans russes… qu'il faisait payer généreusement afin d'en attirer d'autres, étaient dépouillés de ces vivres qu'ils nous apportaient, par nos soldats affamés…, Ségur, Hist. de Nap. VIII, 8.

    Dans le même sens, avec un nom de chose. Les vainqueurs dépouillèrent les musées. L'inquiétude dont il était ressaisi se décelait par des ordres de colère ; ce fut alors qu'il fit dépouiller les églises du Kremlin de tout ce qui pouvait servir de trophée à la grande armée, Ségur, Hist. de Nap. VIII, 10.

    Fig. Faut-il qu'un seul sentiment dépouille ainsi toute la vie ? Staël, Corinne, XVII, 8.

  • 6Peler, dénuder. L'eau bouillante lui a dépouillé toute la jambe. La gangrène a dépouillé l'os.
  • 7 Terme de mouleur. Dépouiller une figure moulée, ôter toutes les pièces du moule et tout ce qui a servi au travail.
  • 8 Terme de marine. Dépouiller une côte, tomber sous le vent de cette côte. Peu usité.
  • 9Faire le relevé, l'examen sommaire ; établir le compte de. Dépouiller un inventaire. Dépouiller le scrutin.

    Dépouiller un livre, un registre, en faire des extraits, en tirer tout ce qui s'y trouve d'utile, ou de remarquable.

  • 10Se dépouiller, v. réfl. S'ôter ce qui enveloppe. Il s'est dépouillé de ses habits pour se jeter à la nage. Les serpents se dépouillent tous les ans. Quoi ! Seigneur, dit-elle, vous voulez détruire cette parure ? Pour prévenir votre colère, je commencerai moi-même à m'en dépouiller, Bossuet, la Vallière. L'homme ne périt pas tout entier : il ne fait que se dépouiller de son enveloppe terrestre, et n'est que transformé, Bonnet, Œuvres mél. t. XVIII, p. 205.

    Par extension. La terre se dépouille de sa verdure. Liban, dépouille-toi de tes cèdres antiques, Racine, Esth. III, 9. Les arbres toujours verts transpirent moins en temps égal que ceux qui se dépouillent, Bonnet, Contempl. nat. 6e part. ch. 3.

    Se dénuder. La gangrène s'étant étendue, l'os se dépouilla.

    Se dépouiller en faveur de quelqu'un, se dessaisir de ce qu'on possède. Amasser du bien avec de grands travaux, élever une fille avec beaucoup de soin et de tendresse, pour se dépouiller de l'un et de l'autre entre les mains d'un homme qui ne nous touche de rien, Molière, Am. méd. I, 5. Ne pouvant encore se dépouiller d'un héritage qu'il n'a pas, il se dépouille au moins par avance de ses droits, Bourdaloue, 3e dim. après Pâques, Domin. t. II, p. 103. Les femmes se dépouillèrent avec joie de tous leurs ornements pour fournir aux frais de la guerre, Rollin, Hist. anc. Œuvres, t. I, p. 351, dans POUGENS.

    Fig. Renoncer. César, se dépouillant du pouvoir souverain, Nous ôtait tout prétexte à lui percer le sein, Corneille, Cinna, III, 4. Je me dépouillerai de toute passion, Rotrou, Vencesl. IV, 6. Dépouillonsnous ici d'une vaine fierté, Boileau, Sat. X. De son amour pour toi ton Dieu s'est dépouillé, Racine, Athal. III, 7.

    Se dépouiller se dit aussi d'un liquide qui, par le repos ou en vieillissant, se débarrasse des particules qui en troublaient la transparence. Mettez ce vin en bouteille ; il s'y dépouillera. L'air se dépouille ainsi des vapeurs nuisibles, Bonnet, Contempl. nat. 5e part. ch. 14.

    PROVERBE

    Il ne faut pas se dépouiller avant que de se coucher, c'est-à-dire il ne faut pas se dessaisir de son bien, le partager à ses enfans ou héritiers, de son vivant.

SYNONYME

DÉPOUILLER un vêtement, se DÉPOUILLER d'un vêtement ; DÉPOUILLER l'orgueil, l'amour, se DÉPOUILLER de l'orgueil, de l'amour. Des auteurs ont cherché à établir une différence entre ces locutions, mais, quelque attention qu'on y porte, on ne peut distinguer entre elles aucune nuance réelle.

HISTORIQUE

XIIe s. Touz nuz soit despoillez ses cors et ses façons, Ronc. p. 200. Mais quant il ot chanté, n'esteit pas despuilliez [de ses ornements pontificaux] ; Mais iloec s'est asis einsi apareilliez, Th. le mart. 35. Il vos convint primerains despoillier : En la fontaine entrerez tos premiers, Raoul de C. 293.

XIIIe s. Tantost il fait la pucelle despoiller [deshabiller] et desceindre ; Et la batit d'un frein là où [il] la put ateindre, Audefroi le Bastard, Romancero, p. 14. Et Aliste ma fille je ferai despoillier [déshabiller], Berte, X. Le drap dessus sa robe [ils] lui font tost despoillier, ib. XI. Sachiez, ne m'est mie legier De ma pelice despoillier, Ren. 19584. L'en ne doit rien priser moillier [femme] Qui homme bée à despoillier, la Rose, 4594. Se aucuns est depollez et requiert estre resaisiz, il ne souffist pas tant solemant de dire que il ait esté despolliez, Liv. de just. 21. Et si ne li deut on pas despouillier sa robe qu'il a acoustumé à vestir à cascun jor, Beaumanoir, LIV, 7.

XVe s. Ceste nuyt, qui fut la tierce, le dit duc ne se despouilla oncques, seullement se coucha par deux ou trois fois sur son lict, Commines, II, 9.

XVIe s. C'est le prix de l'espée que vous cherchez, non de la gaine : vous n'en donnerez à l'adventure pas un quatrain, si vous l'avez despouillée, Montaigne, I, 325. Il deffendoit aux siens de despouiller leurs ennemis vaincus, Montaigne, I, 353. Les peres disent : je ne me veulx pas despouiller devant que m'aller coucher, Montaigne, II, 75. Nostre ame leur faict desvestir et despouiller leurs conditions corruptibles, Montaigne, II, 198. Hercules et Bacchus, qui par l'excellence de leur vertu despouillerent ce qu'il y avait de mortel et de passible en eulx, Amyot, Pélop. 30. Parquoy, après avoir dressé un trophée, et despouillé les morts, s'en retournerent en leurs maisons bien joyeux, Amyot, ib. 32. Ilz ne despouillerent leurs armes, ne desbriderent leurs chevaulx, ny ne feirent penser leurs playes, que…, Amyot, ib. 61. Alors il quittoit et despouilloit le manteau de capitaine, Amyot, Crassus et Nicias, 5. Omphale oste secrettement le masque à Hercules, et luy despouille sa peau de lion, Amyot, Anton. et Démét. 4. La demoiselle de la Mothe qui ne despouilloit point [ne se déshabillait], et avoit du feu en sa chambre, r'allie quelques soldats…, D'Aubigné, Hist. II, 60. Tout abricot despouille nettement son noiau, au contraire l'auberge [l'alberge] le tient fermement, De Serres, 678. Quand tes sages propos depouillerent l'escorce De tant d'opinions que frivoles j'avois, Ronsard, 252.

ÉTYMOLOGIE

Voy. DÉPOUILLE ; wallon, dispouii ; provenç. despuelhar, despolhar ; catal. despullar ; espagn. despojar ; ital. spogliare ; du latin despoliare, de de, et spoliare.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

DÉPOUILLER. Ajoutez :
11 Terme de magnanerie. Se dit du ver à soie qui se débarrasse de son enveloppe. Elle remarqua, un jour, qu'un beau ver, à la quatrième mue, n'avait pas pu se dépouiller complétement, et que partie de ce dépouillement étranglé à l'avant-dernier anneau de l'insecte formait un sac assez plein, J. Santy, Mém. d'Agriculture, etc. 1870-71, p. 261.