« le », définition dans le dictionnaire Littré
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le, la, les [1]
- 1Le est l'article du nom masculin au singulier ; l'e s'élide devant une voyelle ou une h muette. Le livre, l'homme, l'épi.
Ah ! ruban tant qu'il vous plaira ; mais ce le où elle [Agnès] s'arrête n'est pas mis pour des prunes ; il vient sur ce le d'étranges pensées, ce le scandalise furieusement ; et, quoi que vous puissiez dire, vous ne sauriez défendre l'insolence de ce le
, Molière, Crit. de l'Éc. des f. 3.La est l'article du nom féminin au singulier ; l'a s'élide devant une voyelle ou une h muette. La lune, l'âme, l'heure.
Les est l'article du pluriel ; et il est commun aux deux genres. Les livres, les roses.
- 2Si la préposition de ou à se trouve devant l'article masculin au singulier, et que le nom suivant commence par une consonne ou par une h aspirée, on change de le en du, et à le en au : du mois ; au mois ; du héros ; au héros.
Si le nom commence par une voyelle ou par une h non aspirée, la préposition et l'article n'éprouvent aucun changement ; mais l'article, soit masculin, soit féminin, s'élide : de l'enfant ; à l'enfant ; de l'honneur ; à l'honneur ; de l'amitié ; à l'amitié.
Au plur. Pour de les on dit des, et pour à les on dit aux : des héros ; aux héros ; des enfants ; aux enfants ; des femmes ; aux femmes.
- 3On répète l'article devant des substantifs qui sont unis par la conjonction et : le père et la mère. Cependant, on dit quelquefois, sans le répéter : les père et mère.
Les père et mère ont pour objet le bien
, La Fontaine, Cal. - 4On répète l'article avant plusieurs adjectifs qui modifient un substantif.
Voilà l'unique et la grande règle qu'il suivait
, Bourdaloue, Pensées, t. II, p. 45.L'utile et la louable pratique, de perdre en frais de noces le tiers de la dot qu'une femme apporte !
La Bruyère, VII.Cette répétition est obligatoire quand les adjectifs expriment des idées tout à fait distinctes : Les bonnes et les mauvaises actions qu'il a faites.
Mais elle n'est pas obligatoire quand les idées exprimées par les adjectifs n'ont rien qui se contredise ou s'oppose : Voilà l'unique et grande règle qu'il suivait. L'utile et louable pratique. L'humble et timide innocence.
- 5On peut mettre l'article devant un adjectif avec le substantif sous-entendu, quand le substantif vient d'être énoncé avec un autre adjectif.
On ne vous a pas laissé ignorer l'histoire grecque ni la romaine
, Bossuet, Hist. Préf.L'un a les affaires de la terre et l'autre les maritimes
, La Bruyère, VIII.Elles se bornent aux choses présentes et nous font perdre de vue les éternelles
, Massillon, Mystères, Incarn. - 6Les se met devant les nombres de jours, d'heures, etc. pour indiquer une certaine approximation ou latitude.
Dans ces étranges sublimités, où ils [les mystiques] passent tranquillement les dix et les vingt ans sans seulement penser à lui [Jésus-Christ] ni à aucun de ses états
, Bossuet, États d'oraison, II, 5.Le vent étant tombé vers les huit heures du soir
, Chateaubriand, Itin. 1re part. - 7L'article au pluriel peut se mettre devant les noms propres d'une façon emphatique, sans idée de pluralité, et alors en effet on ne leur donne pas la marque du pluriel. Les Bossuet, les Racine ont été la gloire du siècle de Louis XIV.
Il s'y joint aussi avec le sens de pluralité ; alors on leur donne la marque du pluriel. Les Virgiles sont rares, c'est-à-dire les poëtes tels que Virgile.
Il se met devant un nom de famille, pour indiquer la famille entière. Les Stuarts. Les Bourbons. Les Corneilles étaient frères.
Je connais les Brassacas ; c'est une des meilleures familles de la Garonne
, Dancourt, Prix de l'arquebuse, sc. 18. (voy. NOM PROPRE). - 8L'article se met encore devant un nom propre pour l'indiquer comme un type, un représentant d'une classe.
Personne ne respecte plus que moi saint François Xavier ; c'était un Espagnol animé d'un zèle intrépide ; c'était le Fernand Cortez de la religion
, Voltaire, Mél. hist. Mensong. impr. 32. - 9L'article se met devant plusieurs noms italiens. Le Titien, le Corrége, le Tasse, l'Arioste.
Cela soit dit pourtant sans offenser le Tasse, que je ne puis oublier sans être une ingrate
, Sévigné, 353.On dit aussi le Poussin, bien qu'il soit français ; mais son long séjour en Italie a fait que l'article s'est joint à son nom.
Les Italiens sont le seul peuple de la terre chez qui on accorde l'article le aux auteurs : le Pulci, le Bojardo, l'Arioste, le Tasse ; mais on n'a jamais dit, chez les Latins, le Virgile ; ni chez les Grecs, l'Homère ; ni chez les Asiatiques, l'Ésope ; ni chez les Indiens, le Brama ; ni chez les Persans, le Zoroastre ; ni chez les Chinois, le Confutzé
, Voltaire, Lett. abbé Foucher, 30 avril 1769.Ne dites pas le Dante ; les Italiens ne mettent l'article qu'avec le nom de famille : le Tasse, l'Arioste, et non avec le nom de baptême ; or Dante, abrégé de Durante, est un nom de baptême ; quand les Italiens mettent l'article au nom de ce poëte, c'est qu'ils le nomment de son nom de famille : l'Alighieri.
- 10L'article se joint quelquefois aux noms propres quand on parle soit familièrement, soit légèrement, de personnes qui ont une notoriété.
La l'Esvile lui dit qu'au lieu de lui faire des excuses…
, Scarron, Rom. com. I, 23.Quittons la Bretagne, et parlons de Grignan, parlons de ces frères qui reviennent toujours au gîte ; ce qui m'étonnait, c'est que le Carcassonne en fût sorti
, Sévigné, 2 août 1689.À mon gré, le Corneille est joli quelquefois
, Boileau, Sat. III.On se permet quelquefois de mettre l'article à des noms propres, et surtout en parlant de certaines femmes extrêmement connues, soit en bien soit en mal ; ainsi l'on dira la Champmeslé, fameuse actrice ; la Brinvilliers, célèbre empoisonneuse
, D'Olivet, Ess gramm. ch. II, § 2.Il [Molière] partit de Lyon pour les états du Languedoc avec une troupe assez complète, composée principalement de deux frères nommés Gros-Réné, de Duparc, d'un pâtissier de la rue Saint-Honoré, de la Dupare, de la Béjart et de la Brie
, Voltaire, Vie de Molière.J'entre, je lis, d'une voix fausse et grêle, Le triste drame écrit pour la Denèle ; Dieu paternel ! quels dédains, quel accueil ! De quelle œillade altière, impérieuse, La Dumesnil rabattit mon orgueil ! La Dangeville est plaisante et moqueuse
, Voltaire, le Pauvre diable.La boutique de la Duchapt, célèbre marchande de modes
, Rousseau, Conf. VII. - 11Quand on cite en latin un titre d'ouvrage qui est féminin en cette langue, plusieurs y joignent néanmoins l'article masculin le.
Ils [Scévole et Louis de Sainte-Marthe] composèrent ensemble le Gallia christiana
, Voltaire, Louis XIV, Écriv. Sainte-Marthe.D'autres suivent le genre du latin : la Gallia christiana.
Les naturalistes sont convenus de mettre toujours le devant les noms latins de plantes et d'animaux, lors même que ces noms sont féminins en latin : le nymphaea alba, L.
- 12À la, à la façon de. À l'anglaise.
Pour parler à la Montesquieu
, Rousseau, Conf. VIII. - 13L'article se dit quelquefois au vocatif, familièrement, et quand on s'adresse à quelqu'un dont on ne sait pas le nom. Hé ! l'homme, venez ici.
- 14Le, la, les, sert à former le superlatif. Le plus sage des hommes. Le meilleur des hommes. La pire des conditions. La plus douce consolation d'un homme de bien affligé est la pensée de son innocence. Quoique cette femme montre plus de fermeté que les autres, elle n'est pas la moins affligée. Les animaux les plus féroces.
Il ne faut pas se flatter, les plus expérimentés dans les affaires font des fautes capitales ; mais que nous nous pardonnons aisément nos fautes quand la fortune nous les pardonne ! et que nous nous croyons bientôt les plus éclairés et les plus habiles quand nous sommes les plus élevés et les plus heureux !
Bossuet, Reine d'Angl.La honte suit toujours le parti des rebelles ; Leurs grandes actions sont les plus criminelles
, Racine, Théb. I, 5.Dans ce superlatif le devient invariable, formant avec plus ou moins une sorte d'adverbe, quand le superlatif indique excès, non comparaison. Cette scène est une de celles qui furent le plus applaudies. La lune n'est pas aussi éloignée de la terre que le soleil, lors même qu'elle en est le plus éloignée.
Ceux que j'ai toujours vus le plus frappés de la lecture des écrits de ces grands personnages [les auteurs grecs et latins], ce sont des esprits du premier ordre
, Boileau, Lett. à Perrault.Ceux mêmes qui s'y étaient le plus divertis ont eu peur de n'avoir pas ri dans les règles
, Racine, Plaid. Préf.Mais qu'on me nomme enfin dans l'histoire sacrée Le roi dont la mémoire est le plus révérée ; C'est ce bon Salomon…
, Voltaire, Ép. XLVI.C'est dans le temps que les grands hommes sont le plus communs, dit Tacite, que l'on rend aussi le plus de justice à leur gloire
, Thomas, Essai sur les éloges.Dira-t-on : les opinions les plus ou le plus généralement suivies ? La réponse dépend de l'intention de celui qui parle, ou de ce qu'il veut faire entendre. Des opinions peuvent être plus ou moins généralement suivies ; si c'est là ce que vous entendez, le, relatif à l'adverbe, sera invariable comme lui, et le plus signifiera le plus qu'il est possible. Si vous avez en vue d'autres opinions plus suivies que celles-là, et que vous vouliez indiquer cette comparaison, c'est au nom que doit se rapporter l'article, et vous direz : les plus suivies. Par suite de ce qui vient d'être établi, ce sera une faute de dire : les opérations le mieux combinées de la campagne, par cela même qu'il y a ici comparaison ; il faudra dire : les mieux combinées (LAVEAUX). Ainsi on dira : Les arbres les plus hauts sont les plus exposés à la tempête, parce que le rapport du superlatif est déterminé ; mais on dira : On a abattu les arbres le plus exposés à la tempête, parce que le rapport n'est pas déterminé. C'est par la même raison qu'on dira : Les parures les plus à la mode sont celles dont je viens de vous parler, et Les parures le plus à la mode ne conviennent pas aux femmes âgées. On dira : Les Égyptiens et les Chaldéens sont les nations les plus anciennement policées ; mais on dira : Les monuments des nations le plus anciennement policées.
Si le superlatif relatif précède son substantif, un seul article suffit pour l'un et pour l'autre : Le plus célèbre orateur qu'aient eu les Romains est Cicéron. Mais si c'est le substantif qui précède le superlatif, il faut mettre un article à l'un et à l'autre : le triomphe le plus beau. Par licence poétique, Molière et Racine n'ont pas observé cette règle :
Mais je veux employer mes efforts plus puissants
, Molière, l'Ét. V, 12.Chargeant de mon débris les reliques plus chères
, Racine, Baj. III, 2.Quand il y a deux superlatifs de suite, on répète l'article : les plus méchants et les plus décriés personnages. Cependant on peut quelquefois supprimer le second article.
Dis si les plus cruels et plus durs sentiments Ont rien d'impénétrable à des traits si charmants
, Molière, l'Ét. I, 2. - 15 Au singulier, l'article s'emploie pour parler en général. L'homme est le roi des animaux. La bête n'est point, comme le prétendait Descartes, un automate. La plante meurt sur le lieu où elle a vécu.
- 16Au sens général, l'article se supprime quelquefois. Contentement passe richesse. Cette suppression se fait surtout dans des locutions proverbiales ; on ne peut guère s'en servir ailleurs que par assimilation à ce genre de locutions. Au contraire, dans l'ancienne langue, elle était de règle.
- 17L'on, voy. ON.
- 18L'un ou un, voy. UN.
HISTORIQUE
IXe s. Viam de l'estege. - Quinque jugera ad la rochere. - Infra rivulum del brol
, Charte de 880, dans DOM CALMET, Hist. eccl. de Lorraine, t. I, p. 316, éd. de 1728.
Xe s. Voldrent la veintre li deo inimi
, Eulalie. Elle n'out eskoltet les mals conselliers
, ib. Si escit [sortit] foers [hors] de la civitate.
Fragm. de Valenc. p. 468. Si astreient [seraient] li Judei perdut, si cum il ore sunt
, ib. p. 468.
XIe s. Salvez serez de Deu le glorius
, Ch. de Rol. IX. Li reis Marsiles est moult mis enemis
, ib. X. Les diz mulez fait Charles establer
, ib. X. Ce dist li reis : al [au congé de] Jhesu et al mien
, ib. XX. Des douze pairs li diz en sont ocis
, ib. C.
XIIe s. Entr'eux sont bien li mille chevalier
, Roncis. p. 37. Si combatrai as [avec les] doze compeignons
, ib. p. 40. Par la Deu grace qui en la crois fu mis
, ib. p. 71. Et tant des autres
, ib. 32. Il ert as [aux] porz [passages] o [avec] sa grant ost bannie
, ib. 33. [Ce cheval] Plus pooit courre par puis et par larris Que li [celui de] Rolant
, ib. 136. Li mien baron [ô mes barons], Mahons vous soit garant
, ib. 137. Pour la Charlon [l'épée de Charles], dont il oït parler
, ib. p. 125. Quant li estez et la douce saisons…
, Couci, XII.
XIIIe s. Ensi sejornerent le jor et l'endemain en cel palais, et el tiers jour leur donna Diex bon vent
, Villehardouin, LXIV. Il parla as barons de France, au palais de lo Scutarie
, Villehardouin, LXV. Et y a moult grant plente de gent del païs
, Villehardouin, LXII. Einsi fu li assaus devisés, que les trois batailles des sept devoient l'ost garder par defors, et les autres quatre devoient aler à l'assaut
, Villehardouin, LXXVI. Tant come on pooit voir aus iels [yeux], ne paroient [paraissaient] fors voiles de nes et de vaissiaus
, Villehardouin, LX. Espousa rois Pepins Berte la belle et gente
, Berte, X. Li une lui aporte à manger d'un poucin
, ib. LX.
XVe s. Et l'amenerent par grand solennité en une cité qu'on appelle Saint Jean en Escosse, où l'on prend le bon saumon et grand foison
, Froissart, I, I, 189.
XVIe s. La plus parfaite des trois especes de gouvernement de la chose publique et la plus selon Dieu et nature, est celle de la royauté
, Amyot, Épître. Ils auront en leur langue maternelle ce qu'il y a de plus beau et de meilleur en la latine et en la grecque
, Amyot, ib. À celuy qui aura l'espée la mieux tranchante
, Amyot, Pyrrhus, 18. Les armez à la legere firent une course sur eulx
, Amyot, Anton. 53. Aristobulus escrit qu'il y en eut de morts trente et quatre en tout, dont les douze estoient gens de pied
, Amyot, Alex. 29. S'ils estoient mis en dix parts, on trouveroit que les huit sont incommodez
, Lanoue, 157. À l'exemple d'eux, les mediocrement riches, voire les pauvres, ont aussi voulu…
, Lanoue, 165. Il y en a (dira-t-on) qui s'eslevent par là : ce qui est vray, mais ce n'est pas de cinquante l'un
, Lanoue, 181. Mespriser les actions lasches et exalter les genereuses
, Lanoue, 209. Les provincial et recteur des jesuites de Douai
, D'Aubigné, Hist. III, 446. Souvent la raison et entendement nous defaut
, Calvin, Inst. 228. Et qui dit que le soupçon est amour, je lui nie
, Marguerite de Navarre, Nouv. XLVII. Seneque, un Burre, un Trazée, ceste terne de gens de bien, desquels mesmes les deux leur mauvaise fortune les approcha d'un tyran
, La Boétie, 69. En mon temps, trois les plus execrables personnes que je cognusse
, Montaigne, I, 68. Il [l'article] sert aussi au vocatif, comme : l'hoste, venez çà ; escoutez, la belle fille
, Ramus, dans LIVET, la Gramm. franç. p. 239.
ÉTYMOLOGIE
Provenç. lo, le, los, les, la, las, et aussi li au pluriel masculin ; espagn. lo, los, las ; port. o, os, a, as ; ital. lo, la, i, gli (anciennement li), le ; du lat. ille, illa, illi, illæ, illos, illas. Il est singulier que ille ait laissé tomber la syllabe accentuée pour ne garder que celle qui ne l'était pas ; peut-être cela s'explique-t-il parce que, passant au rôle d'article, il est toujours proclitique et non accentué dans la phrase.
SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE
1. LE, LA, LES, art. Ajoutez : - REM.1. L'article est-il bien employé dans cette phrase-ci : Cela ne casse ni bras, ni tête ; conservez la vôtre, monsieur le duc
, Voltaire, Corresp. génér. 13 mars 1741. La difficulté est que la se rapporte à tête pris d'une façon indéterminée. Mais cette règle n'a une vraie autorité que quand la violer nuit à la clarté. Ici le sens ne souffre pas ; et M. B. Jullien, Grammaire, p. 249, approuve la phrase de Voltaire.
2. Au XVIIe siècle, on pouvait supprimer l'article dans les expressions superlatives. Qui le jette au danger, lorsque moins il y pense
, Régnier, Élég. V.