« enfoncer », définition dans le dictionnaire Littré

enfoncer

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enfoncer

(an-fon-sé. Le c prend une cédille devant a et o : enfonçons, j'enfonçais) v. a.
  • 1Pousser vers le fond ; faire pénétrer profondément. Enfoncer un vase dans l'eau, un pieu en terre. Il lui enfonça son épée dans le corps. Si quelqu'un crie à l'aide en se noyant, je l'enfoncerai au lieu de lui tendre la main, Perrot D'Ablancourt, Lucien, Timon. Et que, pour signaler son empire nouveau, On lui fasse en mon sein enfoncer le couteau, Racine, Ath. v, 6. [Le lion] souffrait que dans sa gueule il enfonçât la tête ; Le spectateur en frémissait, Lamotte, Fabl. v, 13. Il y en eut plusieurs qui m'apportèrent de petits clous fort jolis pour m'enfoncer dans les bras et dans les cuisses en l'honneur de Brama, Voltaire, Bababec. Au sein du meurtrier j'enfoncerai mon bras, Voltaire, Mérope, II, 7. Connaissez dans quel sang vous enfoncez vos mains, Voltaire, Scythes, v, 5.

    Fig. Quand les Juifs eurent vu par expérience que tous les messies qu'ils avaient suivis, loin de les tirer de leurs maux, n'avaient fait que les y enfoncer davantage, Bossuet, Hist. II, 10.

    Enfoncer son chapeau dans la tête, faire entrer avant la tête dans le chapeau ; métonymie que l'usage a consacrée ; car on devrait dire enfoncer la tête dans le chapeau ; on dit de même le casque en tête, au lieu de la tête en casque.

    Fig. Enfoncer son chapeau, prendre une attitude de déterminé, et aussi prendre une résolution hardie. Enfonce ton bonnet en méchant garçon, Molière, Scapin, I, 7. Ce particulier, enfonçant son chapeau sur sa tête, lui répondit qu'il ne s'entendait point en bas-reliefs, Diderot, Salon de 1767, Œuvres, t. XV, p. 158, dans POUGENS.

    Terme de manége. Enfoncer les éperons à un cheval, les lui faire sentir avec violence.

    Fig. Enfoncer à quelqu'un le poignard dans le sein, lui causer un très vif chagrin, une perte cruelle. Mais Mardochée assis aux portes du palais Dans ce cœur malheureux enfonce mille traits, Racine, Esth. II, 1. Enfonçons dans son cœur le trait qui le déchire, Voltaire, Brutus, II, 3.

  • 2Néologisme et populairement. Vaincre, déjouer ou ruiner quelqu'un. Il l'a enfoncé. Je rentrais dans la coulisse au milieu d'un murmure général ; ce qui m'enfonça jusqu'au troisième dessous, Bayard, les Gants jaunes, sc. 1.
  • 3Forcer, briser, faire une ouverture dans les parois. Sus, sus, brisons la porte, enfonçons la maison, Corneille, Médée, v, 7. Si ce peuple une fois enfonce le palais, Corneille, Nicom. v, 6. Cette petite fille de dix-sept ans a donc aimé ce don Quichotte ; et hier il alla avec cinq ou six gardes de M. de Gèvres enfoncer la grille du couvent avec une bûche et des coups redoublés, Sévigné, 534. Du palais de Mérope on enfonce la porte, Voltaire, Mér. v, 5.

    Enfoncer une côte, la briser.

    Fig. Mettre à mal. Ne soyez point juge, si vous ne pouvez enfoncer par force l'iniquité, Bossuet, Polit. IV, I, 8.

    Fig. et familièrement. Enfoncer une porte ouverte, se vanter d'avoir surmonté un obstacle qui n'existait pas.

  • 4 Terme militaire. Mettre une troupe en désordre et la forcer à plier. La bataille recommença pour la troisième fois avec plus de furie et d'acharnement ; enfin le nombre l'emporta ; les Suédois furent rompus, enfoncés et poussés jusqu'à leur bagage, Voltaire, Charles XII, IV. De toutes parts on perce, on enfonce leurs rangs, Saurin, Spart. I, 2. Épaminondas assuré de la victoire s'il peut enfoncer cette aile si redoutable, Barthélemy, Anach. chap. 1.
  • 5Examiner à fond, pénétrer. Au moins n'enfoncent-ils guère leurs affaires, et ne les conduisent que rarement à leur dernier point, Guez de Balzac, 5e disc. sur la cour. Nous trouvons dans leurs esprits des incertitudes quand nous enfonçons avec eux la matière de la communion, Bossuet, Déf. com. Ils n'ont pas, si j'ose le dire, deux pouces de profondeur ; si vous les enfoncez, vous rencontrez le tuf, La Bruyère, VIII. Mme la duchesse d'Orléans n'aurait ni la grâce ni la force nécessaire pour le lui bien enfoncer [convaincre la duchesse de Bourgogne de l'importance du mariage du duc de Berry avec Mademoiselle], Saint-Simon, 267, 99.

    Cet emploi d'enfoncer a vieilli.

  • 6 Terme de tonnelier. Mettre le fond à une futaille.
  • 7Joindre ensemble toutes les parties d'un ouvrage de layetterie.
  • 8 Terme de potier. Enfoncer un plat, le faire plus creux ou plus profond.
  • 9 Terme de graveur. Rendre plus creux.
  • 10 Terme d'imprimerie. Enfoncer une ligne, mettre un cadratin au commencement d'une ligne qui suit immédiatement un alinéa.
  • 11 Terme de fauconnerie. Fondre sur la proie en la poussant jusqu'à la remise. L'épervier vient d'enfoncer la perdrix. Et absolument : l'oiseau enfonce.
  • 12 V. n. Aller au fond. La nacelle enfonça. Enfoncer dans un bourbier jusqu'aux oreilles.

    Par extension. Tirez-moi de cette boue où je ne saurais marcher sans enfoncer tous les jours davantage, Massillon, Car. Pâques. Si je pouvais pénétrer dans le secret des familles, là je trouverais l'innocence prête à enfoncer et préservée du naufrage, Massillon, Or. fun. Villars.

    Fig. Mais enfonçons davantage dans les sentiments du ministre, Bossuet, Var. 15. La cour veut toujours unir les plaisirs avec les affaires… enfoncez, vous trouverez partout des intérêts cachés, des jalousies délicates qui causent une extrême sensibilité, et, dans une ardente ambition, des soins et un sérieux aussi triste qu'il est vain, Bossuet, Anne de Gonz. Montrez aux femmes combien elles sont incapables d'enfoncer dans les difficultés du droit, Fénelon, t. XVII, p. 99.

  • 13S'enfoncer, v. réfl. Toucher, pénétrer dans un fond. Le vaisseau s'enfonce dans les vagues. À la seconde journée, deux de leurs moutons s'enfoncèrent dans des marais, Voltaire, Cand. 19. Le terrain qu'il parcourt, semblable à la mer agitée par une violente tempête, s'enfonce ou s'élève sous ses pas [dans un tremblement de terre], Genlis, Veillées du chât. t. I, p. 642. dans POUGENS.

    Par extension. À ces mots il s'enfonça dans son lit, et ne tarda guère à se rendormir, Lesage, Gil Blas, III, 8.

    Fig. Les jours, les mois, les années s'enfoncent et se perdent sans retour dans l'abîme des temps, La Bruyère, XIII.

  • 14Pénétrer fort avant. Je m'enfonçai dans une sombre forêt, où j'aperçus tout à coup un vieillard qui tenait un livre dans sa main, Fénelon, Tél. II. Le fils d'Ulysse s'enfonce dans ces ténèbres horribles, Fénelon, ib. XVIII. Son époux s'enfonça dans un désert sauvage, Delille, Géorg. IV. J'ai couru m'enfoncer dans un bois ténébreux, Legouvé, Épichar. et N. I, 3. Les Russes remplissaient en masse ce chemin creux ; Delzons et ses Français s'y enfoncent tête baissée ; les Russes rompus sont renversés, Ségur, Hist. de Nap. IX, 2. Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes, Il serpente et s'enfonce en un lointain obscur, Lamartine, Méd. I, 1.

    Fig. Vous allez vous enfoncer dans d'étranges épines, Molière, F. de Scap. II, 8. Cette parfaite honnêteté [savoir-vivre] demande qu'on se communique à la vie [au monde], et même qu'on s'y enfonce, Méré, Œuvres posth. t. II, p. 313. Pour me plaindre à vos pieds et m'enfoncer dans votre tristesse, ID. ib. Tous les jours ils s'enfonçaient de plus en plus dans le crime, Bossuet, Hist. II, 1. Ils n'ont fait que s'enfoncer de plus en plus dans l'ignorance, Bossuet, ib. II, 10. Poussé par cette aveugle impression qui le dominait, l'homme s'enfonçait dans l'idolâtrie, sans que rien pût le retenir, Bossuet, ib. II, 2. Plus ils sentent et plus ils souffrent, plus ils s'enfoncent dans la vie et plus ils sont malheureux, Rousseau, Hél. III, 21.

  • 15S'écrouler en tombant dans le fond. Le plancher s'enfonça.
  • 16Présenter un enfoncement, un retrait. Cette contrée occupe cent quatre-vingts lieues de côtes, et s'enfonce dans l'intérieur des terres jusqu'à des montagnes fort hautes, plus ou moins éloignées de l'Océan, Raynal, Hist. phil. VI, 25.

    Être dans un fond. Un jardin fort élevé dans lequel la maison s'enfonçait sur le derrière, Rousseau, Confess. I.

  • 17S'adonner entièrement à, s'absorber dans. S'enfoncer dans de profondes rêveries. Il s'enfonça dans la plus abstraite analyse, Fontenelle, Rolle. Cet ouvrage est suffisant pour ceux qui, comme vous et moi, ne se soucient pas de s'enfoncer dans nos antiquités, Diderot, Sur l'hist. du parl.
  • 18 Populairement. Se ruiner soi-même, se ruiner l'un l'autre. Il s'est enfoncé lui-même. Ils cherchaient mutuellement à s'enfoncer.

HISTORIQUE

XVIe s. Enfoncer le battaillon des ennemis, Montaigne, I, 366. …assise à la senestre, Est la melancholie au sourcil enfonsé, Du Bellay, J. VII, 72, verso. Souvent de cent chevaux, il n'y en aura pas vingt et cinq qui enfoncent, Lanoue, 291. Il vit une dixaine de compagnons des plus determinez qui enfonçoient le chapeau selon leur coutume ordinaire quand on les regardoit en face, D'Aubigné, Vie, LXXIV. La glace creva et enfonça plus de 120 hommes, D'Aubigné, Hist. III, 103.

ÉTYMOLOGIE

En 1, et foncer.