« apprendre », définition dans le dictionnaire Littré

apprendre

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

apprendre

(a-pran-dr'), j'apprends, ils apprennent, j'apprenais, j'appris, j'apprendrai, que j'apprenne, apprenant, appris v. a.
  • 1Acquérir une connaissance, retenir dans sa mémoire. Il avait appris tout ce qu'on peut apprendre. On croirait qu'il n'a jamais rien appris. Apprendre à jouer du piano. Apprendre à lire. Apprendre les danses les plus nouvelles. Apprendre à fond. Apprendre par cœur. Apprenez ces vers. Apprendre facilement. Si j'apprenais l'hébreu, les sciences, l'histoire, La Fontaine, Fab. VIII, 25. Trois sceptres conquis Font voir à quelle école il en a tant appris, Corneille, Nic. III, 2.

    Absolument. Il apprend continuellement.

  • 2Contracter une disposition, une habitude. Ils avaient appris à ne point quitter leurs drapeaux. J'appris à supporter le malheur. Et que les pauvres apprennent à ne désirer pas avec tant d'ardeur ce qu'on peut quitter avec joie, Bossuet, Le Tellier. N'apprendra-t-il pas dans la cour au moins un peu de complaisance ? Fléchier, II, 139. N'apprendras-tu jamais, âme basse et grossière, à voir par d'autres yeux que les yeux du vulgaire ? Corneille, Rodog. II, 2. L'ingrate, qui mettait son cœur à si haut prix, Apprend donc à son tour à souffrir des mépris, Racine, Andr. II, 1. Qu'en vous aimant, vos fils apprennent à vous craindre, Piron, Éc. des Pères, II, 5.
  • 3S'apercevoir, reconnaître. Il apprendra qui je suis. Apprends que rien n'a jamais été si honteux.
  • 4Être informé. J'ai appris par votre lettre… J'apprends que votre ennemi est mort. Apprends le reste. Tu demandes d'où j'ai appris cela si bien. J'avais appris de fâcheuses nouvelles. J'ai tout appris de lui et par lui. Dès que César eut appris par ses éclaireurs… … De votre bouche, ô ciel ! puis-je l'apprendre ? Racine, Brit. IV, 3.
  • 5Enseigner. Apprendre à quelqu'un les belles-lettres. Il lui apprenait à monter à cheval. L'habitude apprend à supporter la fatigue. L'expérience nous a appris… Mes exemples, un jour, ayant fait place aux vôtres, Ce que je vous apprends, vous l'apprendrez à d'autres, Corneille, Sertor. III, 2. On n'apprend pas aux hommes à être honnêtes gens, et on leur apprend tout le reste, Pascal, dans BOUHOURS.

    S'apprendre, enseigner à soi. Cette dame s'est appris à filer. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'ils méditent ce dessein, ils se sont appris à tourmenter les gens sur la bulle et sur les brefs d'Innocent X, Pascal, Prov. 19.

    Faire savoir. On m'a appris la mort de votre oncle. L'histoire ou la tradition nous apprend… Des auteurs dignes de foi nous apprennent… Quel est donc ce secret que tu me veux apprendre ? Racine, Esth. II, 1.

    Familièrement. Apprendre à vivre à quelqu'un, l'obliger à se conduire autrement

    Apprendre à parler à quelqu'un, le corriger de son peu de retenue dans ses discours. La Vauguyon dit à Mme Pelot qu'il ne savait ce qui le tenait qu'il ne lui mît la tête en compote pour lui apprendre à l'appeler poltron, Saint-Simon, 14, 161.

  • 6S'apprendre. Être appris. Là où le droit civil s'apprend.

REMARQUE

1. Dans le sens d'acquérir des connaissances, on dit apprendre quelque chose de quelqu'un. Dans le sens d'enseigner, instruire : on apprend quelque chose à quelqu'un. Dans les deux sens, le verbe apprendre régit à devant les verbes.

2. Pourtant quelques auteurs ont dit apprendre de. Tous mes efforts ne m'ont de rien servi qu'à m'apprendre de ne plus tenter une chose impossible, Voiture, II, 26. Une maxime qui nous apprendra d'estimer la vie, Bossuet. Il n'y a aucune faute de grammaire à mettre de après apprendre ; mais l'usage actuel rejette cette tournure, qui reste un archaïsme.

3. On entend parfois dire : je n'ai besoin de personne pour apprendre mon fils ; il faut pour enseigner mon fils. Cette locution, aujourd'hui rejetée, n'est pourtant qu'un archaïsme. Apprendre avec le régime direct de la personne se trouve dans les auteurs du XVIIe siècle. Oiseaux qu'ils ont appris à chanter toutes sortes de ramages, Vaugelas, Q. C. 473. De cet emploi viennent les locutions, mal appris, bien appris.

4. Des grammairiens ont prétendu qu'on ne devait pas employer apprendre dans le sens d'enseigner, par exemple : apprendre le latin à un enfant ; et que cette tournure n'était fondée que sur l'autorité insuffisante de quelques dictionnaires. C'est une erreur ; apprendre en cet emploi est dans Corneille, et dans l'ancien français, comme on peut le voir à l'historique.

SYNONYME

1. APPRENDRE, ENSEIGNER, INSTRUIRE. Instruire, c'est donner l'instruction, rendre instruit. Enseigner, c'est donner des leçons d'un objet déterminé : on enseigne le latin, les mathématiques à un enfant. Apprendre a le même emploi qu'enseigner, mais d'une façon plus vague, et en ne portant pas l'esprit aussi précisément sur la leçon qui se donne. On instruit quelqu'un de son devoir, en le lui exposant. On lui enseigne son devoir, en lui en faisant la leçon. On lui apprend son devoir, en le lui faisant connaître d'une façon quelconque.

2. APPRENDRE, FAIRE SAVOIR, INFORMER. Je vous apprends une nouvelle d'une façon quelconque, soit qu'elle vous intéresse ou non, soit qu'elle soit sûre ou non. Je vous la fais savoir par une lettre ou un message. Je vous en informe, si elle vous importe, et si j'ai des renseignements fidèles.

HISTORIQUE

XIe s. Mout ad appris, qui bien conut ahan, Ch. de Rol. CLXXXI.

XIIe s. Demande et apren qui je sui et qui sont li prince qui me aident, Machab. I, 10. Jà nel [ne le] deüst ne soufrir ne vouloir La douce riens qui tant est bien aprise, Couci, XVII. À moi [près de moi] en peut li plus sages aprendre, Couci, v. Et les dames qui courtoises estoient [jadis], Ont tout laissé pour apenre à bourser, Quesnes, Romancero, p. 87. Se leur pese de ce que [je] vous ai di, Si s'en prennent à mon maistre d'Oisi, Qui m'a apris à chanter dès enfance, ib. p. 98. Bele, nous nous entraimions Quant à l'escole aprenions, ib. p. 62. Je m'occirai, s'autre que Garin m'ait [pour femme] ; Ou je ferai quanqu'amours m'aprendrait [m'apprendra], ib. p. 92. Ne cil ne sont bien appris ne courtois Qui m'ont repris, se j'ai dit mot d'Artois, ib. p. 83. [Un messager] Qui moult pesmes nouveles a as François aprises, Sax. XXIII. Merveille est de sage humme e des letres apris, Qu'il la cremur de Deu a si ariere mis, Th. le mart. 85.

XIIIe s. Pour aprendre françois leur filles et leur fils, Berte I. François savoit Aliste, car leans l'eut apris, ib. v. À enherber [empoisonner] m'aprist jadis une Juïse [juive], ib. LXXVI. Fille, dist-il, de cortoisie Ne de sens ne m'aprenés mie, la Rose, 6626. Si que cil qui s'entremetront de l'office [de bailli] puissent aprendre aucun exemple, Beaumanoir, 17. Et le roy li demanda où il avoit apris françois, et il dit que il avoit esté crestian, Joinville, 251.

XIVe s. Encor est-il verité que toute science, quant est de soy, il semble qu'elle peut estre aprise, Oresme, Eth. 173. Et cel aigle felon tenir et attraper Et mettre en ma geole pour apprendre à parler, Guesclin. 20536. Nous ordonnons qu'il [y] ait un cler qui apprendra nos filles, Du Cange, apprehendere. Courtoys estoit et bien aprins, Liv. du bon Jeh. 1016.

XVe s. Ils lui chaufferent si fort et appreingnirent [serrèrent] les plantes des piés que les soles d'iceulx lui en sont cheutes, Du Cange, attridere. Ce vous veil [je veux] apenre, la Pass. de N. S. J. C. On n'a pas sitost appris une terre ni un air où on ne fut oncques, Froissart, II, III, 83.

XVIe s. La douceur de sa grace, quelque souefve qu'elle soit, apprend les hommes de s'esmerveiller avec crainte, Calvin, Inst. 440. Les filles feurent bien apprises, et à tous presentarent plains hanapz de vin, Rabelais, Pant. IV, 54. … Non : mais afin que si bien j'en apprinse Que toy, qui ès des pastoureaux le prince, Prinsses plaisir à mon chant escouter, Marot, I, 221. Que philosopher, c'est apprendre à mourir, Montaigne, I, 68. Les Romains avoient apprins d'amollir ou d'estendre ce mot en periphrases, Montaigne, I, 72. Qui apprendroit les hommes à mourir leur apprendroit à vivre, Montaigne, I, 81. Il faut apprendre aux enfants de haïr les vices… et leur en apprendre la naturelle difformité, Montaigne, I, 108. Il fault que ce soit une personne trop mal apprise, Amyot, Solon, 39. Ayant composé quelques vers, il les apprit par cueur pour les prononcer en public, Amyot, Solon, 11. Il employoit à tous propos ce qu'il avoit appris de Anaxagoras, Amyot, Péric. 13. Et ensemble s'apprenoient et s'exercitoient à l'experience de la marine, Amyot, Péric. 22. … maintenant faut apprendre D'estre humble et doux et ne plus abboyer : Il faut apprendre à flechir et ployer, Ronsard, 739.

ÉTYMOLOGIE

Apprehendere, de ad, à, et prehendere, prendre, saisir par l'esprit (voy. PRENDRE). Picard, bien apprins ; bourguig. éprarre, éparre ; provenç. aprendre, apenre, aprener ; catal. apender ; espagn. aprender ; ital. apprendere.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

APPRENDRE. - REM. Ajoutez :

5. L'emploi archaïque d'apprendre au sens d'enseigner, avec le régime direct de la personne, a été imité par Béranger : Vous que j'appris à pleurer sur la France, la Bonne vieille.