« torrent:2 », définition dans le dictionnaire Littré

torrent

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

torrent

(tor-ran) s. m.
  • 1Courant d'eau très rapide, soit permanent et produit par la grande déclivité du terrain dans les montagnes, soit peu durable et produit par des orages ou des fontes de neige. Avec grand bruit et grand fracas Un torrent tombait des montagnes, La Fontaine, Fabl. VIII, 23. Comme il n'y a point de fontaine dont la course soit si tranquille, à laquelle on ne fasse prendre par la résistance la rapidité d'un torrent, Bossuet, Sermons, Bonté et rigueur de Dieu, 2. Un torrent débordé qui, d'ur cours orageux, Roule plein de gravier sur un terrain fangeux, Boileau, Art p. I. L'Arveiron est un torrent considérable, qui sort de l'extrémité inférieure du glacier des Bois par une grande arche de glace, Saussure, Voy. Alpes, t. III, p. 1, dans POUGENS. Un torrent est un cours d'eau qui affouille dans la montagne et dépose dans la vallée, Surell, Étude sur les torrents, dans Journ. des sav. mai 1870, p. 262.

    Fig. Le discours du P. Bourgoing se répandait à la manière d'un torrent, Bossuet, Bourgoing.

    Par exagération. Pleuvoir à torrent, pleuvoir avec une force et une abondance extraordinaires. Et les nombreux torrents qui tombent des gouttières, Boileau, Sat. VI.

  • 2 Par extension, il se dit de certaines choses, eu égard à leur abondance, à leur impétuosité. Un torrent de bitume. Ils ont poussé d'abord de gros torrents de feux, Corneille, Tois. d'or, v, 2. Le dieu [le soleil], poursuivant sa carrière, Versait des torrents de lumière Sur ses obscurs blasphémateurs, Lefranc de Pompignan, sur la mort de J. B. Rouss.

    Un torrent de larmes, des larmes très abondantes. J'ai vu Mme de Fontenilles, qui a perdu sa mère ; c'étaient des torrents de larmes ; elle est abîmée dans sa douleur, Sévigné, 8 oct. 1688. Deux torrents de larmes amères coulaient de mes yeux, et le doux sommeil leur était inconnu, Fénelon, Tél. IX.

  • 3Il se dit de ce qui coule abondamment en paroles ou en écrit. Un torrent de paroles. Ce mot aurait suffi sans ce torrent d'injures, Corneille, Poly. III, 2. Il va nous inonder des torrents de sa plume, Boileau, Lutr. IV. Dans ces torrents d'injures [contre Corneille], il [l'abbé d'Aubignac] fut secondé par les mauvais auteurs ; ce que l'on croira sans peine, Voltaire, Comm. Corn. Rem. Sertor. Préf. Byron, viens en tirer [de ma lyre] des torrents d'harmonie, Lamartine, Méd. I, 2.
  • 4 Fig. Guerrier, conquérant que rien n'arrête. Où sont ces grands guerriers dont les fatales ligues Devaient à ce torrent [Louis XIV] opposer tant de digues ? Boileau, Art p. IV. Ils savent que, sur eux prêt à se déborder, Ce torrent [Rome], s'il m'entraîne, ira tout inonder, Racine, Mithr. III, 1. Mais qui peut dans sa course arrêter ce torrent [Achille] ? Racine, Iphig. I, 1.

    Personne qu'on ne peut contenir, diriger. Et que c'est battre l'eau de prétendre arrêter Ce torrent effréné, qui de tes artifices Renverse en un moment les plus beaux édifices, Molière, l'Ét. III, 1.

  • 5 Fig. Il se dit des multitudes qui se précipitent. Une infinité de nations inconnues sortirent du Nord, se répandirent comme des torrents dans les provinces romaines, Montesquieu, Lett. pers. 131.
  • 6 Fig. Ce qui s'écoule, ce qui se presse avec la rapidité et la force d'un torrent. Les torrents de l'iniquité m'ont rempli de trouble, Sacy, Bible, Psaum. XVII, 5. Ainsi le torrent du monde s'écoule, quelque soin qu'on prenne à le retenir ; tout est emporté par cette suite rapide de moments qui passent ; et par ces révolutions continuelles nous arrivons souvent, sans y avoir pensé, à ce point fatal où le temps finit et l'éternité commence, Fléchier, Duch. d'Aiguillon. Dieu seul est toujours le même… les torrents des âges et des siècles coulent devant ses yeux, Massillon, Bénéd. des drapeaux du rég. de Catinat. Ce fut là le premier avantage qu'eut le roi Auguste, dans le torrent de sa mauvaise fortune, contre les armes victorieuses de son ennemi, Voltaire, Charles XII, 3. Je suis si pressé par le temps que j'en ai la vue éblouie ; le torrent de l'avidité des libraires m'entraîne, Voltaire, Lett. en vers et en prose, 54. L'homme, entraîné lui-même par le torrent des temps, ne peut rien pour sa propre durée, Buffon, Quadr. t. I, p. 5.

    Le torrent des affaires, leur grand mouvement. La pitié [pour la famille Calas] pénétra jusqu'au ministère, malgré le torrent continuel des affaires, qui souvent exclut la pitié, Voltaire, Pol. et lég. Traité sur la tol. Hist. abr.

  • 7Première impétuosité des sentiments, premier mouvement, premier emportement. La belle [une veuve] avait un père, homme prudent et sage ; Il laissa le torrent couler ; à la fin, pour la consoler…, La Fontaine, Fabl. VI, 21. Il me semble que vous avez peur que je ne sois ridicule, et que je ne me répande excessivement sur le sujet [le chagrin de l'absence de Mme de Grignan] ; non, non, ma bonne, ne craignez rien ; je sais gouverner ce torrent, Sévigné, 5 juin 1675. Ulysse, en apparence, approuvant mes discours, De ce premier torrent laissa passer le cours, Racine, Iphig. I, 1. Mme la duchesse de Bourgogne pleurera ; mais il faudra des raisons, non des larmes ; qui les produira contre ce torrent [soulevé contre son mari] ? Saint-Simon, 195, 113.
  • 8Influence de l'exemple, de la mode, des événements, force des choses. N'examinons donc plus la justice des causes ; Et cédons au torrent qui roule toutes choses, Corneille, Pomp. I, 1. C'est un torrent ; qu'y faire ? il faut qu'il ait son cours ; Cela fut et sera toujours, La Fontaine, Fabl. VII, 15. Elle [la disgrâce de Pompone] ne sera pas sitôt oubliée de beaucoup de gens ; car, pour le torrent, il va comme votre Durance quand elle est endiablée, Sévigné, 8 déc. 1679. Pour arrêter le torrent des mauvaises mœurs, Bossuet, Bourgoing, 2. Malheur à toi, torrent de la mauvaise coutume des hommes, disait autrefois saint Augustin ; qui te pourra résister ? Fléchier, Sermons, 2e dim. de l'avent. Cependant au torrent je me laisse entraîner, Th. Corneille, Comt. d'Orgueil, I, 5. Ne nous laissons pas emporter au torrent de la coutume, Maintenon, Lett. à Mme de la Viefville, 4 mars 1706. Et ce qu'il y a de terrible, c'est qu'en cela vous ne faites que suivre le torrent ; vos mœurs sont les mœurs de presque tous les hommes, Massillon, Carême, Élus. Esprit faible et crédule en sa dévotion, Il suivait le torrent de la rébellion [la Ligue], Voltaire, Henr. v.

HISTORIQUE

XVIe s. Boire à tout torrent, tourner à tout vent, Génin, Récréat. t. II, p. 236. Voyez les anciennes considerations qui ont donné le premier bransle à ce fameux torrent [les lois et leur autorité], plein de dignité, d'horreur et de reverence, Montaigne, II, 349.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. torrent ; espag. et ital. torrente ; du lat. torrentem, torrent, qui se précipite avec rapidité, de torrere (voy. TORRIDE), au sens de se dessécher : un cours d'eau qui se dessèche l'été.