« compagnon », définition dans le dictionnaire Littré

compagnon

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

compagnon

(kon-pa-gnon) s. m.
  • 1Celui qui accompagne une autre personne, qui est associé à elle. Mais de qui savez-vous un désastre si grand ? - Des compagnons d'Araspe et d'Araspe mourant, Corneille, Nicom. V, 3. Gouvernez, si vous pouvez, tout seul les affaires, administrez la justice sans compagnons, Guez de Balzac, liv. IV, lett. 18. … Oui, mon fils, c'est vous sur qui je me repose, Vous seul qu'aux grands desseins que mon cœur se propose, J'ai choisi dès longtemps pour digne compagnon, Racine, Mithr. II, 5. L'inexpérience indocile Du compagnon de Paul-Émile Fit tout le succès d'Annibal, Rousseau J.-B. Ode à la Fortune. Venez, dignes soutiens de la grandeur romaine, Compagnons de César…, Voltaire, Mort de César, I, 3.

    Se dit des religieux qui habitent ou qui marchent ensemble. Un moine ne doit point sortir de son couvent sans que son supérieur lui donne un compagnon.

    Fig. Le bon cœur est chez vous compagnon du bon sens, La Fontaine, Fabl. XII, 23.

    Compagnon de la mate, s'est dit pour filou, voleur. Alors le drille voulut parler à son tour des compagnons de la mate, Recueil de pièces com. dans LEROUX, Dict. comique.

  • 2Camarade. Il pouvait, sans sortir, contenter son envie, Avec ses compagnons tout le jour badiner, Sauter, courir, se promener, La Fontaine, Fabl. VIII, 16.
  • 3Collègue, confrère. Le notaire : Moi ! si j'allais, madame, accorder vos demandes, Je me ferais siffler de tous mes compagnons, Molière, Femmes sav. V, 3.

    Compagnons d'armes, gens qui font la guerre ensemble. Il appelle ses compagnons de guerre, La Bruyère, Théophraste, 25.

  • 4Un égal. Il ne peut souffrir ni compagnon ni maître.

    En compagnons, sans cérémonie et comme il convient entre camarades. Je vous supplie, dit-il, vivons en compagnons, Régnier, Sat. VIII.

    Familièrement. Traiter quelqu'un de pair à compagnon, d'égal à égal. C'était un gros homme frais, rustre, très volontiers brutal, pair et compagnon avec tout le monde, Saint-Simon, 52, 123. Comment, disait-il en son âme, Ce chien, parce qu'il est mignon, Vivra de pair à compagnon Avec monsieur, avec madame, Et j'aurai des coups de bâton ! La Fontaine, Fabl. IV, 5.

  • 5Autrefois, garçon qui, ayant fait son apprentissage en quelque métier et n'ayant pas le moyen de se faire passer maître, allait servir et travailler chez les autres.

    Aujourd'hui, ouvrier qui a fini son apprentissage mais qui travaille pour un entrepreneur ou un autre ouvrier jouant le rôle d'entrepreneur. De simple compagnon, il est devenu chef d'atelier. Il a des compagnons qui travaillent sous lui, La Bruyère, V.

    Parmi les maçons, compagnon se dit, entre deux ouvriers, de celui qui aide à l'autre.

    Dans la typographie, nom que se donnent ceux qui travaillent à une même presse.

    Compagnons de rivière, ceux qui travaillent sur les ports à décharger et à serrer les marchandises.

    Ouvrier membre d'une société de compagnonnage. Les compagnons du Devoir. La mère des compagnons, femme qui héberge, aux frais d'une société de compagnons, ceux des membres qui sont en voyage.

    Travailler à dépêche compagnon, travailler vite et négligemment. C'est un ouvrage fait à dépêche compagnon.

    Se battre à dépêche compagnon, se battre à outrance, sans dessein de s'épargner.

  • 6Homme gaillard, vif, résolu, galant. C'est un compagnon. En son temps aux souris le compagnon chassa, La Fontaine, Fabl. XI, 8.

    Être bon compagnon, aimer le vin, la bonne chère, les plaisirs, ne pas reculer devant les dangers. Henri IV était bon compagnon, J'ai ouï dire que vous avez été autrefois un bon compagnon, Molière, Fourb. I, 6.

    Faire le compagnon, faire l'entendu.

    C'est un hardi compagnon, c'est un homme déterminé. On a dit de même : il est gentil compagnon ; c'est un gentil compagnon. C'est un dangereux compagnon, c'est un homme capable de faire de mauvais coups.

    C'est un petit compagnon, c'est un homme sans importance. Mme de Guise passait les autres six mois à Alençon, où elle régentait l'intendant comme un petit compagnon, Saint-Simon, 35, 147. L'abbé Fleury était trop petit compagnon pour quitter sa charge par dépit, Saint-Simon, 63, 50. Jules Mazzarini, arrivant de son pays avec peu d'équipage et petit compagnon, estime les Français, Courier, I, 202.

    PROVERBE

    Qui a compagnon a maître, c'est-à-dire on ne fait rien sans le communiquer, quand on est lié de quelque manière avec une personne ; on est souvent obligé de céder aux volontés des personnes avec qui on est associé.

HISTORIQUE

XIe s. Ne Oliver, por ce qu'est sis cumpainz, Ch. de Rol. XXIV. L'arere-garde des douze cumpaignons, ib. LXVI.

XIIe s. Joste lui fu ses compaing Olivers, Ronc. p. 36. Li conpaignon après lui vont siguant [suivant], ib. p. 38. Si 'n apela [ainsi en apela] Rolant son conpagnon, ib. p. 44. S'il ne vient ci o cent mil compeignons, ib. p. 117. Dorenavant serons nous conpeignon, ib. p. 140. Onques teurtre qui pert son compaignon Ne fut un jour de [que] moi plus esbahie, Couci, XXIV. La fu morz Oliviers et ses compainz Rolanz, Sax. V. Laienz entra Thomas od mult poi conpaignuns, Th. le mart. 38. Compagnon d'armes avons esté set ans, Du Cange, compagus.

XIIIe s. Il et si compaignon la laisserent fuïr, Berte, CIII. Quant cil de Melans virent morir leur compaignon, Chr. de Rains, 118. Ainsinc, compains, esploiterés, Quant as portiers venus serés, la Rose, 7697. Compains est à toutes les choses, Qui sunt en tout le monde encloses, ib. 19243. Li compainz à mon compaignon n'est pas mon compainz, Digeste, f° 194. S'on pot savoir qu'il soient compaignon d'un malice, il doivent estre compaignon de rendre le domache, Beaumanoir, L, 9. Li quens ou li vesques li doivent baillier un compaignon, Beaumanoir, XII, 28. Quant ses compains sot que les detes…, Beaumanoir, XXI, 29. Et metent entr'ax [eux] peine ou manaces sor les compaignons qui lor aliance ne tenront, Beaumanoir, XXX, 62.

XVe s. Et si fit-on aucuns compagnons monter sur coursiers pour escarmoucher à eux, Froissart, I, I, 41. Par l'ennort et conseil [de] messire Hervey de Lion, avec qui il avoit esté grand compain en Grenade et en Prusse, Froissart, I, I, 151. François Acreman, qui estoit compaing en toutes choses à Philippe, Froissart, II, II, 205. Lesdits pays, que on appeloit compagnons ou alliés, Froissart, I, I, 125. Et sachez que chacun de ces soudoyés avoit chacun jour quatre compagnons ou gros de Flandre pour ses frais et pour ses gages, Froissart, I, I, 65. Quand notre bourgeois eut gagné la grace du compagnon [artisan], Louis XI, Nouv. I. Sire, dist-elle, j'ay amy que je ne quiers faulser ; puis s'en revint à ses compagnons [compagnes] et elle leur conta toute son aventure, Perceforest, t. IV, f° 149. Et luy qui desirant estoit d'honneur conquerre, empoigne son glaive, et s'en vient vers son compaignon [adversaire] qui venoit sur luy roidement et fort, ib. t. I, f° 108.

XVIe s. Mais de la tienne, Dieu mercy, Compaignon, tu ne m'en dis rien, Marot, I, 210. … Ou pour jetter des fruits jà meurs et beaux, à mes compaings, qui tendoient leurs chappeaux ! Marot, I, 217. Les rois sont compaignons, sinon maistres, des loix, Montaigne, I, 12. Gentil compaignon par tout ailleurs, Montaigne, I, 96. Quoy que die ce bon compaignon [Catulle], Montaigne, I, 270. Caesar, estant creé consul pour la tierce fois, ne prit pas Antonius, ains choisit Lepidus pour son compagnon, Amyot, Anton. 13. Chiens pour le fauve, chiens pour le noir, levriers de compagnon et d'attache, D'Aubigné, Faen. I, 5. Les compagnons de la Matte [les filous], D'Aubigné, ib. III, 1. Vous vivez trop en bon compagnon pour que nous vous supçonnions de faire tout par conscience, D'Aubigné, Hist. III, 291. Compagnon bien parlant vaut en chemin chariot branlant, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 276. Le petit et inferieur fait du compagnon avec le grand, Charron, Sagesse, p. 464, dans LACURNE.

ÉTYMOLOGIE

Bourguig. compaignon ; provenç. companh, compain, compenh, companho ; anc. espagn. compaño ; ital. compagno, compagnone. Si l'on examine les plus anciens textes rapportés dans l'historique, on y voit que compain est toujours employé comme nominatif, et compagnon comme régime ; de même, dans le provençal, companh est le nominatif, et compagno, le régime ; une telle formation suppose nécessairement un mot dont l'accent se déplace, compánio, companiónem, qui vient de cum, avec, et panis, pain (voy. PAIN) : celui qui mange le même pain. Cette étymologie serait, si elle en avait besoin, confirmée par le provençal companatge, nourriture ; anc. franç. companage, ce qu'on donne dans un repas au delà du pain et du vin ; comparez aussi apanage. Cela écarte définitivement compaganus, de cum et paganus, qui avait été proposé et qui d'ailleurs aurait donné compayen.