« vers », définition dans le dictionnaire Littré

vers

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

vers [1]

(vêr ; l's ne se prononce jamais, et dire vers', comme font quelques-uns, est très mauvais ; au pluriel, l's ne se lie pas : des vêr harmonieux ; cependant quelques-uns la lient : des vêr-z harmonieux) s. m.
  • 1Assemblage de mots mesurés et cadencés selon certaines règles fixes et déterminées. Tacite a été repris d'avoir commencé son ouvrage par un vers : Urbem Romam a principio reges habuere, quoiqu'il n'ait rien du vers que la mesure, Vaugelas, Rem. t. I, p. 163, dans POUGENS. On n'appelle vers dans la prose que ceux qui en ont la juste cadence, et qui ne sont ni suivis ni précédés d'aucun mot qui y soit joint : " Le désir trop ardent d'acquérir des richesses " est un vers bien mesuré, qu'il faut éviter en écrivant, Acad. Observ. sur Vaugel. p. 120, dans POUGENS. Aussi est-ce la vingt et unième [pièce] que j'ai fait voir sur le théâtre ; et, après avoir fait réciter quarante mille vers, il est bien malaisé de trouver quelque chose de nouveau, sans s'écarter un peu du grand chemin, Corneille, Nicom. Examen. Que lui fait mon avis, qu'il a pris de travers ? On peut être honnête homme et faire mal les vers, Molière, Mis. IV, 1. Il est permis d'être parfois assez fou pour faire des vers, mais non pour vouloir qu'ils soient vus, Molière, Comtesse, 1. Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée, Ne peut plaire à l'esprit quand l'oreille est blessée, Boileau, Art p. I. Un esprit de travers, Qui, pour rimer des mots, pense faire des vers, Boileau, Disc. au roi. Le vers se sont toujours des bassesses du cœur, Boileau, Art p. IV. Ce n'était pas jadis sur ce ton ridicule Qu'Amour dictait les vers que soupirait Tibulle, Boileau, ib. II. L'ardeur de se montrer et non pas de médire Arma la vérité du vers de la satire, Boileau, ib. II. Qui n'aime point le vers a l'esprit sec et lourd ; Je ne veux point chanter aux oreilles d'un sourd ; Les vers sont, en effet, la musique de l'âme, Voltaire, Ép. 101. Il y a plus de soixante ans que j'étudie l'art des vers, et peut-être suis-je en droit de dire mon sentiment, Voltaire, Dict. phil. Vers. Un vers, pour être bon, doit être semblable à l'or, en avoir le poids, le titre et le son : le poids, c'est la pensée ; le titre, c'est la pureté élégante du style ; le son, c'est l'harmonie, Voltaire, ib. Montesquieu, n'ayant pu réussir en vers, s'avisa, dans ses Lettres persanes, de n'admettre nul mérite dans Virgile et dans Horace, Voltaire, ib. Je suis effrayé de la difficulté de faire des vers français, et je ne m'étonne plus que Despréaux employât deux ans à composer une épître, Voltaire, Lett. Thiriot, 29 nov. 1738. J'ai fait de temps en temps de médiocres vers ; c'est un exercice assez bon pour se rompre aux inversions élégantes, et apprendre à mieux écrire en prose, Rousseau, Conf. IV. M. Godeau, évêque de Vence, dont nous avons tant de vers et si peu de poésies, D'Alembert, Œuv. t. IV, p. 31. Et quel miel, ô Virgile, est plus doux que tes vers ? Delille, Imag. v. Et moi j'aime à chanter les vers plaintifs d'Isaure, Ducis, Othello, v, 2. Filles des mêmes âmes, Les belles actions sont les sœurs des beaux vers, P. Lebrun, Voy. de Grèce, VII, 4.

    Vers faux, vers qui pèche contre les règles de la versification.

    Ce vers n'y est pas, il pèche contre les règles de la versification.

    Vers d'or ou vers dorés, vers gnomiques attribués à Pythagore.

    Fig. Ce ne sont pas des vers à sa louange, c'est un blâme, une critique, une médisance. Uranie : Faites un mémoire de tout, et le donnez à Molière, que vous connaissez, pour le mettre en comédie. - Climène : Il n'aurait garde, sans doute, et ce ne serait pas des vers à sa louange, Molière, Critique, sc. 7. Ce que vous dites là ne sont point des vers à la louange de la fortune, Dancourt, Femme d'intrigue, v, 2.

    Ironiquement. Nérine : … Avec un valet me mettre en compromis ! Ce nouveau procédé me paraît fort étrange. - Sturgon : Point : les vers qu'il dira sont à votre louange ! Hauteroche, Appar. tromp. I, 11. Nous avons entendu votre galant entretien, et les beaux vers à ma louange que vous avez dits l'un et l'autre, Molière, G. Dand. III, 8.

  • 2Au sing. en un sens collectif. Il fait bien le vers. Son vers est brillant. Boileau, dit Marmontel, tourne assez bien un vers, Gilbert, XVIIIe siècle.
  • 3Vers libres, vers de différentes mesures, qui ne sont pas soumis à des retours réguliers. Les Fables de la Fontaine sont en vers libres.
  • 4Vers blancs, vers non rimés dans les langues où la rime est en usage. Si on s'avise de faire des tragédies en vers blancs, de les jouer sur notre théâtre, la tragédie est perdue, Voltaire, Jules César, Avert. du trad. Le vers blanc peut être aussi harmonieux que le vers rimé, à la consonance près, dont l'habitude a fait un plaisir pour l'oreille, Marmontel, Œuv. t. v, p. 372.
  • 5Grands vers, les vers alexandrins, les vers de douze syllabes ; vers commun, le vers de dix syllabes ; petit vers, le vers de huit syllabes, par opposition aux précédents ; petits vers, les vers de huit syllabes et au-dessous.

    Vers métriques, vers essayés dans le XVIe siècle, où l'on croyait imiter les longues et les brèves des vers latins.

    Vers à la façon de Neuf-Germain, vers où un mot donné, un nom propre comme Aristide, était décompose en ses trois syllabes, A-, ris-tide, lesquelles terminaient chacune un vers ; après cela venait un quatrième vers terminé par le mot entier Aristide ; et les couplets suivants étaient réglés de la même manière.

  • 6Petits vers, petites pièces de vers, pièces de vers sur des sujets légers. Voici de petits vers pour de jeunes amants, Molière, Fem. sav III, 5. Ce qu'on appelle petits vers a prodigieusement perdu de faveur ; pour se résoudre à les lire, il faut être bien averti qu'ils sont excellents, D'Alembert, Œuv. t. IV, p. 102.
  • 7Vers de société, petites pièces de vers que l'on compose ou que l'on lit dans la société, dans les salons. Ses petits vers de société lui procurent ici de grands succès, Genlis, Mères riv. t. I, p. 9, dans POUGENS.
  • 8Vers politiques, vers rimés de treize syllabes, employés en grec moderne.

HISTORIQUE

XIIe s. Jamais par moi n'ert [ne sera] leüs vers ne lais, Couci, XXII.

XIIIe s. Si orrez [vous ouïrez] vraie ystoire dont li ver sont bien duit, Berte, XXXVI. Si comencha haut et clerement à canter le premier vier, car il cantoit très bien, Chr. de Rains, p. 55. Là me menas, dant fel cuivers, Tu m'as chanté de maint fax vers, Ren. 14422. Ge vos voil un vers commencier ; Mès je vos criens moult anuier, ib. 7027. Quant l'en l'enhuiloit et en disoit les sept pseaumes, il disoit les vers [versets] d'une part, Joinville, 303.

XVe s. Chançon royal de cinq vers [couplets], Deschamps, Poésies mss. f° 446. Madame, voyant que monseigneur n'estoit pas content de ce qu'elle venoit de dire, s'avisa de changer de vers [de gamme, de ton], Louis XI, Nouv. XLI.

XVIe s. J'en ai rougi pour vous, quand l'acier de mes vers Burinoit vostre histoire aux yeux de l'univers, D'Aubigné, Tragiques, édit. LALANNE, p. 76.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. vers ; ital. verso ; du lat. versus, vers, proprement ligne, rangée, sillon, de versus, tourné. M. Max Müller rapproche de versus le sanscr. vrĭtta, qui désigne la règle imposant une certaine quantité fixe à l'avant-dernière syllabe dans les vers védiques. Vrĭtta signifie tour, comme versus signifie tourné. Les vers n'ayant été écrits que longtemps après avoir été chantés, il faut entendre le tour de la danse, chaque vers accompagnant une allée, au bout de laquelle il y avait un tour et une venue.