« regretter », définition dans le dictionnaire Littré

regretter

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

regretter

(re-grè-té) v. a.
  • 1Être fâché de ne plus avoir ce qu'on a eu. Il regretta l'occasion qu'il avait laissée fuir. Ce qu'on donne aux méchants, toujours on le regrette, La Fontaine, Fabl. II, 7. Un jour les peines et les soucis cruels qui environnent les rois vous feront regretter sur le trône la vie pastorale, Fénelon, Tél. II. On dit qu'elle [Mme de Pompadour] est morte avec une fermeté digne de vos éloges ; toutes les paysannes meurent ainsi ; mais à la cour la chose est plus rare, on y regrette plus la vie, et je ne sais pas trop bien pourquoi, Voltaire, Lett. d'Alemb. 8 mai 1764. Quelqu'un demandait au philosophe Fontenelle âgé de quatre-vingt-quinze ans, quelles étaient les vingt années de sa vie qu'il regrettait le plus ; il répondit qu'il regrettait peu de chose, que néanmoins l'âge où il avait été le plus heureux était de cinquante-cinq ans à soixante et quinze ans, Buffon, Suppl. à l'hist. nat. Œuv. t. XI, p. 146. Et tandis que le vice, amoureux des ténèbres, Ferme les yeux au jour et regrette la nuit, Lamartine, Harm. II, 6.
  • 2Être affligé de la mort, de la perte, de l'absence de quel qu'un. Vous ne seriez pas fâché d'être pris [M. de Montausier prisonnier], si vous saviez combien vous êtes plaint ; il y a, sans mentir, moins de plaisir d'être à Paris, que d'y être regretté comme vous êtes, Voiture, Lett. 141. On perd quelquefois des personnes qu'on regrette plus qu'on n'en est affligé, et d'autres dont on est affligé, et qu'on ne regrette guère, La Rochefoucauld, Max. 355. Ruyter est mort, je laisse aux Hollandais le soin de le regretter, Sévigné, 286. Enfin je vous ai regrettée, et je vous regrette encore tous les jours ; je ne m'accoutume point à ne plus voir ni rencontrer ma chère fille, après une si aimable et si longue habitude, Sévigné, 504. Afin que nous la vissions honorée au-dessus de toutes les femmes de son siècle, pour avoir été chérie, estimée, et trop tôt, hélas ! regrettée par le plus grand de tous les hommes [Louis XIV], Bossuet, Mar.-Thér. Regretter ce que l'on aime est un bien en comparaison de vivre avec ce que l'on hait, La Bruyère, IV. Les vrais philosophes doivent regretter Mme de Pompadour ; elle pensait comme il faut ; personne ne le sait mieux que moi, Voltaire, Lett. Damilaville, 23 avril 1764. Il [M. de Melun] est plus regretté qu'il n'était aimé ; c'était un homme qui avait peu d'agrément, mais beaucoup de vertu, et qu'on était forcé d'estimer, Voltaire, Lett. Mme de Bernières, juill. 1722.

    Absolument. Venez, venez, dit-il à l'amour qui regrette, Au génie opprimé sous un ingrat oubli, Lamartine, Harm. I, 11.

  • 3Être fâché d'avoir fait ou de n'avoir pas fait quelque chose. Je regrette de m'être mis en colère. Le renard seul regretta son suffrage [donné au singe pour être roi], Sans toutefois montrer son sentiment, La Fontaine, Fabl. VI, 6.
  • 4Éprouver un déplaisir quelconque. Regrettant un hymen tout prêt à s'achever, Racine, Andr. III, 1. Quelle gloire pour un roi, de régner encore après sa mort sur les cœurs de ses sujets ! d'être sûr que, dans tous les temps à venir, les peuples, ou regretteront de n'avoir pas vécu sous son règne, ou se féliciteront d'avoir un roi qui lui ressemble ! Massillon, Pet. carême, Grand. de J. C. En jouissant de ce que nous avons [feux d'artifices], je regrette un peu ce que nous n'avons pas [amélioration de Paris], Voltaire, Lett. au pr. roy. de Pr. sept. 1739. Ces recherches annoncent une étendue de connaissances qu'on est étonné que M. le comte de Tressan ait eu le temps d'acquérir, et montrent une sagacité qu'on regrette de n'avoir pas été plus constamment employée, Condorcet, Tressan.

    Regretter son argent, être fâché d'avoir fait une dépense. En vérité, je crains que vous ne regrettiez bientôt votre argent, Picard, Petite ville, II, 7.

    Regretter son lit, être fâché de s'être levé, ou de ne s'être pas couché. Brontin en est ému [d'un bruit redoutable] ; le sacristain pâlit ; Le perruquier commence à regretter son lit, Boileau, Lutr. III.

  • 5Se regretter, v. réfl. Éprouver du regret au sujet de soi-même, au sujet de ce qu'on a perdu. Que voulez-vous savoir de moi, lui dit-elle un jour qu'il insistait pour lui parler ? je me regrette, et voilà tout ; j'avais quelque orgueil de mon talent, Staël, Corinne, XV, 2.

REMARQUE

Regretter se dit avec de et l'infinitif ; avec que et le subjonctif : Je regrette qu'il ne soit point ici.

HISTORIQUE

XIe s. Sovent [ils] regretent Olivier et Roland, Ch. de Rol. CXIV. Tel as occis dont al cuer me regrette, ib. CXX.

XIIIe s. Oriolans, en haut solier, Souspirant prist à lermoier, Et regrate son dru Helier, Romancero, p. 42. La mort me fait regreter et complaindre Vostre clair vis, bele, et vostre cors gent, Anonyme, dans Couci. Fu l'amirans Balans huciés et regretés [appelé au secours] : Sire, c'or venès tost et si nous secourés, Fierabr. 152, 12. Et quant li rois vit qu'il ardoit tout et que morir li convenoit, si comencha à plaindre soy meyme et à regretter, et disoit ensi…, Chr. de Rains, p. 80. Mais riens n'i vaut à regreter, la Rose, 13130.

XIVe s. Poingdestre feri le suppliant de son coustel sur la teste, en disant qu'il le tueroit ; et lors ledit exposant commença à regreter [invoquer] nostre dame de Montfort, Du Cange, regreta.

XVIe s. Je regrette de tout mon cueur que n'est icy Picrochole, Rabelais, Garg. I, 50. Ces affaires leur firent bien sentir et regretter la perte qu'ilz avoient faitte en luy, Amyot, Péric. 75. Il dit qu'il ne regrettoit point sa mort [de mourir], Amyot, Arist. 41. Regrettans leur misere et malheur, de ce qu'il leur falloit ainsi pauvrement mourir, Amyot, Crassus, 48. Le repentir ne touche pas proprement les choses qui ne sont pas en notre force ; ouy bien le regretter, Montaigne, III, 268.

ÉTYMOLOGIE

Regret ; wallon, rigreté ; génev. regretter une chose à quelqu'un, la lui envier ; prov. regretar, dans Gir. de Ross. p. 294.