« pleur », définition dans le dictionnaire Littré
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pleur
- 1 Au singulier. Écoulement de larmes, le sens propre du latin plorare étant verser abondamment des larmes.
Le pleur m'en vient aux yeux
, Jodelle, Didon, v.Princes et rois et la tourbe menue Jetaient maint pleur, poussaient maint et maint cri
, La Fontaine, Belphég.Il est peu usité au singulier en ce sens ; ou bien on le dit en plaisantant : jeter un pleur.
- 2 Au plur. Larmes.
Quoi ! vous causez sa perte, et n'avez point de pleurs ?
Corneille, Suréna, v, 5.Savante en l'art des pleurs, comme en l'art de mentir
, La Fontaine, l'Eunuque, I, 1.Vous m'aimez, ma chère enfant, et vous me le dites d'une manière que je ne puis soutenir sans des pleurs en abondance
, Sévigné, 9 févr. 1671.Pour me tirer des pleurs il faut que vous pleuriez
, Boileau, Art p. III.J'ai vu couler des pleurs qu'il voulait retenir
, Racine, Bérén. IV, 2.Il pense voir en pleurs dissiper cet orage
, Racine, Andr. v, 1.Je meurs, et sur la tombe où lentement j'arrive, Nul ne viendra verser des pleurs
, Gilbert, Ode imitée de plus. psaumes.César pleure à l'aspect du buste d'Alexandre ; Pleurs affreux, que de sang vous avez fait répandre !
Delille, Imag. VII.Ce roi d'Égypte qui, parvenu au comble du malheur, ne put verser une larme en voyant son fils marcher au supplice, et fondit en pleurs lorsqu'il aperçut un de ses amis chargé de fers tendre la main aux passants
, Barthélemy, Anach. ch. 71.Rien n'égale en pouvoir les pleurs de la beauté
, Lanoue, Coquette corr. v, 1.De longs pleurs muets
, Delavigne, Fille du Cid, I, 7.Ici c'est ce vieillard que l'ingrate Ionie A vu de mers en mers promener ses malheurs ; Aveugle, il mendiait au prix de son génie Un pain mouillé de pleurs
, Lamartine, Méd. I, 14.Il fixait sur la mer un œil mouillé de pleurs
, P. Lebrun, Ulysse, III, 1.Des pleurs de joie, des pleurs que la joie fait couler.
Le peuple impatient verse des pleurs de joie
, Voltaire, Mérope, v, 8.Fig. Essuyer les pleurs de quelqu'un, le consoler.
Fig. Essuyer ses pleurs, sécher ses pleurs, se consoler.
Sèche tes pleurs, Sabine, ou les cache à ma vue
, Corneille, Hor. IV, 7.Par exagération et pour exprimer une profonde affliction. Être baigné, trempé de pleurs, être en pleurs, être tout en pleurs, être noyé de pleurs, noyé dans les pleurs.
Elle vient tout en pleurs vous demander justice
, Corneille, Cid, II, 8.Nous avons trouvé tous ses gens en pleurs
, Sévigné, 549.Tandis que dans les pleurs moi seule je me noie
, Racine, Bérén. v, 4.Regarde en quel état tu veux que je me montre ; Vois ce visage en pleurs
, Racine, Mithr. II, 1. - 3Pleurs pris au sens distributif, par opposition au sens collectif.
Britannicus est seul …Et n'a pour tous plaisirs, seigneur, que quelques pleurs Qui lui font quelquefois oublier ses malheurs
, Racine, Brit. I, 3.Voilà les premiers pleurs qui coulent de mes yeux
, Voltaire, Zaïre, v, 8.Que d'échafauds dressés me paieront mes douleurs ! Il faut une victime à chacun de mes pleurs
, Legouvé, Épich. et Néron.Domergue condamne cet emploi de pleurs, disant que pleurs a un sens collectif.
- 4 Au singulier. Plaintes, gémissements, lamentations.
Dans ces gouffres [de l'enfer], des feux dévorants, des grincements de dents, un pleur éternel, un feu qui ne s'éteint pas, un ver qui ne meurt pas
, Bossuet, Sermons, Motifs de la joie, 2.Là commencera ce pleur éternel, là ce grincement de dents qui n'aura jamais de fin
, Bossuet, Anne de Gonz.Combien vivent joyeux qui devaient, sœurs ou frères, Faire un pleur éternel de quelques ombres chères !
Hugo, Feuill. d'aut. 6.En ce sens, pleur est usité au singulier, mais seulement dans le style le plus élevé.
Il se dit aussi au pluriel en ce sens.
Voilà la Saint-Pierre aux grands pleurs, son mari aux grands airs de dédain
, Saint-Simon, 145, 115.Le ciel dans tous leurs pleurs ne m'entend point nommer
, Racine, Brit. IV, 3.Les longs pleurs d'un enfant qui n'est ni lié ni malade, et qu'on ne laisse manquer de rien, ne sont que des pleurs d'habitude et d'obstination
, Rousseau, Ém. I. - 5Les pleurs de la vigne, la séve qui s'échappe des jeunes bourgeons.
Les pleurs de vigne sont une extravasation très abondante de la séve
, Bonnet, Lett. div. Œuv. t. XII, p. 93, dans POUGENS. - 6 Poétiquement. Les pleurs de l'aurore, la rosée.
- 7Pleurs de terre, les eaux de pluie qui coulent, qui filtrent entre les terres ; on dit aujourd'hui eaux de filtration
REMARQUE
Régnier a fait pleur du féminin ; c'est une faute que rien n'excuse : Quels sanglots, quels soupirs, quelles nouvelles pleurs Noyent de tes beautés les grâces et les fleurs ? Dial. Chlor. et Phil.
HISTORIQUE
XIIe s. Ses festes tornerent en plor
, Machabées, I, 1. Mis en iert [sera] li royaumes en larmes et en plors
, Sax. XXVII. En veilles e en plur e en mult jeüner, Que l'amur al haut rei peüssiez conquester
, Th. le mart. 81.
XIIIe s. [je crois Que lor larmes, lor plor, lor criz, Ou David ment et ses escriz, Seront en joie converti
, Rutebeuf, II, 160.
XIVe s. Helas ! on ne voit pas quel pleur en son cuer porte Fourques li très vaillant, qui son oncle conforte
, Girart de Ross. v. 4129. Et pour ce se leva moult grant plour et moult grant cri par toute la cité
, Bercheure, f° 111. Pleurs ne sont mie deffendus à celluy qui est triste ou entre les tristes
, Ménagier, I, 9.
XVe s. Vestemens de pleurs et de dueil
, Lefevre St-Remy, Hist. de Charles VI, p. 165, dans LACURNE. S'à nopces vont bailli ou pleur [enterrement]
, Deschamps, Poésies mss. f° 294.
XVIe s. Si le pleurer pouvoit la tristesse arrester, On devroit, seigneur mien, les larmes acheter ; Et ne se trouveroit rien si cher que le pleur ; Mais les pleurs en effet sont de nulle valeur
, Du Bellay, J. VI, 17, recto. Laissant le pleur et tristesse à l'auteur
, Des Essartz, Josephe, traduction, prologue. Ne se peut tenir de jecter avec un profond souspir trois grosses larmes sans pleur
, Alector, p. 142, dans LACURNE.
ÉTYMOLOGIE
Voy. PLEURER ; prov. plor ; espagn. lloro ; port. choro ; ancien ital. ploro. L'ancienne langue avait aussi ploreis pour signifier l'action de beaucoup de gens qui pleurent.
SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE
PLEUR. - REM. Ajoutez : La faute de Régnier faisant pleur du féminin se retrouve dans J. J. Rousseau : Les longues pleurs d'un enfant,
† Ém. I. ; et dans Lamartine : Et de ses pleurs de fils non encore épuisées,
† Jocelyn, 3e époque. Mais ces exemples n'atténuent en rien la faute.