« occuper », définition dans le dictionnaire Littré

occuper

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

occuper

(o-ku-pé) v. a.
  • 1S'emparer d'un pays, d'une place forte, d'un poste, etc. en demeurer maître. La moitié de tes gens doit occuper la porte, Corneille, Cinna, V, 1. Aétius les [les Gaules] avait défendues contre Pharamond et contre Clodion le chevelu ; mais Mérovée fut plus heureux, et y fit un plus solide établissement, à peu près dans le même temps que les Anglais, peuples saxons, occupèrent la Grande-Bretagne, Bossuet, Hist. I, 11. L'Asie Mineure était occupée par les colonies grecques, Montesquieu, Esp. XI, 8. Le marquis de Spinola occupait le Mont-ferrat avec une armée espagnole, Voltaire, Mœurs, 176. Le régiment occupa les avenues du palais, et les officiers, avec des soldats d'élite, mais sans l'uniforme, se répandirent dans les salles, Duclos, Régence, Œuv. t. V, p. 207. Il [un général] est resté sur la rive basse de la Louja, et n'a fait occuper la ville et observer la plaine haute que par deux bataillons, Ségur, Hist. de Nap. IX, 2.
  • 2 Terme de jurisprudence. Se saisir d'un bien. Occuper une terre. Il a occupé le premier cette alluvion.

    Absolument. On peut occuper sans devenir propriétaire.

  • 3Tenir un certain espace. Les eaux occupent toujours les parties les plus basses. Quand je dis qu'il n'est pas besoin de rendre compte de ce que font les acteurs pendant qu'ils n'occupent point la scène, Corneille, 3e disc. La mort ne nous laisse pas assez de corps pour occuper quelque place, Bossuet, Duch. d'Orl. Le noir occupe le haut du dos et la pointe des ailes, le gros bleu leur milieu, Buffon, Ois. t. XIII, p. 290. La citadelle occupe la pointe du promontoire, Barthélemy, Anach. ch. 2. Les ruines ont des harmonies particulières avec leurs déserts, selon le style de leur architecture, les lieux où elles sont placées, et les règnes de la nature au méridien qu'elles occupent, Chateaubriand, Génie, III, V, 4.

    Terme de peinture. Tenir. Cet objet occupe le devant, occupe le centre, le fond du tableau.

  • 4Tenir un certain espace de temps. Ce travail a occupé dix ans de sa vie. La lecture de son travail occupe deux heures entières. C'est la secte [le manichéisme] qui a le plus longtemps et le plus dangereusement infecté le christianisme ; le plus longtemps, par tant de siècles qu'on lui a vu occuper ; et le plus dangereusement, parce que sans rompre avec éclat comme les autres…, Bossuet, Variat. XI, § 203.
  • 5Habiter. Occuper une maison, une chambre. Il occupe le premier, le rez-de-chaussée.
  • 6 Fig. Remplir, posséder, en parlant d'emploi, de place, etc. Il occupe un rang distingué dans la société. Le poste qu'occupait M. le Tellier, Bossuet, le Tellier. Peut-être on t'a conté la fameuse disgrâce De l'altière Vasthi dont j'occupe la place, Racine, Esth. I, 1. Là on ne cherche pas des hommes pour occuper des places utiles ; mais on crée des places inutiles pour occuper des hommes, Saint-Foix, Ess. Paris, Œuv. t. III, p. 456, dans POUGENS.
  • 7Employer, faire travailler. Il y a là de quoi occuper plusieurs ouvriers.

    Fig. Personne n'avait mieux que lui [Vauban] rappelé du ciel les mathématiques, pour les occuper aux besoins des hommes, et elles avaient pris entre ses mains une utilité aussi glorieuse peut-être que leur plus grande sublimité, Fontenelle, Vauban.

  • 8Donner des affaires à faire, un emploi à remplir ; faire que l'on ne soit pas dans l'oisiveté. Il faut occuper les jeunes gens. Ils [les hommes, s'ils n'avaient pas les affaires de la vie] se verraient, ils penseraient à ce qu'ils sont, d'où ils viennent, où ils vont ; et ainsi on ne peut trop les occuper et les détourner, Pascal, Pens. IV, 1, éd. HAVET. Plus on occupe son esprit, moins on sent le dangereux besoin d'occuper son cœur, Mme Riccoboni, Sophie de Vallière, t. IV, p. 167, dans POUGENS.

    Occuper la postérité, figurer dans l'histoire de manière que la postérité se souvienne de nous. De tous ceux qui donnèrent de l'éclat à cette secte [les quakers], le seul qui mérita d'occuper la postérité fut Guillaume Penn ; il était fils d'un amiral de ce nom, Raynal, Hist. phil. XVIII, 4.

  • 9Occuper de, faire que l'on songe à, que l'on ait présent à la pensée… J'occupe ma raison d'utiles rêveries, Boileau, Ép. VI. …Peut-être avant ce temps Je saurai l'occuper de soins plus importants, Racine, Bajaz. I, 1. Tu occupais l'assemblée de toi-même, et moi je ne l'occupais que des affaires dont je parlais, Fénelon, Dial. des morts anc. Démosthène, Cicéron. Quand on éprouve une violente passion, et qu'on n'a plus l'espérance d'être aimé, on cherche et l'on saisit tous les moyens d'occuper de soi l'objet d'un sentiment si malheureux, Genlis, Vœux témér. t. I, p. 178, dans POUGENS. Sans plus occuper le public de moi, et sans plus m'occuper moi-même d'autre chose que d'achever paisiblement ma carrière, Rousseau, Confess. X.
  • 10Être, en parlant des choses, l'objet d'un travail, d'un soin de l'esprit, d'un souci de l'âme. Son métier l'occupe beaucoup. La peur de leur départ occupe fort votre âme, Molière, Mis. II, 5. Si quelque chose les empêche de régner sur nous, ces saintes et salutaires vérités, c'est que le monde nous occupe, c'est que les sens nous enchantent, c'est que le présent nous entraîne, Bossuet, Duch. d'Orl. Les chagrins qu'il me cause M'occuperont assez tout le temps qu'il repose, Racine, Brit. I, 1. Et tandis que l'Asie occupera Pharnace, Racine, Mithr. III, 1. Quels desseins maintenant occupent sa pensée ? Racine, Bajaz. V, 1. Qu'un sentiment plus juste occupait tout mon cœur ! Voltaire, Zaïre, III, 6.

    En parlant des personnes, occuper le cœur, être l'objet d'un tendre sentiment. Que celui qui l'occupe [votre cœur] a de bonne fortune ! Corneille, Nicom. I, 2.

  • 11 V. n. Terme de palais. Il se dit d'un avoué chargé d'une affaire en justice.

    Fig. et par plaisanterie. Mon autre nièce que voici présente, a de son côté aussi un soupirant qui est absent, mais elle en a procuration ; elle occupe pour lui, je parle pour eux, Dancourt, Prix de l'arquebuse, sc. 11.

    Signifier un acte d'occuper, faire connaître par un acte qu'on occupe pour quelqu'un.

  • 12S'occuper, v. réfl. Employer son temps, travailler. Vous vous ennuyez, il faut vous occuper. Souffrez que mon courage ose enfin s'occuper, Racine, Phèdre, III, 5. Occupez-vous beaucoup, mon cher ange ; je ne connais que ce remède dans l'état où vous êtes ; je suis malade dans mon lit, à quatre-vingts ans passés, au milieu des neiges ; je m'occupe, et cela seul me fait vivre, Voltaire, Lett. d'Argental, 23 déc. 1774.

    Aimer à s'occuper, aimer le travail.

  • 13S'occuper à une chose, y travailler. S'occuper à son jardin. Pendant qu'il s'occupe à relever le prince abattu, Bossuet, Louis de Bourbon. On ne peut pas toujours travailler, prier, lire : Il vaut mieux s'occuper à jouer qu'à médire, Boileau, Sat. X. Tandis que tout s'occupe à me persécuter, Racine, Mithr. III, 1.

    Par extension. Une nuit que chacun s'occupait au sommeil, La Fontaine, Fabl. VIII, 11.

  • 14S'occuper de quelqu'un, de quelque chose, y penser. Dans ces jours de trouble et de deuil, où l'on se sent comme frappé du spectacle sensible d'une mort récente et inopinée, on se renferme tout en soi-même, et l'on s'occupe de sa douleur, Fléchier, Lamoignon. L'homme n'aime pas à s'occuper de son néant, de sa bassesse, Massillon, dans GIRAULT-DUVIVIER. Il faut périr… mourons, sans nous occuper d'elle, Voltaire, Tancr. IV, 2. J'ai beau savoir qu'il va s'occuper de moi, je ne saurais m'occuper de lui, Rousseau, 8e promenade. Pourquoi Dieu ne pourrait-il pas s'occuper de la manière dont se doit plier l'aile d'un scarabée ? comment se plierait cette aile si Dieu ne s'en occupait pas ? Condillac, Trait. anim. ch. 6.

REMARQUE

OCCUPER À, OCCUPER DE. Occuper à, réveille une idée de travail ; occuper de, une idée d'attention, par exemple : Il ne faut pas nourrir, par des aumônes, l'oisiveté du pauvre ; il faut le secourir en l'occupant à des choses utiles, c'est-à-dire en le faisant travailler. Qui ne s'occupe à rien s'occupe du mal, c'est-à-dire qui ne travaille pas, pense au mal. S'occuper de, marque une opération intellectuelle ; s'occuper à, désigne un acte extérieur.

HISTORIQUE

XIVe s. L'une [une humeur] occupe tout le cuir, H. de Mondeville, f° 98. S'il estoit homme ou [au] monde, en tiere ne en mer, Qui de ceste besongne me vosist ocuper, Hugues Capet, V. 3323. Labeurs en quelx de ma jeunesse je me suy occupé pour plaire à Dieu et proufiter au monde, Bercheure, f° 1. À toy apartient, dit elle, o tu Servius, occuper le royaume, non pas à ceuls qui par autrui mains ont perpetré cestui cruel outrage, Bercheure, f° 20, verso. Leurs pensées terriennes occupent les lumieres espirituelles, Modus, f° LXIV, verso.

XVe s. Si le deffendant a un bras affolé, on doit occuper un bras à l'appellant, tellement qu'il ne s'en puisse aider, De la Marche, Gage de bat. f° 26, dans LACURNE. Tantost que ses parens sceurent qu'elle avoit gecté Lancelot hors de prison, ils l'occuperent [accusèrent] de la mort de Meleagant, et fut dit que s'elle ne trouvoit qui l'en deffendist, que l'en feroit d'elle telle justice que l'en devoit faire de femme qui son frere avoit occis, Lancelot du lac, t. II, f° 32, dans LACURNE.

XVIe s. Le logyz des dames comprenoyt depuys… les hommes occupoyent le reste, Rabelais, Garg. I, 55. Pour luy faire ung paeslon à cuyre sa bouillye, feurent occupez tous les pesliers de Villedieu, Rabelais, Pant. II, 4. Ilz avoyent tué son filz premier, par avarice de occuper le total heritaige, Rabelais, ib. III, 44. Ils sont occupez d'une telle outrecuidance ou stupidité, qu'ils ne font nul scrupule de requerir à Dieu qu'il complaise à leurs cupiditez, Calvin, Instit. 675. Il dechassa ceulx qui muroient les passages pour le garder de passer en la Syrie, et les occupa luy mesme, Amyot, Démétr. 69.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. occupar ; espagn. ocupar ; ital. occupare ; du lat. occupare, de ob, et capere, prendre.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

OCCUPER. - HIST. Ajoutez : XIIe s. Occupeiz à faire les cures [soins, affaires] de la conteit [du comté], [il] faisoit les terrienes choses et temporeiles, li Dialoge Gregoire lo pape, 1876, p. 230.