« jeunesse », définition dans le dictionnaire Littré

jeunesse

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

jeunesse

(jeu-nè-s') s. f.
  • 1Temps de la vie entre l'enfance et l'âge adulte. En jeunesse j'aimai, ta mère fit de même, Régnier, Dial. Les critiques du temps m'appellent débauché, Que je suis jour et nuit aux plaisirs attaché, Que j'y perds mon esprit, mon âme et ma jeunesse, Régnier, Sat. V. Rodrigue a du courage .- Il a trop de jeunesse, Corneille, Cid, II, 3. Elle [Marie-Thérèse] vous dit… que la grandeur est un songe, la joie une erreur, la jeunesse une fleur qui tombe, et la santé un nom trompeur, Bossuet, Mar.-Thér. Sous cet air de jeunesse qui semblait ne promettre que des jeux, Bossuet, Duch. d'Orl. M. de Turenne a eu dans sa jeunesse toute la prudence d'un âge avancé, et dans un âge avancé toute la vigueur de la jeunesse, Fléchier, Turenne. Assez dans les forêts mon oisive jeunesse Sur de vils animaux a montré son adresse, Racine, Phèdre, III, 5. Les yeux devenaient humides de tendresse pour ce pauvre petit prince [Louis XV] échappé à tant de dangers en jeunesse, D'Argenson, Mém. t. II, p. 87. Que reste-t-il à l'homme après une telle jeunesse ? un corps énervé, une âme amollie, et l'impuissance de se servir de tous deux, Buffon, Nature des anim. La jeunesse est souvent la saison des douleurs, Ducis, Othello, II, 5. Là sont nos rêves pleins de charmes ; …Là refleuriront nos jeunesses, Lamartine, Méd. II, 1. C'est une jeune fiancée Qui, le front ceint du bandeau, N'emporta qu'une pensée De sa jeunesse au tombeau, Lamartine, Harm. II, 1.

    La première jeunesse, les premières années de la jeunesse. Dès sa première jeunesse, Marie-Thérèse fut, dans les mouvements d'une cour alors assez turbulente, la consolation et le seul soutien de la vieillesse infirme du roi son père, Bossuet, Mar.-Thér. L'inconnue n'était pas de la première jeunesse, mais elle était d'une beauté parfaite, Genlis, Ad. et Théod. t. II, p. 316.

    État d'une personne jeune. J'admire ton courage et je plains ta jeunesse, Corneille, Cid, II, 2. Le maître qui prit soin d'instruire ma jeunesse, Ne m'a jamais appris à faire une bassesse, Corneille, Nicom. II, 3. Ces âges [cinquante ans avec vingt] n'ont jamais grand rapport ; Jeunesse avec jeunesse est chose fort plaisante, Hauteroche, Appar. tromp. II, 5. J'aime Pauline ; vous me la représentez avec une jolie jeunesse et un bon naturel ; je la vois courir partout, et apprendre à tout le monde la prise de Philisbourg, Sévigné, 17 nov. 1688. Qui eût pu seulement penser que les années eussent dû manquer à une jeunesse qui semblait si vive ? Bossuet, Duch. d'Orl. La mort a plus de prise sur une princesse qui a tant à perdre ; que d'années elle va ravir à cette jeunesse ! Bossuet, ib. La mère de M. de Montausier, contenant sous les lois d'une austère vertu une grande beauté et une florissante jeunesse, Fléchier, Duc de Mont. Le marquis de Mortemar, qui est sage comme on l'est à trente ans, quand on n'a pas une aussi longue jeunesse que vous, Maintenon, Lett. à d'Aubigné, 5 fév. 1682. La bouillante jeunesse est facile à séduire, Voltaire, Brut. I, 4.

    Familièrement. De jeunesse, c'est-à-dire dès la jeunesse. Il est accoutumé à cela de jeunesse. Ce n'est pas qu'il ne sût l'analyse moderne plus expéditive, moins embarrassée, mais il avait pris de jeunesse l'autre pli, Fontenelle, Lahire.

    Avoir un air de jeunesse, paraître encore jeune, quoique l'on soit déjà d'un certain âge.

    Fig. Jeunesse, air de jeunesse. La jeunesse en sa fleur brille sur son visage, Boileau, Lutr. I.

    Fig. Il [le printemps] est d'une beauté, et d'une jeunesse, et d'une douceur que je vous souhaite à tout moment, Sévigné, 2 mai 1689.

  • 2Seconde jeunesse, néologisme ; on désigne ainsi aujourd'hui l'âge mûr et même très mûr, chez les personnes qui ont conservé les goûts et les passions de la jeunesse, et surtout les habitudes de galanterie et d'intrigues amoureuses. Par malheur les conquêtes coûtent cher ; j'y ai laissé une partie de ma fortune ; mais il m'en reste encore, ainsi que quelques moyens de séduction, de la philosophie, une seconde jeunesse et de l'expérience, Scribe Et Duveyrier, Oscar, I, 5.

    Fig. 3° Jeunesse se dit des qualités intellectuelles qui se conservent même dans un âge avancé. La jeunesse d'esprit. Une vigueur spirituelle qui se renouvelle de jour en jour… c'est cette jeunesse intérieure qui soutenait ses membres lassés, dans sa vieillesse décrépite, et lui a fait continuer sa pénitence jusqu'à la fin de la vie, Bossuet, Panég. St Franç. de Paule, 1. Quelle délicatesse, et, pour un savant de ce rang-là et dans un âge si avancé, quelle fleur, et, si nous osions parler ainsi, quelle jeunesse d'imagination ! D'Olivet, Hist. Acad. t. II, p. 401, dans POUGENS. Une certaine jeunesse de cœur qui ne se lasse pas du passé ni de l'attendrissement qu'il cause, Staël, Corinne, XV, 8.

    Fig. Une des qualités de l'Église, qui est célébrée dans les Écritures, c'est sa perpétuelle jeunesse et sa nouveauté qui dure toujours, Bossuet, Sermons, jubilé, 2.

  • 3La jeunesse du monde, les temps voisins de l'origine des choses. Il se peut que le meilleur temps pour la poésie ait été celui d'ignorance, et que la jeunesse du genre humain soit passée pour toujours ; cependant on croit voir dans les écrits des Allemands une jeunesse nouvelle, celle qui naît du noble choix qu'on peut faire après avoir tout connu, Staël, Allem. III, 9.
  • 4Collectivement, ceux qui sont dans l'âge de la jeunesse. On voit par ta rigueur [de toi, la Mort] tant de blondes jeunesses, Tant de riches grandeurs, tant d'heureuses vieillesses, En fuyant le trépas au trépas arriver, Malherbe, I, 4. Il [le vieillard] parle de son temps, difficile et sévère ; Censurant la jeunesse, use des droits de père ; Il corrige, il reprend…, Régnier, Sat. V. La jeunesse se flatte et croit tout obtenir, La Fontaine, Fabl. XII, 5. Est-ce que vous voulez qu'un père ait la mollesse De ne savoir pas faire obéir la jeunesse ? Molière, Éc. des f. V, 8. …La jeunesse est sotte, et parfois la vieillesse, Molière, Éc. des mar. I, 2. Il y fait de sa cour inviter la jeunesse, Racine, Brit. V, 1.

    Les jeunes gens, à l'exclusion des jeunes filles. La jeunesse de la ville s'exerçait aux armes. Comme une autre Diane elle hante les bois, N'aime rien que la chasse, et de toute la Grèce Fait soupirer en vain l'héroïque jeunesse, Molière, Princ. d'Él. I, 1. Une téméraire jeunesse se jetait sans étude et sans connaissance dans les charges de la robe, Fléchier, le Tellier.

  • 5 Par extension. La jeunesse et l'enfance prises ensemble. Enseigner la jeunesse. Élever la jeunesse. Vous m'avez de César confié la jeunesse, Racine, Brit. I, 2.
  • 6Une personne jeune, et surtout une jeune fille. C'est une jolie jeunesse. Cette jeunesse-là fait la coquette. Je suis tout réjoui de voir cette jeunesse, Racine, Plaid. III, 4. Mme Dupré n'aime pas que des jeunesses comme nous sortent souvent, Genlis, Théât. d'éduc. la March de modes, sc. 2.
  • 7Jeunesse, se dit des animaux. Cet animal est très folâtre dans sa jeunesse. Si on les élève de jeunesse, elles s'apprivoisent très bien, Buffon, Ois. t. III, p. 262.

    Il se dit aussi des arbres. Les arbres fruitiers dans leur jeunesse.

    Il se dit enfin de certaines boissons, le vin, l'eau-de-vie, etc. L'excès de jeunesse dans les eaux-de-vie est nuisible.

  • 8Acte de jeune homme, imprudence, légèreté. Que c'étaient [les croisades] des jeunesses de vos princes et des chaleurs de foie de leurs conseillers, Guez de Balzac, De la cour, 5e disc. Mais qui est-ce qui n'a ses taches et qui n'a eu ses jeunesses ? Guez de Balzac, Lett. à Chapelain, 16 fév. 1640. Si mon fils vous a écrit qu'il envoyait 10 000 livres pour tous les achats qu'il ordonnait de faire, qui montaient à beaucoup davantage, il a eu tort ; c'est une jeunesse et une faute qu'il a faite, Corresp. de Colbert, III, 495. Argenson avait obligé les gens de qualité en cachant au feu roi les aventures de leurs enfants et parents qui n'étaient guère que des jeunesses, Saint-Simon, 480, 210. Le fils du maréchal de Boufflers retourna au collége des Jésuites ; je ne sais quelle jeunesse il y fit avec les deux fils d'Argenson ; les jésuites fouettèrent le petit garçon, Saint-Simon, 289, 196.

PROVERBES

La jeunesse revient de loin, c'est-à-dire les personnes jeunes reviennent de maladies dangereuses ou de longues erreurs, de grands égarements.

Si jeunesse savait et vieillesse pouvait, les choses en iraient mieux, c'est-à-dire si la jeunesse avait de l'expérience, et que la vieillesse eût de la force.

Jeunesse est forte à passer, ou est difficile à passer, c'est-à-dire dans la jeunesse on a bien de la peine à modérer ses passions.

Il faut que jeunesse se passe, se dit pour excuser les fautes que les jeunes gens commettent par inexpérience ou par vivacité de tempérament.

HISTORIQUE

XIIIe s. Et fu baus [bailli] pour la jouneche de lui, tant come il vesqui, Chr. de Rains, 223.

XIVe s. Donques ne a il pas petite difference de soy accoustumer en jonesce et au commencement à faire en une maniere, ou en une autre, Oresme, Eth. 34.

XVe s. Frere Ancel commança à blasmer son neveu d'aucunes jeunesses qu'il disoit qu'il avoit faites, Du Cange, juvenitudo. Et pour ce, seigneurs, les assis entre mes douze niepces, pour ce que je me pensay que jeunesse avecques vielesse se tapist et faint que ce ne soit elle pas ; et, quant elle est à son pareil, adonc elle monstre quelle elle est, Perceforest, t. I, f° 133.

XVIe s. Ainsi comme Antonius prenoit ses esbats en telles folies et telles jeunesses, il luy vint de mauvaises nouvelles de deux costez, Amyot, Anton. 37. Cette genercuse jeunesse desdaignant tout aultre joug que de la vertu…, Montaigne, I, 151. Le bon chevalier estoit pris, et par sa hardiesse ; toutes fois il y avoit eu de la jeunesse meslée parmy, Hist. du chev. Bayard, p. 76, dans LACURNE. Jeunesse qui veille et vieillesse qui dort, c'est signe de mort, Oudin, Curios. franç. Ce que aprent poullain en jeunesse, Tout ce veut il maintenir en vieillesse, Médecines des chevaux, p. 17, dans LACURNE. Jeunesse oiseuse, vieillesse disetteuse, Cotgrave Un tas de jeunesses folles, Du Bellay, J. III, 76, recto. Donne que les esprits de ceux que je soupire N'esprouvent point, Seigneur, ta justice et ton ire ; Rens les purifiez par ton sang precieux, Cancelle leurs pechez et leurs folles jeunesses, Desportes, Œuvres chrétiennes, plainte.

ÉTYMOLOGIE

Jeune, et la finale substantive esse. comme sagesse, de sage, etc.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

JEUNESSE. Ajoutez :
10La grande jeunesse, ancien nom de certaines confréries d'artisans dans le Midi.