« falloir », définition dans le dictionnaire Littré

falloir

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falloir

(fa-loir), il faut ; il fallait ; il fallut ; il faudra ; il faudrait ; qu'il faille ; qu'il fallût ; point de participe présent, voy. pourtant ce qui est dit au n° 14 pour ce participe ; fallu, invariable, v. n. impersonnel.
  • 1Faire besoin (le sens étymologique de falloir étant manquer). Il lui fallait cent francs. Que vous faut-il encore ? J'ai le cheval qu'il vous faut. Il nous faudrait mille personnes Pour éplucher tout ce canton, La Fontaine, Fabl. I, 8. Il fallait un Aristote pour un Alexandre, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VI, p. 601, dans POUGENS. Pour le petit nombre de ceux dont la tête est ferme, le goût délicat et le sens exquis, et qui comme vous, messieurs, comptent pour peu le ton, les gestes et le vain son des mots, il faut des choses, des pensées, des raisons, Buffon, Disc. de récep. à l'Acad. Il a fallu vingt mille ans pour la retraite des eaux, qui d'abord étaient élevées de deux mille toises au-dessus du niveau de nos mers actuelles, Buffon, 4e époque, Œuv. t. XII, p. 230, dans POUGENS. Il me faut qui m'estime, il me faut des amis à qui dans mes secrets tout accès soit permis, Chénier, Élég. XI. …Dieu cruel, fallait-il nos supplices Pour ta félicité ? Lamartine, Méd. I, 7.
  • 2Il se dit de l'argent à donner pour achat d'une marchandise, pour prix d'un salaire. Combien vous faut-il pour votre marchandise, pour votre peine ?
  • 3Employé avec le pronom personnel se et précédé de la particule en, ce verbe indique une différence en moins. En cet emploi, c'est un verbe neutre réfléchi, comme s'enfuir, et il se conjugue comme les verbes réfléchis, c'est-à-dire avec le verbe être. Vous dites qu'il s'en faut tant que la somme y soit ; il ne peut s'en falloir tant, Dict. de l'Acad. La Valteline est toute à nous ; et, s'il s'en faut quelque chose, ce n'est qu'un fort qui n'est pas meilleur que les autres qui se sont rendus, Malherbe, Lett. à Racan, 18 janv. 1625. La maîtresse du monde ! ah ! vous me feriez peur S'il ne s'en fallait pas l'Arménie et mon cœur, Corneille, Nicom. III, 2. Vous ne les auriez pas, s'il s'en fallait un double, Molière, Méd. m. lui, I, 6. Pour moi, j'ai vu des moments où il ne s'en fallait rien que la fortune ne me mît dans la plus agréable situation du monde, Sévigné, 430. J'ai été sur le point, ces jours passés, de mourir ; il ne s'en est pas fallu l'épaisseur d'un cheveu, Voltaire, Lett. Richelieu, 20 sept. 1773.

    Le compte n'y est pas, il s'en faut cent sous, la différence en moins est de cent sous.

    On le dit aussi avec la préposition de. Il ne s'en est fallu que d'un moment, Voltaire, Princ. de Babyl. 7.

    Cette construction, il ne s'en est pas fallu l'épaisseur d'un cheveu, s'explique ainsi : il, sujet indéterminé, c'est-à-dire l'épaisseur d'un cheveu, ne s'en est pas fallu. On dirait aussi : il ne s'en est pas fallu de l'épaisseur d'un cheveu ; mais alors l'explication grammaticale est différente : il s'en faut se dit absolument pour signifier il y a une différence en moins ; et de l'épaisseur d'un cheveu devient une locution adverbiale qui modifie il s'en faut.

    Il se construit avec que et le subjonctif. Il s'en fallait qu'il n'eût achevé, Dict. de l'Acad. Il s'en faut peu de chose que cela n'aille, ib.

  • 4Il s'en faut beaucoup, il s'en faut bien, la différence en moins est grande. Il s'en faut beaucoup qu'il ait satisfait l'attente du public, Dict. de l'Acad. Il s'en faut beaucoup que l'un ait autant de mérite que l'autre. Il ne s'en est pas beaucoup fallu qu'il fût tué. Je puis vous assurer qu'il s'en faut bien qu'on y meure de faim, Racine, Lett. 16 à Boileau. Cet homme paraît faire tout ce qu'il veut, mais il s'en faut bien qu'il le fasse, Fénelon, Tél. III. Tous les hôtes d'Ibrahim n'étaient pas riches ; il s'en fallait beaucoup, Chateaubriand, Itin. 1re part.

    On dit aussi : beaucoup s'en faut. L'abbaye… ne vaut pas beaucoup s'en faut Les deux mille francs qu'il me faut, Régnier, Épit. III.

    Il s'en faut de beaucoup (voy. c1-dessus l'explication de cette construction), se dit surtout pour exprimer une différence en moins de quantité. S'en faut-il de beaucoup que la somme soit complète ? Il s'en faut de beaucoup que leur nombre soit complet, Dict. de l'Acad. Vous voilà bien arriéré, il s'en faut de beaucoup que votre tâche soit aussi avancée qu'elle devrait l'être, ib. Ce prince, comme on l'a dit, n'avait pas regagné tout son royaume par l'épée ; il s'en fallait de beaucoup, Voltaire, Hist. du parl. ch. XXXVIII.

    Avec ne surabondant. Il s'en faut beaucoup qu'elle ne soit aussi merveilleuse qu'on se l'imagine, Hamilton, Gram. 8. Il s'en fallait beaucoup que tout ne fût fait, Fontenelle, Littre. Il n'a rien mis du sien dans sa réputation que son mérite, et communément il s'en faut beaucoup que ce ne soit assez, Fontenelle, Méry. Il s'en faut bien qu'ils ne fussent tous agréables à Dieu, Massillon, Profess. relig. Serm. 2.

    Dans cette construction le mieux est de ne pas mettre ne.

  • 5Il ne s'en faut guère, la différence n'est pas grande. Il ne s'en est guère fallu que je ne fusse trompé par son air de candeur. Pour les moines, je ne pensais pas tout à fait comme eux ; mais il ne s'en fallait guère ; vous m'avez fait plaisir de me désabuser, Sévigné, 22 juil. 1672.

    On le dit aussi avec de. Il ne s'en faut de guère que ce vase ne soit plein, Dict. de l'Acad.

  • 6Il s'en faut peu, peu s'en faut, la différence en moins est petite, locution qui a pris le sens de presque. Peu s'en est fallu que je ne vinsse. Peu s'en faut que vous n'ayez engraissé un étique, Guez de Balzac, liv. VII, lett. 22. Aussi le reçoit-il [le coup] peu s'en faut sans défense, Corneille, Hor. IV, 2. Peu s'en fallut que le soleil Ne rebroussât d'horreur vers le manoir liquide, La Fontaine, Fabl. XI, 3. Peu s'en faut que d'amour la pauvrette ne meure, Molière, l'Ét. I, 6. Un discours que rien ne lie et n'embarrasse, marche et coule de soi-même, et il s'en faut peu qu'il n'aille quelquefois plus vite que la pensée même de l'orateur, Boileau, Traité du subl. ch. 16. Avec quels yeux cruels sa rigueur obstinée Vous laissait à ses pieds peu s'en faut prosternée ! Racine, Phèd. III, 1. Peu s'en faut que Mathan ne m'ait nommé son père, Racine, Athal. III, 6. Peu s'en fallut qu'il n'interrompît Mentor, Fénelon, Tél. XI.

    Il s'en faut de peu, s'emploie quand il s'agit d'une différence en quantité. Il s'en faut de peu que ce vase ne soit plein, Dict. de l'Acad.

  • 7Être de nécessité, de devoir, d'obligation (parce que avoir ce qui manque devient une nécessité). Il ne faut pas croire tout ce qu'on dit. Il vous faudra faire ce voyage. Eh bien ! vous le voulez, il faut vous satisfaire, Il faut affranchir Rome, il faut venger un père, Il faut sur un tyran porter de justes coups, Corneille, Cinna, III, 4. Et pour la voir tomber [l'âme tiède], il ne faut pas même la voir attaquée, Massillon, Carême, Tiédeur, 2. Il faut être utile aux hommes pour être grand dans l'opinion des hommes, Massillon, Petit car. Grand. de J. C.

    Avec que il veut le subjonctif. Il faut bien que je pleure ; Mon insensible amant ordonne que je meure, Corneille, Hor. II, 5. Faut-il que je dérobe avec mille détours Un bonheur que vos yeux m'accordaient tous les jours ? Racine, Brit. II, 6.

    En ce sens il est peu usité, non inusité, à l'infinitif. Il va falloir partir. Mais sentir dans son sein que le fer veut ouvrir, Une âme ardente à vivre, et puis falloir mourir ! Al. Dumas, Christine, v, 2.

    Il, dans le langage familier, peut se supprimer. Allons, mon fils, marchons : fallut se rendre, Fallut partir…, Voltaire, Bastille.

    Faut-il ? fallait-il ? etc. s'emploie pour exprimer un regret. Fallait-il qu'il entreprît ce fatal voyage ? Faut-il m'être engagé dans cette affaire ? Faut-il voir tant de misère ? Faut-il que sur le front d'un profane adultère Brille de la vertu le sacré caractère ! Racine, Phèdre, IV, 2. Faut-il que de tes mains le plus parfait ouvrage à son Dieu qu'il adore offre un coupable hommage ! Voltaire, Henr. X.

    Il faut voir, il est nécessaire de voir, il faut examiner. Avant de se prononcer il faut voir.

    Familièrement. Il faut voir, il est curieux, intéressant de voir. Il faut voir ce que cela deviendra.

    Il faut voir se rejette quelquefois à la fin du membre de phrase, en forme d'exclamation. On les battit, il faut voir !

    On dit dans un sens analogue : aussi faut-il voir. Il a fait l'insolent, aussi faut-il voir comme on l'a traité.

    C'est ce qu'il faudra voir, se dit pour répondre à une folle menace. Il dit qu'il m'empêchera de passer, c'est ce qu'il faudra voir.

    Dans le XVIIe siècle, quand falloir était suivi d'un verbe réfléchi, on mettait le pronom avant falloir, et alors falloir aux temps composés prenait la conjugaison des verbes réfléchis. Il s'est fallu passer à cette bagatelle ; Alors que le temps presse, on n'a pas à choisir, Corneille, Ment. I, 5. Cette construction pourrait très bien s'employer encore.

    Un faire le faut, voy. ce mot composé à son rang alphabétique.

  • 8Il s'emploie avec ellipse du verbe qui précède. Parler plus qu'il ne faut. Ne dire que ce qu'il faut, et de la manière dont il le faut est, ce me semble, un mérite dont les Français, si vous m'en exceptez, ont plus approché que les écrivains des autres pays, Voltaire, Lett. sur Zaïre.

    Il le faut, cela est nécessaire. D'éveiller ces amants, il ne le fallait pas, La Fontaine, Joc. Il faut avoir pitié de l'amour que vous m'avez inspiré ; il le faut, Staël, Corinne, XVI, 3.

  • 9Comme il faut, comme il convient. Pour aimer comme il faut, il faut pour ce qu'on aime Embrasser l'amertume et la dureté même, Corneille, Imit. III, 5. Rien ne la contentait, rien n'était comme il faut, La Fontaine, Fabl. VII, 2. Quand on prend comme il faut cet accident fatal, La Fontaine, Coupe. Je suis de retour dans un moment ; que l'on ait bien soin du logis, et que tout aille comme il faut, Molière, Mar. f. 1.
  • 10Un homme comme il faut (on prononce ko-mi-fô), homme de bon ton, de bonne compagnie. Les gens comme il faut. C'est une femme tout à fait comme il faut. C'est un homme très comme il faut, Dict. de l'Acad. Elle a l'air très comme il faut, elle n'a rien marchandé, Picard, Trois quartiers, I, 4.

    Dans le langage des tailleurs et des modistes, un vêtement comme il faut, un vêtement de bon ton, bien porté.

    Il ne faut pas confondre comme il faut, avec comme il en faut, qui signifie, en parlant de personnes ou de choses, comme la personne ou la chose est nécessaire. Voilà un homme comme il en faut [pour tel ou tel emploi]. Et par plaisanterie : Ce n'est pas une femme comme il faut, c'est une femme comme il en faut.

  • 11Si faut-il que, encore faut-il que, loc. conj. signifiant il est nécessaire, malgré tout, que… Je veux bien le croire innocent, si faut-il qu'il s'explique. Encore faut-il que je sache à quoi m'en tenir.
  • 12Tant s'en faut que, loc. conj. Bien loin que. Tant s'en faut qu'il consente, qu'au contraire il fera tout pour l'empêcher. Et tant s'en faut que les vents aient emporté ma promesse, ils m'ont donné lieu de la tenir, Voiture, Lett. 49.

    Familièrement. Tant s'en faut qu'au contraire, s'emploie quelquefois par plaisanterie pour dire simplement au contraire. Vous demandez si cette femme est jolie, tant s'en faut qu'au contraire, Dict. de l'Acad. C'est une phrase elliptique : Tant s'en faut qu'elle soit jolie, qu'au contraire elle est laide.

  • 13C'est pour son nez, il lui en faut, se dit par ironie pour marquer qu'il ne mérite pas d'avoir ce qu'il demande.
  • 14Molière a employé le participe présent fallant : Mais lui fallant un pic, je sortis hors d'effroi, les Fâch. II, 2. ; ce qui pourrait très bien être imité à l'occasion.

REMARQUE

1. Il s'en faut exprime dans toute sa conjugaison une absence, une privation dont le sens négatif se porte sur la proposition subordonnée. Alors, quand ce verbe n'est accompagné ni d'une négation, ni de quelque mot qui ait un sens négatif, tel que peu, presque, rien, etc. la proposition subordonnée ne prend pas la négative ne : Il s'en faut de beaucoup que la somme y soit ; Il s'en faut bien que tous les hommes soient de ce caractère. Mais, lorsque il s'en faut est accompagné d'une négation ou de quelqu'un des mots qui ont un sens négatif, ou bien encore si la phrase marque interrogation ou doute, la proposition subordonnée prend la négative ne : Il ne s'en faut pas de beaucoup que la somme n'y soit ; Il s'en faut peu que l'un n'ait autant de mérite que l'autre ; Peu s'en fallait qu'on ne m'abandonnât ; Il s'en faut peu qu'il ne soit le dernier ; Combien s'en faut-il que la somme n'y soit ? S'en faut-il beaucoup que la somme n'y soit ? GIRAULT-DUVIVIER.

2. Que de travaux il a fallu pour l'achever, et non fallus ! Il a fallu des travaux équivaut à : des travaux ont fallu, c'est-à-dire ont fait besoin. Mais comme falloir, en vertu de l'usage, n'est susceptible que de la construction impersonnelle, l'explication est : il (c'est-à-dire les travaux) a fallu, c'est-à-dire a fait besoin. Voilà pourquoi, dans la phrase citée, fallu reste invariable.

3. S'en falloir est un de ces verbes neutres construits avec le pronom personnel et ayant même forme que les verbes réfléchis, construction qui était familière à l'ancienne langue. Voyez pour cela le pronom SE, SOI.

HISTORIQUE

XIIIe s. Petit s'en faut que mes cuers [mon cœur] ne se desment [déconcerte] de corroux, Psautier, f° 171. Li mien pié sunt meü, ne s'en falut guieres, à pechié faire, ib. f° 86. Noz avons parlé de le [la] division des quemins, parce que noz regardons qu'il sont, ne s'en faut gaires, tout corrumpu par le [la] convoitise de cix [ceux qui y marcissent [qui y sont limitrophes], Beaumanoir, XXV, 3.

XVe s. Il ne faut pas demander si Saintré fut du roy et de la royne très grandement loué, Jeh. de Saintré, ch. 38. À bien peu s'en faillit qu'elle ne se pasma ; et fust à l'envers tombée, se elle ne se feust bientost levée, ib. Un coq d'Inde sa gorge à toi semblable porte ; Combien de riches gens N'ont pas si riche nez ! pour te peindre en la sorte, Il faut beaucoup de temps, Basselin, VI.

XVIe s. Et ne se fauldra plus doresnavant trouver en place ny en compaignye qui ne sera bien expoly en l'officine de Minerve, Rabelais, Pant. II, 8. …Tant s'en fault que il les voulsist assaillir, ou leurs estudes distraire, Rabelais, ib. III, 32. Dont il appert qu'en ce temps là ceste opinion a esté rejettée : de dire qu'il fausist [fallût] par satisfaction recompenser les fautes passées, Calvin, Instit. 521. Il me faust adjouster cet aultre exemple, Montaigne, I, 16. Il s'en fault tant que je sois arrivé à ce degré d'excellence, que…, Montaigne, II, 122. Le temps qu'il lui falloit à…, Montaigne, I, 23.

ÉTYMOLOGIE

Falloir est le même que faillir (voy. ce mot), n'en différant que par la conjugaison.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

FALLOIR.
7Ajoutez :

Absolument. Tout le mal vient d'avoir pris la plume quand il ne fallait pas, Rousseau, Lett. à M. D.... 6 mars 1763.