« conjurer », définition dans le dictionnaire Littré

conjurer

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

conjurer

(kon-ju-ré) v. a.
  • 1Projeter par complot, par ligue. Les Juifs virent mille fois… tout l'univers conjurer leur ruine, Massillon, Car. Vérité de la religion. Dès qu'ils se sentirent de la force, on a vu qu'ils conjurèrent sa perte, et que ce fut de l'avis de leurs docteurs, Bossuet, Variat. X. Mille embûches toujours certaines Semblent conjurer vos malheurs, Rousseau J.-B. Cantate, 14.

    V. n. Les ennemis de Rome conjuraient contre elle, ou elle conjurait contre ses ennemis. Cet ambitieux était toujours prêt à conjurer, Dict. de l'Acad. La France et l'Espagne, par manière de dire, sont conjurées contre lui seul, Voiture, Lett. 74.

    Par extension. Conjurer contre quelqu'un, se concerter avec d'autres contre les intérêts de quelqu'un. Le monde entier conjure contre eux, et ils sont plus forts que le monde, Massillon, Confér. Zèle contre les scandales.

  • 2 V. a. Exorciser. L'on ne voyait que des prêtres qui conjuraient des démons, Voltaire, Louis XIV, 2.
  • 3Détourner soit par des cérémonies religieuses soit par des pratiques magiques. Va porter tes présents aux autels des Furies, Conjure leurs serpents prêts à te déchirer, Voltaire, Œdipe, IV, 1. Tout le peuple avec lui, conduit par le grand prêtre, Vient des dieux irrités conjurer les rigueurs, Voltaire, ib. I, 1. Cet airain résonnant qui, balancé dans l'air, Intercédait le ciel et conjurait l'orage, Masson, Helvétiens, v. Des prières… Pour conjurer des sorcières L'œil malfaisant tourné vers nous, Béranger, Chev. et lait. Un homme enfin sort de nos rangs ; Il dit : je suis le dieu du monde. L'on voit soudain les rois errants Conjurer sa foudre qui gronde, Béranger, Ch. d'asile.

    Fig. Conjurer l'orage, détourner un péril, un malheur qui menace. C'est loin d'ici qu'il faut conjurer un orage, Voltaire, Sémir. III, 1. Quand par des soins prudents j'ai conjuré l'orage, Voltaire, Triumv. I, 4.

    On dit dans le même sens conjurer la colère céleste. Il ne put conjurer sa destinée.

  • 4Prier avec beaucoup d'instance. Je l'eusse conjuré de se donner la vie, Corneille, Pomp. III, 4. Pour la dernière fois, ingrat, je t'en conjure, Corneille, Hor. V, 3. Ils conjuraient ce Dieu de veiller sur vos jours, Racine, Esth. III, 4. Elle me conjurait de me donner à vous, Racine, Baj. V, 4. J'ose vous conjurer de ne vous perdre pas, Th. Corneille, Essex, III, 2. Sa mère… La conjure en tremblant de presser son départ, Voltaire, Mariamne, III, 1.
  • 5 Terme de féodalité. Adresser à ses vassaux l'invitation dite semonce et conjure.
  • 6Se conjurer, se liguer. Les deux partis se conjurèrent pour renverser sa puissance.

REMARQUE

Conjurer, v. n. se conjugue avec l'auxiliaire avoir, quand on veut marquer l'action : ces deux puissances ont conjuré de le perdre ; avec l'auxiliaire être, quand on veut marquer l'état : ces deux puissances sont conjurées contre lui.

HISTORIQUE

XIIe s. Lores conjurad Saül le ponle, que tant n'entendissent à mangier, cume sei de lur enemis vengier, Rois, 48.

XIIIe s. … il lui a demandé S'ele estoit de par Dieu, mout l'en a conjuré, Berte, XLV. Ge te conjur, se tu es tex [tel] Que tu doies parler à gent, Parole à moi isnelement, Ren. 21 802. Cil qui les deus arbres planterent, Trestos les diex en conjurerent, Fl. et Bl. 627. Et lors le seignor deit mander deus ou trois de ses homes ce enquerre, et les deit conjurer, par la fei que il li deivent, que il enquierent, Ass. de J. 104. Ô tu, li miens pueples, oies moi, et je te conjureré que tu soies mes feels, Psautier, f° 99.

XIVe s. Tout celui temps il emploierent en conseillant avecques les conjuriez, Bercheure, f° 28, verso.

XVIe s. Il attira aucuns de ses compagnons à conjurer avec lui contre ce capitaine. Si furent seize conjurez en tout, Amyot, Cimon, 2. Il y avoit un temple où l'on conjuroit les ames des trespassez, Amyot, ib. 11. Je vous supplie et conjure, que vous me tuez vous mesme en ce lieu, Amyot, Eumènes, 36. Ô Grecs, qui plus de maux vous procurez, Qu'oncques n'ont fait barbares conjurez, Amyot, Agésil. 23. Conjurant et conjoignant de nouveau les Estats de France avec le roi, tous les pretextes de la Ligue estoient esteints, D'Aubigné, Hist. II, 459. Il sembloit que toute la chrestienté est conjurée à sa ruine, Carloix, I, 43. Ceux qui ont esmeu ceste guerre civile, ont conjuré de troubler la tranquillité du royaume, Condé, Mémoires, p. 656. Car amour, Dieu, beauté ne sont ensemble qu'un ; Qui contre l'un des trois conjure une querelle, Celuy-là des geants l'audace renouvelle, Digne que son destin avec eux soit commun, Am. Jamyn, Poésies, p. 89, dans LACURNE. Mes tentations sont si cassées et mortifiées qu'elles ne veulent pas qu'elle [la raison] s'y oppose ; tendant seulement les mains au devant, je les conjure [écarte], Montaigne, III, 272.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. et espagn. conjurar ; ital. congiurare ; du latin conjurare, de cum, et jurare, jurer.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

CONJURER. Ajoutez :
7Conjurer de, s'entendre par conjuration pour. Quand tout ce qu'il y a d'hommes au monde auraient conjuré de vous servir, il n'y en aura jamais un qui le fasse avec plus d'affection, Malherbe, Lexique, éd. L. Lalanne.
8Conjurer à, former une conjuration contre (peu usité). Assassiner sa patrie et conjurer à sa ruine sont les marques de grandeur et d'autorité, Malherbe, ib.