« outré », définition dans le dictionnaire Littré

outré

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

outré, ée

(ou-tré, trée) part. passé d'outrer
  • 1Poussé au delà de la mesure. Quoi ! tu veux me donner pour des vérités, traître, Des contes que je vois d'extravagance outrés ? Molière, Amph. II, 1. Ils [les rois] s'astreignent à certaines lois, parce que la puissance outrée se détruit enfin elle-même, Bossuet, 5e avert. 56. Nous avons vu la doctrine de Socrate, conservée par Phédon, accommodée aux mœurs du temps par Aristippe, et outrée par Antisthène, Condillac, Hist. anc. III, 18.

    Excessif, exagéré. L'aveugle témérité et la peur outrée produisent les mêmes effets lorsque le péril n'est pas connu, Retz, II, 123. Il est bon de parler et meilleur de se taire ; Mais tous deux sont mauvais alors qu'ils sont outrés, La Fontaine, Fabl. VIII, 10. Quand l'absurde est outré, l'on lui fait trop d'honneur De vouloir par raison combattre son erreur, La Fontaine, ib. IX, 1. Un air outré d'indifférence, Sévigné, 9 mars 1672. On a vu comme ses maximes outrées ont produit celles des calvinistes plus outrées encore, Bossuet, Var. XV, § 122. Grotius… ne cessa de regarder le calvinisme comme une secte de gens emportés, et qui avaient introduit dans la chrétienté sur la matière de la grâce et du libre arbitre, non-seulement une doctrine outrée, mais encore des sentiments impies et barbares, Bossuet, 2e instr. sur les passages, dissert. sur Grotius, I. Le seul Lucifer, évêque de Cagliari en Sardaigne, se sépara de l'Église par un zèle outré, à cause qu'elle conservait dans leurs siéges les évêques qui se repentaient de s'être laissé surprendre, Bossuet, 2e instr. pastor. § 107. Tout ce qui est outré dans les lois tend à la destruction des lois, Voltaire, Polit et législ. Délits et peines, haute trahison. Prusias est un peu comme les vieillards de comédie, qui prennent des résolutions outrées quand on leur a reproché d'être trop faibles, Voltaire, Comm. Corn. Nicom. IV, 4.

    Terme de beaux-arts. Se dit de l'exagération des formes, des ombres et des couleurs.

    Substantivement. L'outré. Nous allons tomber en tout dans l'outré et dans le gigantesque ; adieu les beaux vers, adieu les sentiments du cœur, adieu tout, Voltaire, Lett. d'Argental, 13 oct. 1769.

  • 2En parlant des personnes, qui passe la mesure. Tertullien, le plus figuré, pour ne pas dire le plus outré de tous les auteurs, Bossuet, 6e avert. 92. M. Jurieu peut dire tant qu'il lui plaira, que saint Cyprien et saint Augustin étaient outrés sur l'unité, Fénelon, t. II, p. 85. Quels temps ont jamais été plus outrés sur tout ce qui fait la félicité des sens ? Massillon, Cérémon. de l'absoute, Ferv.

    Qui pousse les choses à outrance. J'oserai seulement avec respect avertir les théologiens scolastiques de mesurer leurs expressions, de manière qu'ils ne donnent point de prise à des gens outrés, Bossuet, Instr. sur les Ét. d'orais. III, 8.

  • 3Surchargé de travail, de peine. Outrés du chaud et de la douleur de leurs plaies, Vaugelas, Q. C. 326. Et le dedans du royaume a été outré tellement, que la dévastation est sensible d'année en année, D'Argenson, Mém. t. II, p. 366 (in-8°, 1860).

    Absolument. Surmené. Ce vous eût été peu de gloire de mener à outrance un homme déjà outré et à qui la fortune a donné tant de coups que les moindres le peuvent abattre, Voiture, Lett. 52. Le cheval de Beau-Chesne était outré, et il n'avait pu me suivre, Retz, IV, 32.

  • 4 Fig. Saisi, pénétré, en parlant d'un sentiment pénible. Outré de colère, de dépit. Oranthe… Le cœur outré de même ennui, Jura que, s'il mourait pour elle, Elle mourrait avecque lui, Malherbe, V, 19. Mon cœur outré d'ennuis n'ose rien espérer, Corneille, Cid, II, 3. Quoi ! quand le cœur outré de sensibles atteintes…, Rotrou, Vencesl. I, 1. La guerre qui s'échauffe tous les jours… la crainte qu'on a des mauvaises nouvelles… la désolation de ceux qui sont outrés de douleur, Sévigné, 20 juin 1672.
  • 5Mis hors de soi, irrité. Si bien qu'enfin outré de tant d'indignités, Corneille, Pomp. II, 4. La princesse est outrée de penser que le roi en est content, et qu'il le fera venir à la cour, Sévigné, 499. La fureur et la jalousie transportent les Juifs ; ils font des complots terribles contre saint Paul, outrés principalement de ce qu'il prêche les gentils, Bossuet, Hist. II, 7. Philomèle, au fond des forêts, Toujours de ses malheurs outrée… Se plaignait à vous des affronts Que lui fit l'insolent Térée, Chaulieu, à la duch. du Maine. Je t'écris sur ce sujet, parce que je suis outré d'un livre que je viens de quitter, qui est si gros, qu'il semblait contenir la science universelle ; mais il m'a rompu la tête sans m'avoir rien appris, Montesquieu, Lett. pers. 66.

    Absolument. Et dont le cœur outré brûle de vous détruire, Tristan, Mariane, IV, 6. La veuve de Maître Paul est outrée, Sévigné, 144. J'étais d'autant plus outré que…, Rousseau, Confess. VII.