« immoler », définition dans le dictionnaire Littré

immoler

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

immoler

(i-mmo-lé) v. a.
  • 1Égorger en sacrifice. Immoler des victimes. Seigneur, vous le savez, j'ai donné ma parole ; Et, si ma fille vient, je consens qu'on l'immole, Racine, Iph. I, 3. Pour réparer cette faute, ils immolèrent à Saturne deux cents enfants des meilleures maisons de Carthage, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. I, p. 193, dans POUGENS. Hérodote, en décrivant les sacrifices que les Scythes offraient au dieu Mars, dit qu'ils lui immolaient des victimes humaines, Rollin, ib. t. III, p. 76. Il n'y a guère de peuple dont la religion n'ait été inhumaine et sanglante; vous savez que les Gaulois, les Carthaginois, les Syriens, les anciens Grecs immolèrent des hommes, Voltaire, Mœurs, 147. Les Romains eux-mêmes tombèrent dans ce crime de religion ; et Plutarque rapporte qu'ils immolèrent deux Grecs et deux Gaulois pour expier les galanteries de trois vestales, Voltaire, Dict. phil. Idolâtr.
  • 2Il se dit du sacrifice sanglant et du sacrifice non sanglant de Jésus-Christ. Jésus-Christ que son amour vient d'immoler pour nous, Massillon, Carême, Passion. Ce nouvel Isaac monte sur la montagne mystérieuse où son amour et son obéissance vont l'immoler, Massillon, ib.
  • 3 Par extension, tuer, mettre à mort. En un triple chemin Laïus fut immolé, Chénier M. J. OEdipe roi, III, 4.

    S'immoler quelqu'un, l'immoler à soi, le tuer pour soi. Votre ambition s'est immolé mon père, Corneille, Cinna, v, 2.

    Immoler à, faire périr en considération de. Ils immolèrent à leur ambition toute la famille d'Alexandre, Bossuet, Hist. I, 8. Ils furent immolés aux jalousies de Théodoric, Bossuet, ib. I, 11. Elle allait immoler Joad à son courroux, Racine, Ath. III, 3. On l'immole à ma haine et non pas à l'État, Racine, Andr. IV, 4.

  • 4 Fig. Ruiner, perdre, sacrifier quelqu'un par passion, par obéissance à une nécessité, à un devoir. Oui, vous avez raison lorsque vous m'immolez À vos ressentiments en coupable victime, Molière, Amph. II, 6. La princesse Bénédicte fut la première immolée à ces intérêts de famille, Bossuet, Anne de Gonz. Je vis le sacrifice agréable de l'âme humiliée sous la main de Dieu, et deux victimes royales immoler d'un commun accord leur propre cœur [la reine et Louis XIV, lors de la mort d'un enfant], Bossuet, Marie-Thér. Immoler Troie aux Grecs, au fils d'Hector la Grèce, Racine, Andr. IV, 5. Les mauvais poëtes, ne sachant plus comment s'y prendre pour me perdre, après m'avoir immolé à Crébillon, Voltaire, Lett. Damilaville, 1er déc. 1766. J'ai déchiré votre cœur, je le sais ; mais je croyais n'immoler que moi, Staël, Corinne, XX, 3.

    Il se dit, dans le même sens, d'une chose qu'on détruit, dont on se prive, à laquelle on renonce. C'est à ses beautés Que je viens immoler toutes mes volontés, Corneille, Poly. II, 1. J'immolerai ma haine à mes désirs contents, Corneille, Sertor. I, 1. De quel front, immolant tout l'État à ma fille, Roi sans gloire, j'irais vieillir dans ma famille ? Racine, Iph. I, 1. Qu'il doit immoler tout à sa grandeur suprême, Racine, Athal. IV, 3. À son roi qui n'est plus immolant la nature, Voltaire, Orphel. IV, 2. Faut-il à vos frayeurs immoler ma colère ? Piron, Métrom. IV, 8.

  • 5 Fig. et familièrement. Immoler quelqu'un, le livrer à la risée, au ridicule.
  • 6S'immoler, v. réfl. Se donner la mort, recevoir la mort. Permettez, ô grand roi, que de ce bras vainqueur Je m'immole à ma gloire, et non pas à ma sœur, Corneille, Hor. v, 2. Un héros pour l'État s'est lui-même immolé, Racine, Théb. III, 3.

    Il se dit du sacrifice de Jésus-Christ. L'Agneau sans tache [Jésus-Christ], quand il va s'immoler sur les autels, Fléchier, Duc de Mont.

  • 7 Fig. Exposer, sacrifier sa fortune, son bien-être, sa vie pour quelqu'un ou pour quelque chose. Il [Stanislas] le pressa de ne point immoler les intérêts de la Suède à ceux d'un ami malheureux qui s'immolait au bien public sans répugnance, Voltaire, Charles XII, 7. Quand vous saurez mon histoire, vous verrez que je suis capable aussi de m'immoler pour ce que j'aime, Genlis, Mlle de La Fayette, p. 120, dans POUGENS.

    Par plaisanterie. Je m'immole, c'est-à-dire Je surmonte une répugnance, je cède, je fais ce que je ne voulais pas faire.

    En un autre sens. Il s'est immolé de bonne grâce, il s'est prêté à la plaisanterie, il s'est laissé railler.

    S'immoler à la risée publique, se laisser railler par le public, phrase du cardinal du Perron, répétée par Coeffeteau et critiquée par les puristes d'alors (Vaugelas la défend).

HISTORIQUE

XVIe s. Ainsy à Sainct-Denys l'ennemy de ses roys Auprès de leurs tombeaux a rendu les abois, Victime trop tardive à leur cendre immolée, Sat. Mén. Sonnet sur la mort du chevalier d'Aumale.

ÉTYMOLOGIE

Lat. immolare, de in, dans, et mola, gâteau de farine, parce que la victime était offerte avec ce gâteau. Mola n'a le sens de gâteau que par dérivation ; il signifie meule de moulin, et par suite un gâteau en forme de meule (voy. MEULE).

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

IMMOLER. - HIST. Ajoutez :

XVe s. Après y fut Jhesus Christ immolé En croix pour nous par les faulx Juifs iniques, Jean Joret, le Jardrin salutaire, p. 129.