« gauchir », définition dans le dictionnaire Littré

gauchir

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

gauchir

(gô-chir) v. n.
  • 1Perdre sa forme, se contourner. Ce panneau, cette règle gauchit.
  • 2Détourner le corps pour éviter quelque coup. Il gauchit, et le coup qui le menaçait ne l'atteignit pas.
  • 3Se détourner de la ligne directe de sa route. Donner à travers les écueils, pour avoir l'honneur de ne point gauchir, Guez de Balzac, De la cour, 6e disc. Ce sont des astres errants, comme parle l'apôtre saint Jude, qui, pour n'être pas assez attachés à la route immuable de la vérité, gauchissent et se détournent au gré des vanités, des intérêts et des passions humaines, Bossuet, Cornet. Je m'avisai de gauchir et de passer par Salins, Rousseau, Conf. X.

    Fig. Ami, tu sauras t'affranchir De tout ce qui te fait gauchir Vers les passions et les vices, Corneille, Imit. IV, 10. Notre sort ne dépend que de sa seule tête ; De ce qu'elle s'y met, rien ne la fait gauchir, Molière, Éc. des f. III, 3.

    Fig. Se laisser aller à une digression (sens vieilli). Je crois que nos discours iront d'un pas égal, Sans donner sur le rhume ou gauchir sur le bal, Corneille, la Suiv. III, 10.

  • 4 Fig. S'écarter de la rectitude, de la franchise. J'en ai déjà parlé, mais il a su gauchir, Corneille, Pomp. IV, 2. Notre amie n'est pas de ce monde-là, et il s'en faut tenir précisément à ce qu'elle mande, parce qu'elle est aussi sincère qu'éclairée, et que la dernière chose qu'elle ferait serait de gauchir ou de flatter, Chapelain, Lett. à Sévigné, 7 nov. 1661. Quelle misère de gauchir toujours et de n'oser jamais parler franchement dans une matière de religion ! Bossuet, 3e avert. § 9. Il faut gauchir et tergiverser sans cesse, Rousseau, Ém. IV. Point assez ferme dans ses principes pour ne point gauchir, lorsque la crainte ou l'espérance le commandera, Bachaumont, Mém. secrets, t. XXXIV, p. 191. Un ministre veut m'enrichir, Sans que l'honneur ait à gauchir, Béranger, Refus.

    Gauchir à, autour, contre, ne pas aborder franchement. Mais il n'est pas question pourtant de gauchir toujours aux difficultés, il les faut vaincre et établir une règle certaine pour la perfection de notre langue, Vaugelas, Rem. t. I, p. 170, dans POUGENS. Celui qui gauchit tout autour [des tentations] Sans en arracher la racine, Corneille, Imit. I, 13. Contre son insolence on ne doit point gauchir, Molière, Tart. v, 2.

    Il se conjugue avec l'auxiliaire avoir.

  • 5 V. a. Terme de charpenterie. Donner à une pièce une certaine déviation par un moyen mécanique quelconque.

    Fig. Éviter (sens vieilli). Gauchir une difficulté. Ce qu'écrit le destin ne peut être effacé… De ses piéges secrets on ne peut s'affranchir, Nous y courons plus droit en pensant les gauchir, Tristan, Marianne, I, 3.

  • 6Se gauchir, v. réfl. Être évité (sens vieilli). Penses-y sans cesse et sans feinte, Ce grand péril se peut gauchir, Corneille, Imit. I, 23.

HISTORIQUE

XIIe s. Guenqis avons la loi pour nous sauver, Ronc. p. 7. Cil lui cuida guenchir, si chet tout estendu, ib. p. 196. Poi i out des evesques qu'il voleit sustenir ; Mais Rogiers de Wirecestre ne li voleit guenchir, Th. le mart. 39. …chevaliers, monte Sor ton cheval seürement, Et je te creant leaument Que je ne ganchisse ne fuie, la Charrette, 820.

XIIIe s. Grans partie des haus homes de Grece guenchirent vers la porte de Blaquerne, Villehardouin, CV. Li prestres lieve la maçue, Et Ysengrin l'a bien veüe, En la teste le volt ferir, Et Ysengrin sot bien guenchir, à cele foiz nel toucha mie, Car il sot trop de l'escremie, Ren. 7464. Et ceulz à cheval vindrent ferant des esperons et n'oserent assembler [livrer bataille] à nostre gent à pié, ainçois ganchirent par devers eulz, Joinville, 231.

XIVe s. Mais li diz Tarquins se gaenchit, et se rechut en la compaignie des siens, Bercheure, f° 34, verso. L'esprevier ne suit mie si bien petis oiseaulx qui se plient, comme l'aloe qui gauchist comme à esquierre, Ménagier, III, 2.

XVe s. Du quel dit connestable trop de biens ne pouvoyent estre dis, qui onques pour paour de mort ne guenchi, Christine de Pisan, Ch. V, II, 19. Nos gens ne leur gauchirent mie, ains lancerent vers eux de bombardes et de trait sans nulle espargne, Boucic. II, 26. Ne croyez que pourtant ils reculassent ne gauchissent, ains passerent oultre, ib. I, 24.

XVIe s. Parquoy nous faisons bien de gauchir un peu sur [d'incliner au] le naïf et mesprisant, Montaigne, I, 192. En la pluspart de leurs opinions ils gauchissent la voye commune, Montaigne, II, 349. Gauchir aux dangiers, Montaigne, III, 21. Je n'ay gueres d'art pour savoir gauchir la fortune et luy eschapper ou la forcer, Montaigne, III, 47. L'on ne sçauroit pas dire le semblable de Demosthenes, qu'il ait gauchy ne fleschy jamais, ny en faict ny en parole quelconque, Amyot, Démosth. 19.

ÉTYMOLOGIE

Bourg. guanchai, gauchir, pencher ; norm. guancher, aller ; Berry, guincher, guinchir et dé-guincher, dévier légèrement ; de l'anc. haut allemand wankjan, wenkjan, céder, chanceler. Diez objecte que an ne se change pas en au, cela est vrai ; mais toute règle a ses exceptions ; et, dans la succession que l'historique présente, ganchir et gauchir sont unis de manière à ne pouvoir être séparés pour la forme ; pour le sens, ils ne peuvent pas l'être non plus, car dans gauchir se sent toujours la signification de ganchir, bien plus que celle de sinister. L'autre objection de Diez est qu'on ne voit pas d'adjectif dériver d'un verbe roman, cela est vrai encore ; mais la chose n'a pas en effet procédé ainsi ; la guanche est un substantif verbal, et la guauche qui lui a succédé est un substantif verbal aussi. C'est ce substantif qui a été transformé en adjectif.