« cruel », définition dans le dictionnaire Littré
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cruel, elle
- 1Qui aime à infliger des souffrances, la mort. Un tyran cruel. Le cruel Henri VIII fit périr plusieurs de ses femmes.
Valérien ne fut cruel qu'aux chrétiens
, Bossuet, Hist. I, 10.J'ai mendié la mort chez des peuples cruels
, Racine, Andr. II, 2.Mes inhumaines sœurs sont d'autant plus cruelles, Qu'elles le sont par piété
, Lamotte, Odes, t. I, p. 500, dans POUGENS.Perfide par instinct et cruel par penchant, Son âme est un enfer et sa vie un long crime
, Masson, Helvét. II.Dans cette guerre à mort, leur donner la vie [aux prisonniers], c'eût été se sacrifier soi-même ; on fut cruel par nécessité ; le mal venait de s'être jeté dans une si terrible alternative
, Ségur, Hist. de Nap. IX, 8.Les plus cruels ennemis, les ennemis les plus acharnés.
Il se dit de quelques animaux. Le tigre est un animal cruel.
- 2Qui a un caractère de cruauté, en parlant des choses. Un ordre cruel. Une politique cruelle et ambitieuse.
Une guerre cruelle, sanglante, acharnée Cruelle bataille
, Racine, Théb. III, 4.On fit une cruelle boucherie de ces brigands
, Vertot, Révol. rom. XI, p. 143.Loin de ces lieux cruels précipitez vos pas
, Racine, Iphig. IV, 10.Je suis persuadé plus que jamais de l'innocence des Calas et de la cruelle bonne foi du parlement de Toulouse
, Voltaire, Lett. d'Argental, 21 juin 1761.Une guerre longue et cruelle, inutile à l'Autriche, funeste à la France, profitable aux seuls Anglais, et glorieuse au seul roi de Prusse, qui, après l'avoir soutenue pendant sept ans contre la moitié de l'Europe, l'a terminée sans perdre un village
, D'Alembert, Éloges, milord Maréchal.Ses expériences n'avaient pu être faites sans assujettir un grand nombre d'animaux à des douleurs cruelles ; et c'eût été acheter bien cher une vérité inutile ; M. de Haller le sentait
, Condorcet, Haller. - 3Dur, sévère, rigoureux, en parlant des personnes et des choses. Père, tuteur cruel. Une peine cruelle. Des devoirs cruels à remplir.
C'est cette vertu même à nos désirs cruelle, Que vous louez encore en blasphémant contre elle
, Corneille, Poly. II, 2.Les dieux depuis longtemps me sont cruels et sourds
, Racine, Iphig. II, 2.Hélas ! fus-je jamais si cruel que vous l'êtes
, Racine, Andr. I, 4.Tous deux haïs du peuple, et tous deux admirés ; Enfin, par leurs efforts ou par leur industrie, Utiles à leurs rois, cruels à la patrie
, Voltaire, Henr. VII.Ses parents, à la fois jacobites et catholiques, étaient opprimés, à ce dernier titre, sous des lois cruelles, indignes de la sagesse et de l'humanité des lois anglaises, mais qu'une fausse politique avait crues nécessaires dans le siècle dernier
, Condorcet, d'Arci. - 4Douloureux, fâcheux. C'est une chose cruelle que d'être abandonné de ses amis.
Quels reproches cruels ne nous ferons-nous pas ?
Corneille, Sertor. II, 2.Je dois vous annoncer, Léandre, une nouvelle, Mais la trouverez-vous agréable ou cruelle ?
Molière, l'Étour. II, 10.Le ciel eut pour ses vœux une bonté cruelle
, La Fontaine, Fabl. VII, 17.C'est une cruelle chose que de mettre sa vie entre les mains d'un médecin, qui croit fermement qu'il va prendre possession d'une souveraineté en Italie
, Sévigné, t. X, lett. 1012, dans POUGENS.Ce ne peut être que cette seule curiosité qui vous ait fait faire une si cruelle imprudence
, La Fayette, Princ. de Clèves, Œuvres, t. II, p. 185, dans POUGENS.Non, vous ne verrez pas cette fête cruelle
, Racine, Baj. II, 5.Ah ! souvenir cruel
, Racine, Andr. I, 4.Et ton nom paraîtra dans la race future Aux plus cruels tyrans une cruelle injure
, Racine, Brit. V, 6.[C'est lui qui] Veut, la force à la main, m'attacher à son sort Par un hymen, pour moi, plus cruel que la mort
, Racine, Mithr. I, 2.Mesdames [les sœurs du roi] savaient combien est cruelle pour ceux qui souffrent, la perte du médecin dont ils attendent la conservation de leur vie ou la fin de leurs douleurs
, Condorcet, Bourdelin.Destin, sort cruel, destin, sort tout à fait contraire.
Que ma destinée est cruelle !
Molière, le Fest. III, 4. - 5Insensible. Beauté cruelle.
Et même en ce moment où ta bouche cruelle Vient si tranquillement m'annoncer le trépas
, Racine, Andr. IV, 5.Avec quels yeux cruels sa rigueur obstinée Vous laissait à ses pieds peu s'en faut prosternée !
Racine, Phèd. III, 1.Eh ! comment font tant de jeunes filles qui, pendant des mois entiers, résistent à leur penchant, cachent leur amour, et paraissent non-seulement insensibles, mais encore cruelles à un amant qui leur plaît ?
Saint-Foix, Oracle, sc. 7.Dans le langage familier. Cette femme passe pour n'être pas cruelle, elle cède facilement à ceux qui la poursuivent.
- 6Un cruel homme, un fâcheux, un ennuyeux personnage ; une cruelle femme, une femme bien insupportable.
- 7 Substantivement.
La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles ; On a beau la prier ; La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles, Et nous laisse crier
, Malherbe, VI, 18.Vous triomphez, cruelle, et bravez ma douleur
, Racine, Iphig. II, 5.Un cruel (comment puis-je autrement l'appeler ?) Par la main de Calchas s'en va vous immoler
, Racine, Iphig. III, 6.Je ne t'ai point aimé, cruel ? qu'ai-je donc fait ?
Racine, Andr. IV, 5. - 8Femme qui n'écoute pas un amant.
Venge-toi d'une ingrate et quitte une cruelle
, Corneille, Nicom. V, 1.Soulagez mon tourment, disais-je à ma cruelle ; Ma mort vous ferait perdre un amant si fidèle Qu'il n'en est point de tel en l'empire amoureux
, La Fontaine, Poésies mêlées, XLV.Mon fils me parle de la grosse cousine d'une étrange façon ; il ne désire qu'une bonne cruelle pour le consoler un peu
, Sévigné, t. VII, p. 649, p. 17, dans POUGENS.Les cruelles ne me sont rien, Je ne crains que les infidèles
, Fontenelle, Poésies past. Œuvres, t. IV, p. 22, dans POUGENS.Ceux qui sont accablés des rigueurs d'une cruelle y viennent soupirer
, Montesquieu, Gnide, 1.Si elle vous nomme audacieux, vous l'appellerez cruelle ; les femmes aiment beaucoup qu'on les appelle cruelles
, Beaumarchais, Barbier, IV, 5.Familièrement. Ne pas trouver de cruelles, être toujours heureux en amour.
Jamais surintendant ne trouva de cruelles
, Boileau, Sat. VIII.Familièrement. Faire le cruel, se montrer dédaigneux à l'égard des femmes.
- 9 S. f. Cruelle, nom qu'on donne à de l'eau-de-vie rendue plus brûlante par l'addition de substances âcres.
REMARQUE
1. On dit (les exemples rapportés le prouvent) être cruel à quelqu'un. Mais on dit aussi : être cruel envers quelqu'un.
2. Il faut faire attention à la différence de sens que produit quelquefois la place de cruel : un homme cruel, c'est un homme qui a de la cruauté ; un cruel homme, c'est un homme insupportable.
HISTORIQUE
XIIe s. Cruez hom est Rollant
, Ronc. p. 20. Ja de crueul au desseure [dans le triomphe] N'orrés [vous n'ouirez] dire bon recort
, Couci, IV. Ha ! douce riens cruels, tant mar [je] vous vi, Quant pour ma mort nasquites sans merci
, ib. IX. Au mont [monde] n'a [il n'y a], voir, si cruel traïson Qu'un bel semblant et courage felon
, ib. IX. Lors vous truis je [je vous trouve] cruel si durement
, ib. X. Car tant est fors et crueus sa prisons
, ib. XII. Mais j'ai de ce moult cruel avantage, Qu'il les m'esteut sur mon cuer obeir
, ib. XI. Cele [ma dame] me fut crueus à l'acointier
, ib. XX. Je chanterai, car plus ne m'en puis taire, Pour conforter ma cruel aventure
, ib. p. 125. [Ils] Ne leur poïssent [pussent] faire un plus cruel cembel [combat]
, Sax. IX. Si que li rois puist dire… Qu'onc vers lui ne plaidierent si cruel aversaire
, ib. XXX.
XIIIe s. [Toi] Qui ainsi m'as traïe de traïson crual
, Berte, XXVI. Tant cum Gauvains li bien apris Par sa cortoisie ot le pris, Autretant ot de blasme Keus Por ce qu'il fu fel et crueus
, ib. 2106. Et por ce que lor espée esperituel est plus cruel que le [la] temporel, porce que l'ame y enquort, doivent moult garder cil qui l'ont en garde, qu'il n'en fierent sans reson
, Beaumanoir, XLVI, 11.
XVe s. Les aucuns en donnent le droit de la guerre qui fut en ce temps si grande et si cruelle en Flandre
, Froissart, II, II, 62. Le prince de Galles, qui estoit courageux et cruel comme un lyon, print ce jour grant plaisir à combattre et chacer ses ennemis
, Froissart, liv. I, p. 195, dans LACURNE. Tout homme armé doit estre par effect Crueulx devant, piteus après victoire
, Deschamps, Poésies mss. f° 109, dans LACURNE.
XVIe s. Mais la cruelle, accoustumée à tromper son poursuivant, S'enfuit comme une fumée Qui se perd au gré du vent
, Ronsard, 549. Par trop cruel à son ennemy Sera rude à son amy
, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 367.
ÉTYMOLOGIE
Bourguig. crual, crouel ; provenç. cruzel, cruel ; espagn. cruel ; ital. crudele, du latin crudelis, dérivé de crudus. Dans l'ancien français au nominatif singulier cruels ou crueus pour les deux genres ; au régime cruel pour les deux genres ; au pluriel nominatif cruel pour les deux genres ; au régime cruels ou crueus. De cette forme cruels ou crueus, on avait tiré un adjectif irrégulièrement formé crueus, crueuse : De plus crueuse beste ne fu parole oïe,
Berte, II.
; En si crueuses batailles et si perilleuses,
Froissart, I, I, 1.