« ruser », définition dans le dictionnaire Littré

ruser

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

ruser

(ru-zé) v. n.
  • 1Employer toutes sortes de détours et d'expédients pour échapper aux chiens, en parlant du renard, du lièvre, du cerf, etc. (ce qui est un des sens primitifs). Le renard a long temps rusé.

    Fig. C'est une des belles chasses qu'il est possible de voir, que celle que nous faisons après M. de Bellièvre et M. de Mirepoix ; ils courent… ils rusent, mais nous sommes toujours sur la voie, Sévigné, 12 juill. 1675.

  • 2User de ruses, de moyens de tromper. …Il faut ruser pour avoir cette proie ; Rusons donc…, La Fontaine, Fabl. V, 8. Le roi, qui fit servir M. du Maine dans son armée où son ancienneté le faisait le second lieutenant général, rusa pour qu'il fût le premier, Saint-Simon, 108, 145. Il faut ruser avec la négligence des hommes, ainsi qu'avec leurs passions, Barthélemy, Anach. ch. 75. J'ai voulu ruser avec eux ; ils m'ont traité comme un enfant, Beaumarchais, Mar. de Figaro, V, 19.

    Il se conjugue avec l'auxiliaire avoir.

HISTORIQUE

XIIe s. À la feie Engleiz reuserent [reculèrent], Et à la feie retornerent, Rou, V. 13189. Bien crei qu'à cele feiz saint Thomas s'aïra De ço que cil Reinalz le destraist e sacha ; Si ad enpaint Reinalt qu'ariere rehusa, E le corn del mantel hors des mains li sacha, Th. le mart. 148.

XIIIe s. Diex, qui le mont [monde] puet sauver, Gart France de raüser, Hues de la Ferté, Romanc. p. 192. Entre l'iave et le mont [ils] vont paiens encontrer, O les brans acerins les fisent reüser, Ch. d'Ant. VIII, 1332. Comment que mon temps aie usé, M'a ma conscience acusé Et tous dis loé [conseillé] le meillour, Et tant le m'a dit et rusé Que j'ai tout soulais refusé Pour tendre à venir à honour, Barbazan, Fabliaux, 2e édit. I, p. 116. C'est un homs qui ment de legier Et maint prod'omme a reüsé, la Rose, 3581. Si m'en venist miex reüser, Mes ne pooie refuser Ce que mes cuers me commandoit, ib. 1764.

XIVe s. Et de premier assaut l'ost des Romains les fist ruser arrere, Bercheure, f° 50, recto. Ainsy y doi mon sentement Mettre et mon entendement, Cuers, corps, pooir et quanque j'ay ; Ne je ne pris [prise] un bec de jay Ceuls qui s'en vorroient ruser [écarter], Machaut, p. 7. Quant on ot rusé longuement [quand on se fut longuement ébattu], Uns chevaliers isnellement Hucha le vin et les espices, Machaut, p. 88. Adonc ma dame jura fort Que j'iroie ; et, quant vint au fort, De li m'approchai en rusant [tergiversant], Et tous dis en moy escusant Que ce à moi n'appartenoit, Machaut, p. 48. Rusez vous du chemin, car je ne puis tenir mon cheval, Du Cange, rusare. Par ma foi, chastelain, on ne doit pas ruser ; Se je devoie ci o ma gent demourer, Si n'en porrez vous jà un denier enbourcer, Guesclin. 5146.

XVe s. [Le comte de Foix] avoit usage de ruser, de solacier et de gaber, Froissart, II, III, 18. Mais plus y suis et moins ay de puissance, Et suis de tous escharnis et rusez, Deschamps, Poés. mss. f° 239. Or veons se li homs refuse Sa femme à aucun qui la ruse [pourchasse] Plus grand de li…, Deschamps, ib. f° 499. [Une femme] Tant se scet de la langue aidier, Qu'ele ara droit, par son plaidier, Encontre cellui qui l'accuse ; Il n'est rien que femme ne ruse, Deschamps, ib. f° 509. Des longtemps icellui Simon rusoit, frequantoit et repairoit icelle Ysabellet, soubz umbre et faintise de la prendre en mariage, Du Cange, rusare.

XVIe s. Esjouys-toi, ne te mesle de guerre ; Car tu as chief qui les haulx au bas ruse, Crainct et doubté plus que cil de Meduse, Marot, J. V, 49. Ne vous fiez point en luy, il se ruse avec tous ceulx à qui il a afaire, Palsgrave, p. 731. Si je ne puis la combattre [une idée pressante], je luy eschappe ; et, en la fuyant, je fourvoye, je ruse, Montaigne, III, 299.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. rahusar, gruger (d'après Raynouard), mais plutôt tromper. Mot très difficile. Au XIIe siècle, reuser signifie reculer, repousser, écarter. Au XIIIe, il signifie repousser, mais il s'y joint le sens de tromper et celui de rebattre ; au XIVe, repousser, écarter, tergiverser, s'ébattre ; au XVe, s'ébattre, repousser, tromper, pourchasser, fréquenter ; au XVIe, à côté du sens de repousser qui se trouve dans J. Marot, on a celui de avoir de la ruse. Diez a montré que reüser, congénère à l'ital. rifusare et à l'espagn. rehusar, était né d'un mélange de refutare et de recusare. Le sens primitif de reuser, qui est repousser, tient à refutare, qui signifie repousser, rejeter. Du sens de repousser, ce verbe, pris neutralement, a passé à celui de reculer, puis de s'échapper par des détours, en parlant du gibier, et finalement de tromper, ruser. Des sens accessoires à s'échapper par des détours sont tergiverser, s'ébattre ; d'où sont venus aussi les sens de fréquenter une personne, la pourchasser.