« boire », définition dans le dictionnaire Littré
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boire [1]
- 1Avaler un liquide. Il boit du vin. Vous boirez de la tisane. Il but du poison. Buvez un verre d'eau.
- 2Dépenser à boire.
Il [mon aïeul] but ainsi son héritage ; Que son âme soit en repos !
Béranger, Enfant de b. maison.Buvons gaîment l'argent de mon tombeau
, Béranger, Mon tomb.À boire ! locution pour demander qu'on verse à boire.
- 3 Fig.
Que tout seul, s'il se peut, je boive tout le fiel Que répandrait sur vous la colère du ciel
, Mairet, Sophon. IV, 1.Et d'enfants à sa table une riante troupe Semblait boire avec lui la joie à pleine coupe
, Racine, Esth. II, 9.La céleste troupe, Dans ce jus vanté, Boit à pleine coupe L'immortalité
, Rousseau J.-B. Bacchus, cantate.Le germe des douleurs infecte leur repas ; Et dans des coupes d'or ils boivent le trépas
, Thomas, Ép. au peuple.Quand pourrai-je… Boire l'heureux oubli des soins tumultueux
, Delille, L'hom. des ch. IV.Adieux, regrets, baisers… Mon âme s'en troublait, mon oreille ravie Buvait languissamment ces prémices de vie
, Lamartine, Joc. I, 36.Boire, dans le sens d'être obligé d'endurer.
Honorable défaite… Encores derechef me la fallut-il boire
, Régnier, Sat. VIII.Qui gai fait une erreur, la boit à repentance
, Régnier, Sat. X.Ayant bu la première honte
, Hamilton, Gramm. 11.Malheureux que je suis ! il faut que je boive l'affront
, Molière, Préc. 18.Mon frère, doucement il faut boire la chose
, Molière, Éc. des mar. III, 20.Ils boivent les affronts comme l'eau
, Rousseau, Ém. II.Il boit, en expirant, le plus horrible affront : Les pieds d'un malheureux suspendu sur sa tête Renversaient sa couronne et lui battaient le front
, Masson, les Helvétiens, III. - 4 Absolument, boire du vin. On buvait pendant des jours entiers. Boire beaucoup, boire avec excès, bien boire. Il avait bu copieusement. Aimer à boire.
Vous buviez sur son reste, et montriez d'affecter Le côté qu'à sa bouche elle avait su porter
, Molière, l'Étour. IV, 5.Soyons bien buvants, bien mangeants, Nous devons à la mort de trois l'un en dix ans
, La Fontaine, Fab. VI, 19.J'ai soupé hier avec trois des plus jolies femmes de Paris ; nous avons bu jusqu'au jour…
, Lesage, Turc. III, 5.Boire son soûl, boire autant qu'on veut.
Boire à la santé de quelqu'un, faire des vœux pour quelqu'un en buvant. Nous buvons à votre heureux retour.
Qu'on boive aux maîtres de la terre, Qui n'en boivent pas plus gaîment
, Béranger, Trinquons.On dit aussi, boire la santé de quelqu'un, au lieu de boire à sa santé.
Je voudrais bien les remercier d'avoir bu ma santé ; la vôtre fut bue avant-hier chez la princesse de Tarente
, Sévigné, 441.Boire sec. Cet homme boit sec, c'est-à-dire il boit beaucoup.
Le roi boit ! la reine boit ! Acclamation usitée dans les repas du jour des Rois, lorsque le roi ou la reine de la fève boivent.
Boire, être ivrogne. Cet homme a le défaut de boire.
Donner à boire, tenir un cabaret.
Chanson à boire, chanson de table.
Elle chanta vingt chansons à boire
, Sévigné, 407.Chanter un air à boire
, Molière, Bourg. IV, 1.Donner pour boire, donner une gratification en outre du salaire.
Je lui donnerai de quoi boire
, Sévigné, 15.Après boire, après avoir bu, à son aise.
Un poëte n'est bizarre et fâcheux qu'après boire
, Régnier, Sat. VIII.Un beau jour, après boire
, La Fontaine, Mazet.Eh bien ! nous lirez-vous quelque chose aujourd'hui ? Me dit un curieux qui s'est toujours fait gloire D'honorer les neuf sœurs et toujours, après boire, Aime à dormir au bruit des vers psalmodiés
, Chénier, Ép. 2.Fig.
Ils boiront dans la coupe affreuse, inépuisable, Que tu présenteras au jour de ta fureur, à toute la race coupable
, Racine, Ath. II, 9.En langage poétique, boire à la source d'Hippocrène, faire des vers.
Boire, courir risque de se noyer. On est allé à son secours ; il commençait à boire. Il faillit se noyer et but beaucoup. On dit dans le même sens, boire un coup.
Terme de manége. Un cheval qui boit dans son blanc, est un cheval qui a le nez blanc ; un cheval qui boit la bride, a le mors trop enfoncé dans la bouche.
- 5S'imbiber, s'imprégner de. L'éponge boit l'eau. La terre brûlée longtemps par le soleil, but la pluie.
Absolument. Ce papier boit, il se laisse pénétrer par l'encre.
Fig.
La terre humectée But à regret le sang des neveux d'Érecthée
, Racine, Phèdre, II, 1.Telle est Iris, quand un nuage obscur, Chargé de pluie, altéré de lumière, Boit le soleil, et vers notre paupière Réfléchit l'or et la pourpre et l'azur
, Malf. Narcisse, III. - 6 V. n. Terme de tannerie. Faire boire les peaux, les mettre à la rivière.
- 7 Terme de couturière. Faire boire du taffetas, du linge, une étoffe, tenir en cousant une pièce lâche contre l'autre tendue, de manière qu'avec des longueurs inégales elles arrivent au même point.
Terme de marine. Faire boire la voile, tenir la voile lâche en la cousant à sa ralingue.
En ces deux derniers emplois, boire se dit pour être béant, à demi ouvert, et cela se comprend, puisque boire exige que la bouche soit ouverte.
- 8Se boire, v. réfl. Être bu. Ce vin se boit au dessert.
PROVERBES
Boire comme un templier, comme une éponge ; boire excessivement. Les chevaliers de l'ordre du Temple étaient accusés d'être ivrognes.
Boire le vin du marché, boire ensemble après la conclusion d'un marché.
Boire le vin ou le coup de l'étrier, boire un verre de vin quand on est près de partir.
À petit manger bien boire, c'est-à-dire lorsqu'on a peu à manger, il est bon de boire un bon coup.
Il y a à boire et à manger, c'est-à-dire l'affaire présente de bons et de mauvais côtés ; se dit aussi, au propre, d'un liquide trouble, par exemple du café mal filtré.
Qui bon l'achète, bon le boit, c'est-à-dire il ne faut point plaindre l'argent à bonne marchandise.
On ne saurait faire boire un âne s'il n'a soif, c'est-à-dire on ne saurait déterminer une personne entêtée à faire ce qu'elle n'a pas envie de faire.
Qui fait la faute la boit, on porte la peine des fautes qu'on fait.
On ne saurait si peu boire qu'on ne s'en sente, c'est-à-dire boire un peu trop expose toujours à quelque sottise.
Croyez cela et buvez de l'eau, se dit d'une chose qui ne mérite pas de croyance. On dit dans un sens à peu près analogue : buvez frais ; buvez du meilleur. Prononcez seulement ces mots in, cum, sub, et buvez du meilleur
, Voltaire, Dial. 10.
C'est la mer à boire, se dit d'une chose trop difficile, qui ne se peut faire. Ce n'est pas la mer à boire, se dit d'une chose qui ne présente pas de grandes difficultés. Si je pouvais remplir mes coffres de ducats ! Si j'apprenais l'hébreu, les sciences, l'histoire ! Tout cela c'est la mer à boire
, La Fontaine, Fab. VIII, 25.
Il n'y a pas de l'eau à boire, c'est-à-dire à ce travail, à ce métier, à ce marché, il n'y a rien à gagner.
Le vin est tiré, il faut le boire, c'est-à-dire il n'y a plus à hésiter, à reculer, et aussi, vous avez commencé, il faut achever.
Qui a bu boira, c'est-à-dire on ne se corrige pas de ses vieux défauts.
HISTORIQUE
XIe s. Li mieux gariz [protégés] en ont boüd [se sont noyés] itant
, Ch. de Rol. CLXXVI.
XIIe s. S'il en bevoit, ne fust mort erramment
, Ronc. p. 105. Onques Tristans, cil qui but le brevage, Plus loiaument n'ama sans repentir
, Couci, XI.
XIIIe s. Et quant il lui donnoit à boire et à manger
, Berte, XI. Volentiers [elle] en beüst, mais trouble ert [était l'eau] com godale [sorte de bierre]
, ib. XXVII. À son plaisir elle a et mangié et beü
, ib. LI. Illuec [il] eüst esté noiiés ; Mais li peschieres à esploit S'en vint au comte qui buvoit
, Bl. et Jeh. 2711. Si ot non li legas de France maistre Robiers de Crescon et estoit englois, preudomme, mais volentiers buvoit ; par Dieu ! ainsi sont maint preudome
, Chron. de Rains, p. 87. Il convient que il [le fripier] doint au roy pour le mestier XXV deniers de la haubanerie, et XII deniers à boivre aus compaignons
, Liv. des mét. 202. Il est bien raison que l'anui Que je ai porchacié reçoive ; Droiz est que ma folie boive
, Ren. 15748. Je ne sui mie encore morz ; Moult avez tost le duel beü Que vos avez de moi eü
, ib. 12775. À ce sunt cil bien cognoissant Qui vont les dames traïssant, Qui dient por eus [els, elles] losengier Qu'il ont perdu boivre et mengier
, la Rose, 2566. Et quant il vint à la fontaine Que li pins de ses rains [branches] covroit, Il se pensa que il bevroit
, ib. 1488. Il n'est nus qui de celi boive, Boive en neïs plus qu'il ne doive [même s'il en boit plus qu'il ne doit], Qui sa soif en puisse estanchier, Tant a le boivre dous et chier
, ib. 6012. S'il fist folie, si la boive
, Rutebeuf, 79. Et li dit que il looit [conseillait] qu'il se traïsist [retirât] à main destre sur le flum, pourceque ses serjans eussent à boire
, Joinville, 226. Ses chevaliers sarrazins se mistrent en la ville et comencerent à boivre des vins, et furent maintenant touz ivres
, Joinville, 248.
XIVe s. Et semblablement ne desirent pas touz unes meismes viandes ou boires
, Oresme, Eth. 95.
XVe s. Et usent grand foison d'espices, par especial de sucre et aussi de lait de chevres ; ce sont les communs boires des Turs et des Sarrazins
, Froissart, III, IV, 58. Pensez à vos besognes, car jamais je ne buverai ni ne mangerai tant que vous soyez en vie
, Froissart, II, III, 76. [Les Anglais naufragés sur la côte d'Irlande] burent assez
, Froissart, II, II, 59. L'endemain, après messe et après boire, les traiteurs [les négociateurs] vinrent ensemble en la dite chapelle…
, Froissart, I, I, 143. Puisqu'il est trait [tiré], il le faut boire
, Orléans, Rép. à Fred. Il lui falloit adviser necessairement comment il pourroit mieulx boire ce qu'il avoit brassé, car boire le luy falloit
, Chastelain, Chron. du duc Philippe, Introd. En l'an de mon trentieme eage, Que toutes mes hontes j'eu beues, Ne de tout fol encor ne sage
, Villon, Gr. Test.
XVIe s. Plus tost beuront [boiront] les Partes Araris
, Marot, IV, 6. [Les rivières] Qui d'une part en la terre se boivent : Autres plusieurs en la mer se reçoivent
, Marot, IV, 13. Je boiray par Dieu et à toy, et à ton cheval
, Rabelais, Garg. I, 39. Ils en perdent le boire, le manger et le repos
, Montaigne, I, 64. Boire chaud, boire froid
, Montaigne, I, 164. Qui fait la faute, il la boit
, Loysel, 825. Les premiers harquebusiers qu'on avoit poussez beurent seuls quelque fumée, et firent la pluspart du meurtre en attendant les autres
, D'Aubigné, Hist. I, 153. Premier que de joindre, il lui fallut boire la volée de 14 canons
, D'Aubigné, ib. I, 167. Parmi les pleurs et la tristesse, ce prince beut les remonstrances des pasteurs et des amis [les accueillit], et rompit les mauvaises esperances de la cour, en espousant la sœur du duc de Longueville
, D'Aubigné, ib. I, 198. Si peu de pieces qu'ils menoient n'eussent peu passer du costé du Vivarets, d'où les montagnes vont boire dans la riviere
, D'Aubigné, ib. I, 320. Ceux qui firent cette sortie, et qui en beurent le premier peril sont en cette compagnie
, D'Aubigné, ib. II, 305. En mesme temps commença la tranchée, qui vint percer la contr'escarpe et boire dans le fossé
, D'Aubigné, ib. III, 29. Un Allemand de la garde s'estoit fort beu
, Paré, IX, 1er disc. La terre les eaux va boivant, L'arbre la boit par sa racine, La mer salée boit le vent, Et le soleil boit la marine ; Le soleil est beu de la lune, Tout boit soit en haut ou en bas : Suivant ceste reigle commune, Pourquoy donc ne boirons-nous pas ?
Ronsard, 507. Point ne parle à celui qui boit
, Génin, Récréat. t. II, p. 247.
ÉTYMOLOGIE
Bourguig. borre ; Berry, bere, beuvre ; provenç. beure ; catal. beurer ; espagn. beber ; ital. bevere ; du latin bibere ; rattaché au grec πίνειν, boire, par le sanscrit pâ, boire, dans les védas pib, d'où, par assimilation de la consonne, la réduplication bib. Boire est régulièrement formé, ayant l'accent tonique sur la même syllabe que bíbere.