« blesser », définition dans le dictionnaire Littré

blesser

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

blesser

(blè-sé) v. a.
  • 1Faire une plaie, une contusion, une fracture, une écorchure. Blesser légèrement. Il fut blessé au bras. Sans qu'aucun des leurs fût blessé. Connaître quel organe intérieur a été blessé. Les liens blessent les bras. De peur que le bœuf ne se blesse la cuisse. Blesser, en bêchant, les racines d'un arbre. La selle blessait le cheval. Des souliers qui me blessent furieusement, Molière, le Bourg. gent. II, 8. … plus d'un héros Dans le soulier qui le blesse Peut regretter ses sabots, Béranger, Gueux.

    Absolument. Car enfin l'intention de celui qui blesse ne soulage point celui qui est blessé, Pascal, Prov. 7.

  • 2Toucher, en parlant des passions, et surtout de l'amour. La pitié qui me blesse Sied bien aux plus grands cœurs et n'a point de faiblesse, Corneille, Poly. I, 1. Fuyez un ennemi qui sait votre défaut, Qui le trouve aisément, qui blesse par la vue, Et dont le coup mortel vous plaît quand il vous tue, Corneille, Poly. I, 1. Vous voulez rendre compte à l'objet qui vous blesse De la bonté d'Octave et de votre faiblesse, Corneille, Cinna, III, 2. La main qui me blessait a daigné me guérir, Corneille, Rodog. IV, 3.
  • 3Causer une impression désagréable. Blesser la vue ou les yeux. Une amertume persistante qui blesse le goût. Phèdre ici vous chagrine et blesse votre vue, Racine, Phèd. I, 1. êtes-vous trop pour moi ? suis-je trop peu pour vous ? C'est m'offrir, et ce mot peut blesser les oreilles, Corneille, Sertor. II, 2. Ce grand prince vous sert et vous servira mieux Quand il n'aura plus rien qui lui blesse les yeux, Corneille, Nicom. IV, 2. Il n'a devant les yeux que sa chère Troyenne ; Tout autre objet le blesse, Corneille, Andr. II, 3.
  • 4Offenser, choquer. Haïr ceux qu'on a blessés. Blesser quelqu'un par d'amères railleries. Blesser les oreilles par des paroles désagréables. S'il y a dans ma lettre quelque chose qui vous blesse. J'espère le dire sans blesser ce personnage. Oenone, il peut quitter cet orgueil qui te blesse, Racine, Phèd. III, 1. Ici tous les objets vous blessent, vous irritent, Racine, Athal. II, 3.

    Blesser quelqu'un au cœur, l'offenser dans ses sentiments les plus chers. Apprends donc que Lélie A pu blesser mon cœur par une perfidie, Molière, Sgan. 19.

  • 5Causer un tort, un préjudice, un dommage. Les clauses de ce contrat blessent mes intérêts. Sans blesser l'intérêt général. Contre un si grand rival j'agis à force ouverte, Sans blesser son honneur, sans pratiquer sa perte, Corneille, Nicom. III, 8. Ceux mêmes dont ma gloire aigrit l'ambition, M'arracheront peut-être un pouvoir qui les blesse, Racine, Iphig. I, 1. Parle, et, sans espérer que je blesse ma gloire, Voyons comme tu sais user de la victoire, Racine, Alex. V, 3. Ah ! sans doute, l'horreur d'une action si noire Vous guérit d'un amour qui blessait votre gloire, Voltaire, Zaïre, IV, 5.
  • 6Enfreindre, pécher contre. Son langage blessait les convenances. Blesser la pureté de la langue. Il ne put agir ainsi sans blesser sa conscience. Sans blesser la charité et votre conscience mortellement, Pascal, Lettr. 7. Sans toutefois blesser la vérité, Pascal, Prov. 6. Celui qui blesse la vérité offense les dieux, Fénelon, Tél. III. Je sais que, sans blesser l'honneur le plus sévère, Je ne puis m'affranchir des mains de votre père, Racine, Phèd. V, 1. Malheur à qui, du ciel blessant les priviléges, Foule aux pieds ses décrets arbitres des humains ! Voltaire, Œdipe, III, 1.
  • 7Se blesser, v. réfl. Se faire une blessure. Il s'est gravement blessé avec son fusil.

    Se blesser l'un l'autre. Dans ce duel, les deux adversaires se sont blessés.

  • 8 Fig. S'offenser. C'est un homme susceptible qui se blesse facilement.
  • 9En parlant d'une femme, faire une fausse couche. Si l'on parle de se blesser à cinq mois, Sévigné, 62. Lorsqu'elle [l'électrice de Brandebourg] apprit que l'électeur [de Saxe] s'était fait catholique, elle en fut outrée au point qu'elle s'en blessa, Saint-Simon, 47, 60.

PROVERBES

Vous ne savez pas où le bât le blesse, vous ne savez pas quelle pensée, quel ennui le tourmente. Jusqu'au revoir, adieu, beau courrier offensé. - Ce n'est pas là, coquine, où le bât m'a blessé ; Mon cœur est plus navré de ton humeur sévère, Regnard, le Distr. II, 1.

HISTORIQUE

XIe s. La gent de France iert blecée et blesmie, Ch. de Rol. XLIII.

XIIe s. S'il chiet [tombe], jà ne se blecera ; que [car] Deux sor lui sa main tendra, Liber psalm. p. 285.

XIIIe s. Amis, vo grant beautés, vos sens, vostre prouesse M'ont si feru d'un dart d'amour qu'au cuer me blece…, Audefroi le Bastard, Romancero, p. 13. Nostres sires Diex redrece les bleciez que deables avoit navrez, Psautier, f° 176. Ensi remest li assaus devers nostre gent, et mout en i ot de bleciés et de navrés, Villehardouin, LXXVII. Estes-vous mout blecie ? nel me devez celer, Berte, XVII. Sachiez qu'ele n'en bleça mie, Quant ele dist : biaus douz amis, Tout ont mon cuer el vostre mis Cist douz mot…, Lai de l'ombre. Et quant aucuns à honor monte Par son sens ou par sa proece, C'est la chose qui plus la [l'envie] blece, la Rose, 250. On doit moult penre garde se li oirs est moult bleciés du testament, Beaumanoir, XII, 37. Et estoit [la reine] en trop grant peril de mort, pource qu'elle estoit bleciée d'un enfant qu'elle avoit eu, Joinville, 281.

XIVe s. Mais Bertran en jura, oiant tous les plus haus : Qui sans estre blecié retourra [retournera] es praiauls, Encroer le fera plus haut que une saux [saule], Guesclin. 20199.

XVe s. Si ne blesserez mie, la gentillesse ni la noblesse de vous, Froissart, I, I, 242. Le dieu d'amours me courut seure, Et me trest de la droitte fleche, Dont les plus amoureux il bleche, Froissart, Espin. amour. Quant j'ay par vous aucun mal qui me blesse, Je l'endure par le conseil d'Espoir, Orléans, Ball. 19. S'il est aucun qui soit prins de tristesse, Voise veoir [qu'il aille voir] son douz maintenement ; Je me fais fort que le mal qui le blesse Le laissera pour lors soudainement, Orléans, Ball. 9.

XVIe s. Cela ne blesse en rien nostre foy, Calvin, Instit. 103. Se sentant blecé à mort d'une arquebusade, Montaigne, I, 6. Je les veoy d'une veue moins blessée de passion qu'un aultre, Montaigne, I, 103. J'ay veu tel grand blecer la reputation de sa religion pour…, Montaigne, I, 224. Il vouloit bien assommer, mais non pas blecer, et pourtant ne combattoit que de masse, Montaigne, I, 323. Le son de nos mots blece la pureté de leurs aureilles, Montaigne, III, 5.

ÉTYMOLOGIE

Wallon, blèsî ; namurois, blèser ; provenç. blessament, blessedura, blessure ; d'après Diez, du moyen allemand bletzen, rapiécer, bletz, lambeau de cuir, où le sens de mettre en pièces (escuz bleciez, boucliers rompus, dans le Chevalier au lion), puis celui de blesser.